Communication : la fin du message agressif
Un marché fortement concurrentiel encourage souvent les forces en présence à jouer la provocation ou l'agressivité pour mieux se faire remarquer. Ce qui n'est pas toujours sans danger...
Se faire remarquer, défendre une position à la limite du provoquant, voilà qui peut sembler porteur, notamment sur un marché fortement concurrentiel. Mais les risques de lasser les publics ne sont pas insignifiants, loin de là, comme nous l'a récemment démontré Abercrombie & Fitch :
Un exemple extrême
Depuis 1997, Abercrombie & Fitch cible ouvertement une clientèle jeune en jouant sur la provocation et la démesure : vendeurs torses nus aux muscles saillants, niveau sonore dans les magasins à la limite du supportable, ambiance boîte de nuit, parfum entêtant... Nous sommes davantage dans la shopping experience, où la priorité est avant tout donnée à l’image véhiculée plutôt qu’au produit. Ajoutons à cela une « exclusion » plutôt autoritaire des consommateurs dont les mensurations ou le poids ne rentrent pas dans les canons esthétiques de la marque, et nous avons là un cocktail au goût plutôt détonnant.
Les adeptes des séries Z
L’apparition brutale d’un message, et la récurrence avec laquelle
cet évènement survient n’est pas sans rappeler le manquement à une élémentaire règle de savoir-vivre : ce n’est pas en s’imposant en
permanence que l’on se rend sympathique et désiré...
Dans le même esprit, sous couvert de se faire voir et entendre,
certains acteurs décident d’imposer un message, de préférence par
surprise, afin — croient-ils — que le public visé ne puisse échapper à l’information ainsi communiquée.
Le lecteur aura sans doute reconnu le spam — ou pourriel —, sorte
d’antithèse de la communication fluide et apaisée, concept numérique
du représentant de commerce venant brutalement interposer son bout de
chaussure pointue et maniaquement cirée entre la porte d’entrée et le
chambranle, aux fins de forcer le passage.
Certains professionnels de la communication semblent être de grands
admirateurs de Jacques Besnard, puisqu’ils ont décidé de faire du
titre de l’une de ses œuvres (nous faisons bien entendu référence au
film C'est pas parce qu'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule, sorti en 1978) un axiome intangible de communication efficace.
Un résultat agaçant
Un bombardement ininterrompu de courriels indésirables et sur
Internet, des incrustations sans fins et autres gracieusetés qui
surgissent dès lors que l’on passe de site en site.
Des plus grandes marques à l’éthique irréprochable jusqu’aux
organisations exotiques aux ambitions ouvertement malhonnêtes, rares
sont ceux qui échappent à ce système dictatorial, qui consiste à
imposer une information à qui n’a aucunement envie de la connaître.
Évidemment, sur le nombre, quelques prospects se montreront
réceptifs et pourront même entrer en contact — voire acheter —, ce qui
encouragera, hélas, une intensification de cette démarche
publicitaire.
Sans oublier le recours à la caution scientifique
Dans le même esprit, relevons les procédés d’argumentation
permanente : qui n’est pas tombé un jour devant une séquence de
téléachat où un expert — ou prétendu tel —, de préférence en
blouse blanche afin de se parer des atours de la noblesse scientifique,
vient doctement faire la réclame du dernier éplucheur à double
débrayage et à hauteur différentielle de coupe ?
Cette technique, qui relève plus du boniment que de la vente élégante, est pénible, ne serait-ce que par le temps qu’il faut
consacrer au visionnage du message :
- où l’argumentation est tellement complexe qu’elle en devient totalement indigeste ;
- ou bien, à l’inverse, et c’est le plus souvent le cas, où l’offre présentée n’a tellement rien à dire qu’il semble important de le faire savoir avec force !
Dans ce dernier cas, en l’absence d’aspects différenciants à partir
desquels l’émetteur du message aurait pu délivrer une information
simple, agréable et efficace, la communication se rabattra :
- sur l’intensité visuelle ou sonore qu’elle aura les moyens de financer ;
- et surtout, sur des arguments le plus souvent d’ordre tarifaire, compte tenu du fameux dicton au solide bon sens « Quand on a rien de mieux à proposer que ses concurrents, mieux vaut être le moins cher ».
Un consommateur qui se détourne
Tout le monde est capable de communiquer sur un prix, d’autant plus
que l’on dispose de budgets publicitaires et promotionnels importants.
Mais, pour nous, ce qui fait vraiment la différence... c’est surtout la capacité à parler d’autre chose !
Un martèlement généralisé de messages indésirables ou
essentiellement centrés sur le prix est donc le signe que les affaires
ne vont pas si bien :
- le marché est de plus en plus concurrentiel et les offres de plus en plus standardisées : il faut crier fort pour se faire entendre — ce qui ne signifie en rien que l’on sera écouté ou compris ;
- ou bien le marché est en train de muter : ceux dont les offres ne sont plus tout à fait adaptées vont mettre tous leurs moyens disponibles dans une communication agressive et omniprésente qui s’avérera au final lassante, voire contre-productive, car détournant certains acheteurs potentiels dont les attentes ne sont plus en phase avec cette démarche publicitaire.
Conclusion : penser au marketing de rupture
Il n’y a donc qu’un pas de la sanctification à la dictature, vite
franchi lorsque le marché pénètre dans une zone d’incertitude. Là,
le marketing traditionnel — si conquérant dans des marchés de
croissance — devient nettement moins efficace, notamment quand il est
utilisé pour brutaliser, gesticuler ou haranguer.
Ce sera l'occasion d'envisager le marketing de rupture qui reconsidère totalement la manière de véhiculer les messages.
À ce sujet on pourra lire Le marketing de rupture, ouvrage paru récemment chez De Boeck.