Le pouvoir des données, bientôt sans contre pouvoir ?

Le gouvernement vient de rendre public un jeu de données qui permet d'accéder aux 9 millions d'entreprises et 10 millions d'établissements actifs du répertoire Sirene de l'Insee. Quel est l’enjeu d’une telle ouverture et quels sont les risques identifiés ?

Confrontation de deux visions antagonistes

Rappelons en préambule, que deux pensées s’affrontent. D’un côté les partisans d’une ouverture massive des données qui considèrent, à l’instar d’Alex Pentland dans Sociophysique, qu’elle permettra aux sociétés de mieux contrôler leur gestion et d’apporter aux administrés un service optimisé en termes d’efficacité et de coût. De l’autre les opposants pour qui la libéralisation des données et son pendant, la réglementation algorithmique, est synonyme de "fin de la vie privée". Nous retrouvons dans ce camp des militants comme Evgeny Morozov. Dans son ouvrage Le mirage numérique : Pour une politique des big data il montre que la marchandisation progressive des données sur un individu est une porte ouverte à la main mise sur sa vie privée.

Vers la création d’un Service Public de la Donnée

Conscients des enjeux, les gouvernements tentent de trouver un modèle d’économie collaborative qui servent les intérêts du plus grand nombre en s’appliquant à respecter les libertés individuelles. CNIL et CADA (Commission d'accès aux documents administratifs),  veillent, pour l’une, dans la sphère privée, à l'application de la loi "Informatique et Libertés" ainsi que des directives européennes en matière de protection des données, pour l’autre, dans le secteur public, à l’accès aux documents par les citoyens. 

La loi pour une République numérique votée en septembre dernier, avait prévu à l’article 9 la création du Service Public de la Donnée. Ce dernier dont la publication du décret d’application est imminente, a pour objet de "faciliter la réutilisation de ses principales bases de données par les acteurs publics ou privés (entreprises, associations, chercheurs...), en leur garantissant un niveau de qualité de service". Trois millions d’euros seraient alloués  à la mise en place d’une infrastructure de données, selon les mots d’Axelle Lemaire. Cet investissement servira à dépasser la mission initiale d’open data.

Quelles obligations légales protègent les citoyens ?

Quelles sont aujourd’hui les obligations légales attachées à l’utilisation des données de la base Sirene ? La première est de se conformer à la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, dite Loi CNIL qui stipule notamment dans son article 1* "L'informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s'opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Toute personne dispose du droit de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel la concernant, dans les conditions fixées par la présente loi”. 

Le deuxième avertissement concerne la date de mise à jour des données. Le site www.data.gouv.fr précise que, selon l’usage du jeu de données, il est de la responsabilité de chacun de s’assurer qu’il s’agit bien du “statut de diffusion le plus récent de chaque personne physique”. L’avenir nous montrera si les gouvernements ont su déployer une vision commune et internationale de l'utilisation des données dans le respect des libertés publiques dont la garantie de la préservation de la vie privée ?