Heutagogie (quoi ?) et compétences

Dans une année de bouleversement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, les outils numériques de e-learning ont le vent en poupe. C'est l'occasion d'adjoindre à l'ère digitale l'ère heutagogique. Mais qu'est ce qui se cache vraiment derrière ce terme ?

Comment de fois entendons nous ce propos convenu "Faire de l’apprentissage une filière d’excellence". Depuis l’ICT Spring de 2015 où j’ai présenté pour la première fois mon idée d’un agrégateur de compétences au service de toutes et tous, allant jusqu’à remettre une lettre manuscrite au Ministre de l’Education du Luxembourg, Claude Meisch, j’ai toujours eu la conviction que les notions même de compétence, et de filière devaient être revues. Plutôt qu'envisager une, ou des filières d'excellence, je préfère parler de repenser entièrement le processus même d'apprendre. Les politiques de formation ont pour priorité l'accès à la qualification.

Nous avons créé un grand nombre de "cases", allant de la formation initiale à la formation continue, en découpant primaire, secondaire, universitaire, formation professionnelle, reconversion… L’histoire n’a, il est vrai, pas toujours été tendre avec l’apprentissage, la rejetant parfois en simple voie de garage.

Je me suis toujours refusé à envisager les outils numériques pour la formation sous le prisme des niches. A mon sens, la formation s’entend comme un processus cognitif complexe, reposant sur une évolution progressive et permanente : c’est le LifeLong Learning (LLL), l’apprentissage tout au long de la vie.

 

Je me suis donc rapidement considéré comme un heutagogiste, nom barbare qui reste probablement à définir. L'heutagogie, ou l'apprentissage autodéterminé comme le définissent Stewart Hase et Chris Kenyon, repense la façon dont nous envisageons l’acte d’apprendre. Cette approche novatrice de la pratique éducative se fonde sur des concepts proches du constructivisme et des neurosciences.

 

Un concept clé en heutagogie est celui de l'apprentissage en boucle double présenté par Eberle et Childress en 2005. Dans l'apprentissage en boucle double, les apprenants considèrent le problème, tout comme l'action et les résultats qui en résultent (première boucle), en plus de réfléchir sur le processus de résolution de problèmes et comment cela influence leurs propres croyances et actions. Cette mise en valeur de la résolution de problème est très présente, sur le plan scolaire, dans la méthode de Singapour pour les mathématiques en primaire, qui la considère comme un des fondamentaux du cycle 2 (CP-CE1-CE2) au même titre que les 4 opérations.

Dans une pédagogie dite heutagogique, les apprenants acquièrent à la fois des compétences et des capacités, la compétence étant la mise en œuvre d’acquis d’apprentissage d’une manière appropriée dans un contexte défini (éducation, travail, informel), et la capacité se caractérisant par la confiance de l'apprenant dans sa compétence et son aptitude à prendre des mesures appropriées et efficaces pour résoudre des problèmes.

A travers ce prisme, le principe de blocs de compétences dont on entend si souvent parler prend tout son sens. Si l’on entend par "Bloc de compétence" le sens attribué par La Commission Nationale de la Certification Professionnelle, il d’agit : d'une partie identifiée d'une certification professionnelle enregistrée au RNCP, d'un ensemble homogène et cohérent, d'un bloc identifié par une référence unique : il est spécifique à une certification particulière, d'un bloc certifié, ce qui implique une évaluation des compétences et une validation d'acquisition des compétences (délivrance d'un certificat).

L'évaluation des acquis des élèves dans les domaines de formation du socle commun se fait, lui, en lien avec des référentiels d’enseignement.Les acquis des élèves dans chacun des domaines de formation de ce socle socle commun sont évalués au cours de la scolarité sur la base des connaissances et compétences attendues à la fin des cycles de formation. Le livret personnel de compétences permet de suivre cette progression des apprentissages.

 

Cette conversion des référentiels en compétences est une évolution majeure de ce siècle, et les aptitudes liées impliquent de réfléchir de façon continue sur le processus d'apprentissage, de savoir communiquer et travailler en équipe. Cette évolution offre un éclairage particulier à l’apport de l’heutagogie, qui redéfinit le concept même du cursus. Certains principes peuvent apparaître déstabilisants : apprendre quand l'apprenant est prêt, l'apprentissage est un processus complexe qu'il faut pouvoir maîtriser et découper, l'apprentissage est déclenché par un apprenant.

Dans un contexte de e-learning, un principe de volonté d’apprendre par soi-même s’ajoute. En tant qu’apprenant, je bâtis mon propre chemin. Ce chemin est semé de cailloux, compétences que je souhaite acquérir. Comment parcourir ce chemin ? Si mon chemin est identique que celui de mon voisin, allons-nous finalement vivre la même expérience ? Dans cette vision-là, point de filières d’excellence ou de voies de garage, mais un parcours adapté à l’excellence très personnelle de chacune et chacun.

Terminons par une audacieuse comparaison entre un e-learning traditionnel et un e-learning heutagogique. Lorsque l'on a voulu transposer des cartes routières en numérique, deux modèles se sont opposés. Le modèle Google qui consistait à compiler l'ensemble des carte existantes pour en faire une gigantesque carte électronique. Et le modèle Waze. Dans ce cas, l'utilisateur crée la carte. Lorsqu'il circule, la nouvelle carte électronique se crée. Basée sur les parcours les plus fréquents, les plus pertinents, c'est une cartographie basée sur l'usage.

L’heutagogie, c’est confier aux apprenants leur parcours, un parcours qui sera tout sauf linéaire, tout sauf prévisible. Cette vision créative de la formation est à mon sens la réponse d’aujourd’hui aux besoins de montée en compétence, aux nouveaux métiers, aux nouveaux usages. C’est la première pierre du e-learning 2.0.