Culture « Y » : des valeurs qui impactent les relations de travail au-delà de la génération « Y »

Comme nous allons le montrer, concernant les valeurs qui impactent les rapports au travail, il est plus pertinent de parler de « culture Y » que de « génération Y ». Le fossé générationnel est assez largement un leurre.

Qu’est-ce qu’une valeur ?

Les valeurs représentent ce qui donne un sens à notre vie personnelle et professionnelle. Elles nous donnent la conviction forte qu’un mode de conduite est supérieur à un autre pour mener notre vie et atteindre nos objectifs. En ce sens, les valeurs découlent des croyances, elles déterminent les critères qui devront être satisfait par le comportement (le notre et celui des autres). Vivre de façon harmonieuse suppose que nous puissions agir en conformité avec nos valeurs.
Identifier les valeurs qui sont les plus essentielles pour chacun de nous, revient à répondre à cette question : "Qu’est-ce qui aujourd’hui est le plus important pour moi, dans ma vie ?" :
  • La réussite professionnelle ?
  • L’argent ?
  • L’amour ?
  • La famille ?
  • Le travail ?

Valeurs générationnelles ou valeurs de l’époque ?

Les six valeurs que nous présentons sont tout particulièrement promues par la génération qui est au cœur de l’époque actuelle, c'est-à-dire la génération « Y » (personnes nées entre 1980 et 1995, 40 % des actifs en 2015). Par contre les études réalisées montrent que les autres générations « X » (personnes nées entre 1965 et 1979) et « Baby-boomeurs » (personnes nées entre 1945 et 1964) se rallient assez largement à ces valeurs.
En réalité, on peut dire qu’à un instant donné, toutes les générations sont marquées – plus ou moins – par la culture du moment et les valeurs qu’elle véhicule. Les valeurs dominantes du moment sont plus initiées/promues par une génération moteur, aujourd’hui la génération « Y », mais en quelque sorte elles se diffusent par porosité intergénérationnelle en direction des autres générations.
Par exemple, dans une étude réalisée en 2010, le chercher François Pichault et l’intervenant Mathieu Pleyer, tous deux de l’université de Liège, ont montré que les trois générations (« Y », « X » et « Baby-boomeurs) ont des aspirations similaires. Ils placent ainsi la « solidarité et l’esprit d’équipe » en tête des valeurs que doit véhiculer une entreprise.
Parmi huit valeurs (Solidarité/esprit d’équipe, Créativité, Entreprenariat, Equité, Esprit client, Rentabilité, Responsabilité sociale, Respect de l’environnement) testées dans le cadre de cette étude il n’y a de fortes divergences entre les trois générations que sur une valeur (la Créativité deux à trois fois plus importantes pour la génération « Y » que pour la génération « X » et « Baby-boomeurs ».
Pour nombre de chercheurs, il semble excessif de faire de la différence de générations un déterminant des comportements plus décisifs que, entre autres : les appartenances aux classes sociales, aux cultures, aux territoires etc. On peut dire que l’existence de spécificités dans la relation des « Y » avec le travail n’est pas démontrée.  Les travaux qui s’intéressent à cette génération sont plus descriptifs qu’explicatifs et comparatifs. Une étude réalisée sur un échantillon français, par Jean Pralong, conclut d’ailleurs à l’absence de différences significatives entre les « X » et les « Y » dans le rapport au travail, à l’entreprise et à la carrière.
D’autres critères de segmentation sont semble t-il plus discriminants que l’appartenance générationnelle. Par exemple, Emmanuel Todd, pointe l’apparition d’une césure et d’une inégalité entre le « éduqués supérieurs » et les autres : « L’avènement d’une classe culturelle éduquée et nombreuse a créé les conditions d’une fragmentation de la société et provoqué la diffusion d’une inégalité d’un genre nouveau. Pour la première fois les éduqués supérieurs peuvent vivre entre eux, produire et consommer leur propre culture. (….) L’émergence de millions de consommateurs culturels de niveau supérieur autorise un processus d’involution. Le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses du peuple, et du populisme qui naît en réaction à ce mépris. »
Comparé, aux autres pays développés d’occident, il semble pour Julien Pouget, que nous soyons à peu près le seul pays à nous poser la question de la spécificité des valeurs et des comportements, de la génération « Y » sur le marché du travail.

Il semble donc que ce soit beaucoup plus l’époque, les évolutions technologiques et économiques, ainsi que les valeurs qu’elle véhicule, qui influence les personnes quelque soient leur génération. Pour de nombreux chercheurs les valeurs prédominantes aujourd’hui n’indiquent aucune « rupture générationnelle », même si les « digital natives » ont une appétence particulièrement forte pour les NTIC. Par exemple, malgré le développement des réseaux sociaux et des plateformes participatives, la tendance à l’individualisation traverse toutes les générations.

