Cadres : objectif remotivation Mais de quoi se plaignent-ils ?

"Les cadres sont mieux lotis que les autres", "oui mais ils sont plus stressés", "leur travail n'est pas le plus pénible", "avec ce qu'ils gagnent, ils ne devraient pas se plaindre"... Pour faire le tri dans ces idées reçues, 3 experts analysent la situation des cadres. 

"Les cadres ne sont pas les plus malheureux"

Stress, troubles musculo-squelettiques (TMS), pénibilité : sur tous ces sujets, les cadres ne sont pas les plus à plaindre.

eric albert
Eric Albert © E. Albert

"Plus vous montez dans les échelons hiérarchiques, moins vous êtes stressé", confirme Eric Albert, psychiatre et fondateur de l'Institut français d'action sur le stress (Ifas). Un constat qui mérite cependant quelques nuances. Il souligne ainsi la situation particulière des managers de proximité, "pris entre l'enclume et le marteau et considérés comme de simples exécutants".

Certes, les cadres ne portent pas de sacs de ciment et ne passent pas 150 boîtes de petits pois devant un lecteur optique par jour. Mais ils ont de "lourdes" responsabilités. "Ce ne sont pas les responsabilités qui sont facteur de stress, rétorque Eric Albert, tant qu'on a la marge de manœuvre nécessaire." 

"Ca n'a rien de nouveau"

Cela fait par ailleurs 30 ans qu'on nous serine la même rengaine sur le malaise des cadres. Depuis le temps, s'ils étaient vraiment malheureux, ça ferait longtemps qu'on aurait trouvé une solution.

Soit, le problème n'est pas nouveau. Pour David Courpasson, professeur à l'EM Lyon et co-auteur de Quand les cadres se rebellent, "le phénomène s'est accentué, non pas à cause d'une détérioration objective des conditions de travail, mais parce que les cadres hésitent moins à parler de leur expérience et à agir."  

bénédicte haubold
Bénédicte Haubold © Renaud Visage

Bénédicte Haubold, fondactrice du cabinet de conseil en gestion de situations humaines difficiles Artelie Conseil, partage cette position. Elle explique que les ouvrages sur le harcèlement moral puis le rapport Nasse-Légeron sur le stress ont contribué à libérer la parole sur les problèmes vécus au travail. "Cela a toujours existé et ce n'est pas qu'un phénomène médiatique, analyse Bénédicte Haubold, on demande à tout le monde d'avoir plus de responsabilités, d'être davantage proactif, de dépasser le cadre de sa fonction... Cela crée une plus grande angoisse."

L'interdiction de se plaindre

C'est justement cette interdiction sociale de se plaindre que dénoncent de nombreux cadres. Dans L'Open space m'a tuer , ouvrage décapant qui stigmatise les affres de l'entreprise moderne, deux collègues parlent de leur manager, au bord du gouffre : "- Le pauvre Julien, il a l'air d'être sous pression ! Je n'aimerais pas être à sa place. - Tu me donnes ce qu'il gagne, j'assume sans problème." Parce qu'ils ont un salaire supérieur à la moyenne (bien que les écarts diminuent), un statut reconnu (ou qui l'a été), un bureau rien qu'à eux (enfin, avant l'arrivée de l'open-space) et un diplôme rassurant (pas tous bien sûr), les cadres se doivent d'afficher un sourire extatique. Une façade idyllique que certains n'hésitent plus à craqueler pour afficher leurs états d'âme et inquiétudes.