Managers, ne répliquons pas le schéma Gilet Jaune/Élite dans nos organisations

Politique et management sont deux sphères différentes. Pour autant, ne nous privons pas de réflexions croisées, surtout si elles peuvent éviter souffrances et tensions à nos collègues comme à nos organisations.

Le mouvement Gilets Jaunes, ignoré et sans organisation à son début, est devenu le miroir grossissant de toutes les crispations d’un pan de notre pays. Est-ce un pur sujet politique ? La sphère professionnelle est-elle totalement étanche à ces problématiques ? En tant que manager ne suis-je pas en train de créer ou négliger une situation similaire au sein de mon entreprise ? Et si oui comment l’identifier et l’éviter ? 

De quoi s’agit-il ? Des accumulations empoisonnées

Combien de réflexions ai-je entendues, à la machine à café ou entre deux couloirs, sur "les problèmes du nouvel open-space" ou "les vrais sujets" pour changer les choses ? Je n’y entends qu’un brouhaha de desiderata égoïstes, décousus et court-termistes. Pourtant, n’est-ce pas aussi un signal d’alerte que je capte mal ? Derrière ces mots j’oublie trop vite les frustrations, parfois profondes, et les incompréhensions, toujours réelles.

En persistant à porter un discours d'évolution permanente, j’alimente une certaine méfiance vis-à-vis du management. "Ils" ne traitent pas les bons sujets. "Ils nous parlent de changement donc ils se sont trompés, donc ils ne savent pas où ils vont".

Et le phénomène empire quand des émotions ou des perceptions hâtives viennent supplanter la raison ou les faits.

Que risque-t-on ? Un blocage de tout mouvement

Soyons lucides : laisser durer une telle situation n’est pas sans danger. Bien sûr, je peux négliger ces remarques ou oublier de répondre à tous les malentendus relevés ici ou là. Ce faisant, je nourris moi-même les futurs espoirs déçus et leurs conséquences : sentiments de mépris, d’abandon ou de trahison.

Comment mobiliser un collaborateur qui se sent, peu ou prou, dupé ? Surtout quand je n’en ai que très partiellement conscience. Peu à peu, mes sollicitations managériales vont rencontrer une indifférence croissante et atteindre cette forme de grève non-dite : la démobilisation. Et ce n’est pas le pire que peut connaître mon organisation !

Le pire c’est la révolte. Un jour, un projet, peu importe son sujet, sera l’effort de trop, celui de la cristallisation de toutes les rancœurs précédemment accumulées. Moi je n’y verrai qu’une colère très mal ciblée, visant un projet sain en tout point. Mais les "gilets jaunes de l’entreprise" y verront un ultime signal d’alarme, le moment de marquer leur rébellion face à une déconnexion trop flagrante.

Comment l’éviter ? Une renaissance du dialogue social

Rien n’est inéluctable ou insurmontable. Si révolte il y a, c’est certes de la colère mais aussi un signe de vitalité, voyons-en la part positive… et essayons de ne pas en arriver là. Pour cela, je dois être vigilant sur mon attitude, la notion de vision future partagée et les moyens de dialogue collectif.

Tout d’abord, à moi de me demander si je suis réellement sincère dans mon discours et intègre dans mes actes. Par exemple : "Cet effort sera récompensé de telle manière, ni plus, ni moins". J’accepte de décevoir ceux qui attendent plus mais, en expliquant et tenant mon engagement, je construis une confiance managériale durable.

En regardant un peu plus loin, je dois me demander si nous sommes tous capables de nous projeter dans l’organisation. Et plus délicat encore, si chacun le fait avec envie et sérénité. Trajectoire collective, trajectoires individuelles, causes et conséquences : il me faut concilier honnêteté, pédagogie et sens de l’écoute pour m’assurer que chacun voit son évolution dans le mouvement d’ensemble.

Mais attention, on le sait tous, rien n’est plus frustrant que d’être prisonnier d’un mouvement sur lequel on n’a ni prise ni poids. C’est donc là où le dialogue s’impose. Un véritable dialogue. Pour cela il faut des moyens (réunions régulières, web conference avec questions/réponses ouvertes, réseaux sociaux internes, instances représentatives…). Il faut aussi et surtout de l’humilité. Les sujets d’échange ne peuvent pas être uniquement ceux voulus par le top-management. Bonus, ce dialogue ouvert est aussi le meilleur moyen de retisser de la raison là où elle commence à s’effilocher. Ainsi, écoutons les ressentis de chacun sur la délicate saisie des notes de frais mais écoutons aussi l’expert, le directeur administratif et financier, nous rappeler ce que la loi impose et encourageons les initiatives réalistes et inattendues nées de cet échange. La surdité managériale n’est ni une nécessité pour préserver la pureté du plan d'actions ni une maladie incurable liée aux affres de l’organisation.

Vous estimez qu’il n’y a rien de commun entre l’animation autour d’une machine à café en semaine et l’agitation autour d’un rond-point le week-end ? Ou vous préférez agir pour éviter la rémanence du phénomène ? Evidemment tout n’est pas exactement comparable. D’une part, l’entreprise n’est pas une démocratie et d’autre part il est bien plus facile de changer d’employeur que de pays. Ne tirons donc du Gilet Jaune ni une stratégie d’entreprise ni un dress-code permanent. Mais posons-nous des questions, ouvrons-nous à davantage d’innovation managériale, renforçons la compréhension mutuelle. Le vrai partage d’information, les interactions concrètes, l’intelligence collective voilà ce qui fait grandir chacun de nous et chacune de nos organisations.