L'Open Data dans une société Uberisée

Une nouvelle étape a été franchie dans la révolution numérique : quelques hackers, geeks, et autres technophiles, situés à 9 fuseaux horaires de la France, peuvent dorénavant phagocyter l'ensemble d'un secteur économique en moins de temps qu'il n'en faut pour faire passer une loi.

De toute évidence ceux qui ont cru que ces anarcho-hippies allaient s'arrêter au téléchargement de musique se sont trompés. Si certains pourront échapper à la vague, comme le répète Nicolas Colin, mieux vaut se préparer et envisager toute attaque.

La multitude comme moteur d'une révolution 

Une entreprise n'est pas numérique parce qu'elle est technologique, parce que ses employés utilisent Twitter, ou parce qu'elle a recruté des développeurs. La révolution numérique associe évolutions techniques et développement de modèles d'affaires à "effets de réseaux". L'entreprise numérique est caractérisée par le fait qu'elle ne s'essouffle pas : ses rendements sont croissants. Plus Uber grandit dans une ville, plus il devient rentable de ne pas posséder de voiture (comme c'est déjà le cas à San Francisco) et plus Uber devient le moyen de locomotion privilégié. Par comparaison une grande SSII française si elle veut se développer doit recruter de nouveaux collaborateurs, ouvrir de nouveaux bureaux et chercher de nouveaux clients : l'effet de réseau est très faible, et les coûts variables très élevés. Le numérique réside dans l'effet de réseau, des coûts variables extrêmement faibles et la croissance à tout prix vers un monopole. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce sont les conditions qui vont permettre de nouer un lien très fort avec les clients, leur proposer une expérience toujours renouvelée et personnalisée, presque intime, sans perdre de vue la mission de l’entreprise. 

Face à cette menace pour les entreprises établies, la marche suivie est le plus souvent celle de la protection de son marché, de l'instauration de barrières à l'entrée, juridiques ou politiques, toujours plus élevées. Le processus amenant à la faillite est alors enclenché et le combat, plus ou moins long, sera perdu. La seule solution est de redécouvrir son activité, ses clients et ses utilisateurs, renouer un lien avec eux et se concentrer sur l'optimisation du service. 

En cas de réussite, on oublie la première vie de l'entreprise et on a l'impression d'avoir affaire à une startup ! Après avoir passé 5 ans en bourse, dans la vente de DVD par courrier, Netflix a reconfiguré son service autour de la connaissance de ses clients. Netflix n'a pas ouvert d'incubateurs, Netflix n'a pas fait de forcing légal pour permettre au DVD de survivre 10 ans de plus. Netflix a défini une vision claire - divertir les gens - a misé sur ses données pour servir au mieux ses clients et a mis en place une infrastructure à coût variable très faible. 

Les données sont la porte d'entrée de la transition 

Comprendre ses clients, comprendre ce qu'est réellement son activité, est la priorité absolue ; et cela ne peut se passer qu'à travers une nouvelle approche de ses données. Toutes les entreprises ont des données, mais combien sont-elles à en avoir une connaissance très précise ? Combien de grands groupes ont investi des sommes astronomiques pour des bases de données ingérables, des outils de Business Intelligence accessibles seulement à des experts, ou des architectures qui ne donnent accès aux données que par branche, filiale ou service. Combien de PDG peuvent aujourd'hui, en quelques clics, depuis leurs ordinateurs personnels visualiser sur une carte leurs ventes de la semaine sans avoir à faire passer un ordre de N-1 en N-1 jusqu'à un intervenant extérieur disponible seulement entre 8h et 17h les jours ouvrés ? Combien de services marketing peuvent aujourd'hui comprendre leur impact en croisant les données de leurs CRM avec celles de la météo et de la démographie ? Les entreprises ont des données mais celles-ci restent sous-exploitées. 

A l'ère numérique, les données sont la source de savoir absolue. Il n'y a tout simplement pas de modèle économique viable dans le numérique sans un lien très fort construit avec la multitude grâce à une synergie totale des données de cette multitude, des données extérieures et des données de l'entreprise. 

Humilité et vision pour une démarche d'ouverture

Si l'importance des données ne fait pas débat, on explique souvent que l'ouverture des données ou Open Data (leur mise à disposition gratuite et sous licence permettant des réutilisations) n'a pas sa place dans la stratégie de la plupart des entreprises du numérique. Passons sur le fait que Twitter ou Amazon n'aurait jamais connu une telle croissance sans une ouverture très forte de leurs données. Il y a une raison à cela : ces entreprises sont nées dans ce monde-là, elles sont de langue maternelle numérique, elles arrivent, sans pression de leurs actionnaires, à attirer les meilleurs talents du monde entier.

Ce n'est pas le cas de la plupart des entreprises déjà établies, à la vision peu claire, qui en gardant depuis trop longtemps une structure pyramidale, peu flexible et peu agile ont fait fuir les geeks, les passionnés, ceux qui rêvent de faire bouger les choses. L'Open Data représente donc l'occasion de renouer un contact sincère avec la multitude. C’est le cas par exemple de SNCF qui rend accessible ses données des objets perdus en temps réels, ou de JCDecaux avec les données des Autolibs et Vélibs. En laissant à la multitude une partie de la Recherche & Développement, et en rendant publique un certain nombre de données, l'entreprise a l'opportunité de se concentrer sur sa vision et de mettre tous ses efforts sur la qualité de son service.  
Attention cependant à ne pas jouer au plus malin, l'information circule toujours plus vite. Si les entreprises doivent, pour trouver leur place dans cette économie nouvelle, placer leurs données au centre de leurs référentiels, en donner un accès réfléchi à une partie sera peut-être le mouvement stratégique déterminant !