Premier revers pour Adblock Plus

Le groupe de presse d’Axel Springer a remporté une première victoire face à Adblock Plus. Dans son arrêt rendu le 24 juin 2016, la Cour d’appel de Cologne a partiellement réformé la décision du tribunal de première instance qui avait relaxé l’éditeur d’Adblock Plus de tous les griefs portés à son encontre.

Le groupe a fait valoir que le programme Adblock Plus édité par la société Eyeo constituait une entrave déloyale à la concurrence. En séparant le contenu éditorial de la publicité, l’outil de blocage de publicité a un effet comparable à la déchirure ou l’arrachage de panneaux d'affichage publicitaire.
 

La Cour a partiellement suivi l’argumentation d’Axel Springer. Elle maintient que le blocage de la publicité ne constitue pas en tant que telle une pratique anticoncurrentielle, mais s’attarde sur le modèle économique d’Eyeo et en particulier sur son système de liste blanche. La Cour confirme d’abord que les parties sont en situation de concurrence puisqu’elles recherchent toutes deux à attirer les annonceurs. Elle relève ensuite que, contrairement à l’arrachage ou la déchirure de panneaux publicitaires, il n’y a pas d’atteinte physique au produit du demandeur. Au contraire, le contenu éditorial du site Web et la publicité seraient livrés avec des flux de données distincts qui restent inchangés.

La société Eyeo a mis en place le programme Acceptable Ads, qui consiste en un système de liste blanche permettant de filtrer les publicités dites acceptables. Celles-ci sont de préférence être statiques sans animations ni sons, elles contiennent du texte et pas d’images susceptibles de détourner l’attention de l’internaute, et sont idéalement placées. En l’occurrence, elles ne  masquent pas le contenu de la page, ne coupent pas le flux de lecture, ne requièrent pas de défilement pour accéder au contenu etc.

 

La société Eyeo ne fait elle-même le tri des publicités mais a signé des accords de coopération avec des éditeurs et des annonceurs. Eyeo assure que 90 % de ses partenaires entrent gratuitement dans la liste blanche. Les 10 % restants sont considérés comme de grandes entités, réalisant plus de 10 millions d’impressions par mois sur l’ensemble de leurs publications en ligne. Pour accéder à la liste blanche, ils doivent ainsi reverser une partie de leurs revenus publicitaires, environ 30 %.

 

La Cour considère que ce système de liste blanche constitue une pratique commerciale agressive et illégale au sens de la disposition allemande § 4a Abs. 1 S. 1 UWG (article 4 de la loi contre la concurrence déloyale). Il s’agit de la première décision de justice basée sur la loi contre la concurrence déloyale entrée en vigueur en décembre 2015, issue de la directive européenne 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs.

La Cour relève en effet que la société éditrice d’Adblock Plus se trouve dans une situation de position dominante. Du fait de la barrière technique créée par son outil, elle a empêché le requérant de respecter ses obligations contractuelles vis-à-vis des annonceurs. A travers son système de liste noire et de liste blanche, la société Eyeo exerce un tel contrôle sur l’accès aux possibilités de financement par la publicité qu’elle place les entreprises dans une véritable impasse, la seule solution étant de payer pour s’en affranchir. Le fait que les internautes installent eux-mêmes ce programme ne change rien. La liberté de contracter des entreprises est sensiblement affaiblie. La position dominante de la société Eyeo est démontrée par le fait que de grandes sociétés américaines soient forcées de payer des sommes considérables pour adhérer à la liste blanche.

D’après cet arrêt, Adblock Plus ne peut plus être distribué en Allemagne ou maintenu dans ses versions antérieures dans la mesure où cela affecterait les sites édités par Axel Springer. Cependant, cette décision n’est pas définitive, la société Eyeo a prévu de se pourvoir en cassation auprès du Bundesgerichtshof.

 

Lien vers la décision : https://www.justiz.nrw.de/nrwe/olgs/koeln/j2016/6_U_149_15_Urteil_20160624.html

 Avec la participation de Hasna Louze, Juriste IP