Compétence juridictionnelle : la confusion continue
Un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 octobre 2012 avait considéré qu'un litige portant sur un grief de concurrence déloyale relevait de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, alors même qu'aucun acte de contrefaçon de marque n'était invoqué.
Selon cette décision, si la recherche d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil suppose l'examen de droits de propriété intellectuelle (en l'occurrence des marques), alors le litige ne peut pas être porté devant le tribunal de commerce.
Nous avions contesté cette solution, en expliquant que le Code de la propriété intellectuelle ne confère de compétence exclusive au tribunal de grande instance que si et seulement si le litige met en cause un droit de propriété intellectuelle : lorsque le grief invoqué repose sur le droit commun de la responsabilité civile, il n'existe pas de raison de déroger aux règles générales de compétence juridictionnelle.
Pourtant, la Cour d'appel de Paris vient de
confirmer cette solution dans un autre arrêt, cette fois du 19 février 2013, qui
concernait également un cas de concurrence déloyale entre deux sociétés. L'affaire portait sur l'utilisation d'un slogan, à
savoir "L'optique d'aujourd'hui avec
les yeux de demain". Cette signature était utilisée par une société
commercialisant des outils techniques à destination des opticiens.
Cette société a alors constaté qu'un concurrent
avait utilisé le même slogan, quelques mois plus tard, dans le cadre d'une
brochure publicitaire et avait donc assigné ce dernier devant le Tribunal de
commerce de Paris.
En défense, le concurrent avait soulevé
l'incompétence de la juridiction consulaire en application de l'article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que "Les actions civiles et les demandes
relatives aux marques, y compris lorsqu'elles portent également sur une
question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des
tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire."
Le Tribunal de commerce de Paris avait reconnu sa
compétence, mais, sur contredit formé par la défenderesse, la Cour d'appel de
Paris a infirmé le jugement de première instance.
L'arrêt est fondé sur le fait que "la compétence exclusive des tribunaux
de grande instance pour connaître des questions de marque s'étend à toute
instance qui, bien que qualifiée par le demandeur d'action en concurrence
déloyale et exempte de toute demande en revendication ou radiation de marque,
met la juridiction saisie dans l'obligation d'apprécier une contrefaçon ou une
imitation de marque."
Mais pourquoi invoquer l'existence d'une marque
dans cette affaire ? Le fait est que la société demanderesse avait effectivement
procédé à un dépôt du slogan à titre de marque en mars 2012, c'est-à-dire
postérieurement à la diffusion de la brochure qualifiée de déloyale et
antérieurement à l'engagement de l'action judiciaire.
Pourtant, la société demanderesse ne tirait jamais
argument de l'existence de cette marque aux termes de son assignation : ses
demandes portaient exclusivement sur des actes de concurrence déloyale. Ainsi,
le simple dépôt d'une marque rendrait de
facto le tribunal de commerce matériellement incompétent au profit du
tribunal de grande instance. Selon l'arrêt, "la
compétence de droit commun des juridictions consulaires suppose que l'action en
concurrence déloyale ait pour cause des éléments étrangers au droit des
marques."
La formulation, particulièrement floue, laisse songeur et ne convainc guère. La seule existence d'une marque, à aucun moment invoquée au soutien des demandes, ne peut pas, en soi, emporter la compétence du tribunal de grande instance, même si le litige implique d'apprécier l'existence d'un risque de confusion entre deux signes utilisés dans la vie des affaires.
A raisonner ainsi, il devient particulièrement
hasardeux de déterminer la compétence juridictionnelle. L'article L. 716-3 du
Code de la propriété intellectuelle concerne "les actions civiles et les demandes relatives aux marques",
ce qui implique normalement qu'une demande au moins soit fondée sur le Livre
VII du Code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire une demande de
condamnation pour contrefaçon de marque, une demande en déchéance, en nullité,
en revendication, ou autre.
Mais en l'absence de toute demande de cette nature,
la solution retenue par la Cour d'appel de Paris n'a guère de sens, même s'il
appartient au juge de redonner aux faits leur exacte qualification "sans s'arrêter à la dénomination que les
parties en auraient proposée" (article 12 du Code de procédure civile). Une action en contrefaçon et une action en concurrence déloyale
procédant de causes différentes et ne tendant pas aux mêmes fins, comme le
reconnaît l'arrêt de la Cour, il ne peut exister ici aucun risque de confusion.