Reverse mentoring : comment le mettre en place?

Reverse mentoring, reverse tutoring, tutorat inversé. La formation au numérique des jeunes par les plus âgés fait débat dans nos entreprises. Mais pour la mettre en place, certaines règles sont à connaître.

De la CIBI au 2.0

Roger a 57 ans quand il décide de reprendre une formation de plombier chauffagiste pour se réinsérer professionnellement. Roger a de grandes compétences techniques, s’est toujours débrouillé seul dans sa vie, lui qui a connu des galères : enfant de la DASS, longues périodes de chômage...
Dans cette formation, il met à profit cette expérience pour guider les plus jeunes dont Jean-Baptiste fait partie. JB a 21 ans, il a un niveau baccalauréat ES et prépare lui aussi un CAP d’installateur thermique.
Mais Jean-Baptiste aide aussi Roger parce que le grand problème de Roger c’est le numérique ! Il est dépassé par ce système qu’il ne comprend pas ! 
Roger change ses habitudes, achète un smartphone, un ordinateur, s’abonne à internet et crée une boite mail ! Et c’est là que Jean Baptiste intervient : l’utilisation du numérique pour consulter son emploi du temps via son smartphone. Pour nous un jeu d’enfant, pour Roger… une grosse galère !
Jean Baptiste commence par lui expliquer comment se connecter au réseau Wi-Fi à l’aide de son smartphone… Roger cherche alors les câbles et ne comprend pas comment c’est possible si son téléphone n’est pas relié. Pourtant, Jean Baptiste lui explique que son smartphone est relié. Roger voudrait bien accepter mais… relié à quoi au juste et comment ? Il n'y a pas de fil ! Heureusement dans le passé Roger a été routier et on lui parle alors de sa CIBI. Au bout d’une heure Roger a compris le Wi-Fi, enfin ! On passe à la suite !
 
JB emploie son vocabulaire numérique : données mobiles, playstore, application  ("appli-quoi ?") répond Roger… Et Roger ne facilite pas la tâche en racontant ses petites "brèves de comptoir" qui font rire JB. Mais au bout de 2h30, "ça y est ça rentre", Roger arrive à ouvrir son emploi du temps sur son smartphone en 10 minutes ! JB a été patient, à l’écoute mais il lui arrive encore de faire à la place pour aller plus vite.


Apprentissage du numérique

De nombreux articles traitant de "Reverse Mentoring" ou "Mentorat Inversé" fleurissent sur le net depuis 2 ou 3 ans et nous apprennent que les jeunes forment leurs ainés et que cette pratique bouleverse de nombreuses entreprises. 
Certes, mais on apprend plus loin dans ces articles qu’il s’agit principalement des managers ou dirigeants de très grosses entreprises qui bénéficient des conseils avisés de jeunes membres de l’entreprise. L’histoire de Roger et Jean-Baptiste à laquelle nous nous intéressons ici nous interroge également, mais au plus proche de tout à chacun, sur l’apprentissage du numérique.
A la course technologique répond avec inertie le temps des acteurs et l’intégration dans la société de ces technologies. Intégration par l’éducation informelle (environnement familial, loisirs, auto-formation…), intégration par l’éducation scolaire, par la formation ou par les entreprises qui de façon systémique, peinent à intégrer eux-même le numérique. 
Le propos n’est pas ici de stigmatiser la population selon son âge en génération X ou Y, même si on ne peut nier le facteur temps lorsque l’on s’intéresse à cet apprentissage du numérique. Le temps des technologies est repérable. Il s’oppose aux temps des acteurs, notamment par l’obsolescence des outils supplantés très rapidement par de nouveaux : nous sommes passés en moins de 50 ans de la dactylographie au web 2.0, réseaux sociaux, smartphones et tablettes… 
Se rencontrent donc ici avec Roger (57ans) et Jean Baptiste (21 ans) cette temporalité générale qu’ils incorporent mais également leur lien ou inscription dans la société (La situation aurait pu être inversée ou Roger aurait très bien pu être formé par quelqu’un du même âge que lui). Cela implique comme on le voit ici une interaction informelle fondée sur la pratique, le faire, entre apprenant et personne ressource soit une relation sociale à travers une posture d’écoute, de patience et de compréhension des mondes de l’un et l’autre médiatisé par le vocabulaire et leurs représentations.


Psychologie des adultes en formation

Comme nous avons pu le voir, quand nous pensons au reverse mentoring, souvent décrit comme la formation des adultes fait par les jeunes, fleurissent des questions quant à l’acceptation pour un adulte ou une personne d’une grande expérience dans son domaine, d’être formé par un jeune qui ne peut revendiquer autant d’expérience dans ce même domaine. Cependant, la question déborde de cette sphère.
La formation des adultes est un domaine très complexe car elle ne peut être réalisée de la même façon que la formation au lycée et au collège, au risque d’avoir des stagiaires qui se plaignent d’être maternés. Comment maintenir la motivation d’adultes qui ne sont pas à l’aise avec des technologies et qui, de surcroît, ont pour formateur une personne bien plus jeune qu’eux mais présenté comme expert dans l’usage des technologies ? La motivation de départ peut disparaître ou s’effriter lors de la rencontre avec ce jeune formateur.
Dans le cas de Roger et Jean Baptiste, ce ne fut pas le cas. La motivation fut constante car ils avaient déjà eu l’occasion de travailler ensemble. Roger a pour habitude d’aider Jean Baptiste dans la pratique de plomberie et vice versa. 
Quand nous abordons le sujet de la formation de l’adulte, nous ne pouvons faire l’impasse sur la question de la persévérance, moteur de la motivation. Roger a maintenu sa motivation, a persévéré, car il a pour habitude d’être en contact avec Jean Baptiste et a pu découvrir les différentes compétences de Jean Baptiste au fur et à mesure, sans que ce soit imposé par l’Organisation. La question de la formation, du mentorat ou du tutorat réalisé par une personne de l’âge, ou non, du dirigeant ou manager n’a aucune importance. Ce qui compte est la crédibilité que le récepteur, en l’occurence la personne formée, donnera à la source, la source étant la personne qui mènera la formation.

Plus qu’une question d’âge, de niveau social et d’éducation même si ces éléments s’entremêlent, l’apprentissage du numérique n’est-il pas  affaire ici plus globalement de connexions (sans jeu de mot) individuelles et des organisations à la société ?

3 conseils pour réussir la mise en place du tutorat

Demain, vous souhaitez mettre en place un tutorat sur les technologies dans votre entreprise pour des questions de coûts financiers et de confidentialité des informations transmises, n'oubliez jamais les éléments suivants 
- Au delà de l'âge de l'apprenant par rapport au formateur, choisissez surtout une personne qui est crédible aux yeux du futur apprenant. Une personne dont il reconnaît l'expertise.
-Assurez-vous des compétences pédagogiques du futur tuteur ou faites lui suivre une formation en pédagogie afin de s'assurer de l'efficacité des rencontres. 
-Donnez un laps de temps suffisamment long au tuteur pour créer le changement chez l'apprenant afin qu'il adhère et intériorise ce changement de comportement et d'attitude dans sa vie professionnelle. 

(Article rédigé en collaboration avec LE SOMMER Youna, GERMAIN Sophie et HAPPILLON Florence)