Quelles sont les six valeurs dominantes de la « culture y » ?

1) La personne (l’Être et le Faire)

C'est-à-dire le respect de l’humain, de la personne, de son identité, de son altérité. C’est aussi le besoin d’être reconnu en tant que :
  • personne bien sûr (reconnaissance existentielle),
  • porteur de compétences, de capacités (reconnaissance de la maîtrise),
  • implication (reconnaissance de l’engagement),
  • réalisations personnelles et professionnelles (reconnaissance du résultat).

2) L’harmonie relationnelle (S’Accepter, Accepter l’autre, Partager, Être et Faire avec soi et les autres dans le Plaisir)

C'est-à-dire la qualité relationnelle/communicationnelle avec les autres en général. Dans le cadre du travail, avec les collègues, le management, les divers partenaires internes ou externes. C’est aussi la recherche d’un climat/d’une ambiance de qualité au sein des équipes. C’est une aversion prononcée pour les situations tendues et conflictuelles, pour toutes les formes de manipulation et de langue de bois.
C’est la recherche de modes de relations nouvelles :
  • déhiérarchisées;
  • plus authentiques;
  • basées sur la confiance, le respect des engagements et le parler vrai.

3) L’harmonie de vie  (Se Prouver)

C'est-à-dire la recherche du bien être, du bonheur. C’est parvenir à concilier ses différents domaines de vie, notamment concilier vie professionnelle et vie personnelle (work-life-balance). Par exemple, Olivier Galland sociologue au CNRS, note que : « Le travail reste une valeur centrale. En revanche, (….)
Le travail n’est plus une valeur en soi, mais pour soi. C’est un moyen de se réaliser, de faire des choses intéressantes sans sacrifier pour autant sa vie personnelle. » Cette valeur correspond à notre désir de réussir notre vie globale ; de nous prouver cette capacité de réussite.

4) La Connaissance (Assurer son Employabilité Durable et son Développement)

C'est-à-dire, le développement et l’apprentissage permanent (le travail est vécu comme une succession d’apprentissages dans un monde en changement permanent, accéléré où les connaissances et les compétences deviennent vite obsolètes. Les jeunes et les moins jeunes désirent développer leurs connaissances et leurs compétences, et cela d’autant plus que le niveau de formation de base est élevé. La connaissance est aussi un moyen d’agir avec autonomie, d’exercer une certaine forme de liberté. Pour reprendre le mot de Condorcet : « Il n’y a pas de liberté pour l’ignorant ».

5) La recherche de sens (Comprendre et se Situer)

C’est trouver du « sens » dans ce que l’on fait : contenu du travail, objectifs….., et dans sa vie en général. C’est comprendre le pourquoi des orientations, des décisions… C’est pouvoir se situer, donner une intelligibilité à ce que l’on fait : à quoi je sers, quelle est l’utilité de ce que je fais, quelle mission de vie je m’assigne, comment je me relie aux autres….. ?

6) L’Indivisualisation (Être Soi, se Réaliser)

C’est la prédominance donnée à soi avec une suspicion envers les formes institutionnelles de pouvoir. C’est aussi l’autonomie de pensée, de choix… C’est donner la priorité à l’entreprise de soi, à son projet de vie. Selon Jean-Louis Genard, l’individualisation expressive, c'est-à-dire l’expression de ses profondeurs et de ses richesses intérieures contribue à la réalisation de soi et est l’une des pierres angulaires de la culture moderne.
Il ajoute que L’exigence de réalisation de soi va transformer profondément les attentes adressées aux différentes situations de vie et aux institutions (dont l’entreprise). Celles-ci, s’apprécieront de plus en plus en fonction du potentiel de réalisation de soi qu’elles permettent d’offrir. Ainsi que ce soit le couple, le travail, les loisirs…, ils seront de plus en plus appréhendés comme des espaces de réalisation personnelle de soi.

Conclusion

Notre approche, est une macro approche qui a cerné des valeurs qui globalement émergent de ce que nous avons appelé la « culture Y ». Bien évidemment, ça ne signifie pas que tous les actifs se reconnaissent dans la totalité de ces valeurs. Au niveau d’un collaborateur, voire d’une équipe toute généralité doit s’effacer pour laisser place à une recherche et à une identification spécifique. Ce qu’il faut retenir c’est que l’époque l’emporte sur la génération, comme le notait déjà Goethe : « Nous sommes davantage les enfants de notre époque que ceux de nos parents. »