Responsabilité du cédant d'une société en cas de communication de chiffres prévisionnels trop optimistes

Les chiffres prévisionnels de chiffre d'affaires de la société acquise constituent généralement un élément déterminant de la décision de l'acquéreur. Si, après l'acquisition, ces chiffres s’avèrent avoir été trop optimistes, la responsabilité du cédant ne peut pas pour autant être automatiquement engagée.

Lors de l’acquisition d’une société, l’établissement de chiffres prévisionnels de la cible est une étape cruciale pour l’acquéreur. C’est notamment sur la base de ces éléments que l’acquéreur décidera de procéder à l’acquisition et fixera un prix. En pratique, ces chiffres prévisionnels peuvent être établis par le cédant et fournis à l’acquéreur dans la cadre de son audit.
Quelle est alors la portée de ces informations et la responsabilité du cédant si ces chiffres s’avèrent trop optimistes une fois l’acquisition réalisée ?

1/ L’acquéreur peut-il se prévaloir d’une manœuvre frauduleuse ?

Une jurisprudence récente est venue rappeler que la communication par le cédant de prévisionnels de chiffre d'affaires qui s’avèrent par la suite trop optimistes ne suffit pas à caractériser une manœuvre frauduleuse de sa part (« manœuvre dolosive ») et à engager sa responsabilité pour avoir donné à l’acquéreur une idée erronée de la valeur de la société cédée (Cass. com. 4 novembre 2014 n° 13-24.665).
Une manœuvre dolosive nécessite de démontrer la volonté du cédant de tromper l’acquéreur en lui communiquant volontairement de fausses estimations de commandes.
Cette preuve n’est pas apportée du simple fait d’un écart entre les prévisionnels fournis et les chiffres réels. L’acquéreur, entouré de ses conseils, ne peut prétendre confondre prévisions et certitude d'un chiffre d'affaires, surtout dans un contexte économique général difficile.
Par ailleurs, entre la date de la proposition d'achat et celle de la signature de l'acte de vente, l’acquéreur réalise, en principe, un audit des comptes qui lui permet notamment d’apprécier les perspectives de la cible et la cohérence des chiffres communiqués par rapport à l’historique de l’activité.
Enfin, le caractère aléatoire du business (baisse des commandes, perte d’un client, etc.) ne peut être imputé au seul cédant.

2/ L’acquéreur peut-il se prévaloir du non-respect des termes de la garantie de passif ?

Lors d’une cession de société, le cédant effectue fréquemment une série de déclarations concernant la situation et la gestion de la société et garantit leur exactitude à l'acquéreur (garantie contractuelle). En cas de déclaration inexacte, le cédant peut être tenu d’indemniser l'acquéreur.
Concernant les chiffres de prévisions de vente, la jurisprudence rendue en matière de garantie contractuelle est relativement similaire à celle rendue sur le terrain de la manœuvre dolosive puisqu’il a été jugé que la responsabilité du cédant ne peut être reconnue dans la mesure où (i) les éléments chiffrés ne sont que « prévisionnels » et, à ce titre, n’ont pas un caractère certain et (ii) lors de la réalisation de l’audit, l’acquéreur prend connaissance de l’état du marché et des risques encourus (CA Versailles 18 décembre 2007 n° 06-3300).
La valeur de chiffres prévisionnels des ventes étant subordonnée à la poursuite d'une même politique en matière de gestion et à l'absence d'aléas postérieurs, la mise en jeu de la responsabilité du cédant sera d’autant plus difficile lorsque la dégradation des performances résulte des propres choix de gestion de l’acquéreur.

3/ Recommandations pratiques

Il est essentiel pour l’acquéreur d'une société d’établir son propre prévisionnel et de s’assurer de la cohérence du prévisionnel fourni par le cédant par rapport aux performances passées de la cible.
Une solution pour l’acquéreur peut aussi consister à conditionner une partie du prix d’acquisition aux performances futures de la cible au moyen de la mise en place d’un complément de prix.