Jacques Stern (Edenred) "Nous émettrons 25 000 cartes Ticket Restaurant en avril"

Dans les startings-blocks depuis longtemps, le PDG d'Edenred n'attendait que le feu vert du législateur pour lancer son offre électronique.

Jacques Stern, qui est à la tête d'Edenred depuis 2010, se régale. A compter du mercredi 2 avril, les titres restaurant dématérialisés, sous forme de cartes à puce par exemple, pourront enfin être utilisés en France pour payer les commerçants. Ce "top départ" donné par le législateur, le patron de l'éditeur des Tickets Restaurant, qui a déjà commercialisé son offre numérique dans la plupart des pays où il est implanté, l'attendait avec impatience. Déjà rodé, donc, Jacques Stern partage avec les lecteurs du JDN ses prévisions quant à la manière dont ce changement sera accueilli dans l'Hexagone.

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Jacques Stern, président-directeur général d'Edenred. © Julien Faure REA

JDN. Quand lancerez-vous votre offre de titres restaurant dématérialisés ?

Jacques Stern. Dès le mois d'avril ! Nous passons de la phase pilote à la phase de commercialisation. Une vingtaine d'entreprises clientes nous avaient en effet demandé d'équiper quelques-uns de leurs salariés. Parmi elles, des cabinets d'avocat, des banques d'affaires ou encore des SSII. Si elles s'intéressent à cette solution, c'est, entre autres, parce qu'elle leur permet de simplifier toute la logistique liée à l'envoi des carnets de titres restaurant à des collaborateurs éparpillés aux quatre coins de la France. Dans les mois qui viennent, nous équiperons en priorité les collaborateurs des entreprises pilotes, puis nous partirons à la conquête des acteurs confrontés à des contraintes logistiques plus fortes que les autres, comme les très petites entreprises (TPE). Ces dernières avaient jusque-là à supporter un coût administratif exorbitant par rapport à la valeur perçue par leurs salariés. Au fond, le titre restaurant sous format papier revenait plus cher aux petites entreprises qu'aux grandes. Maintenant, avec le numérique, ce sera moins le cas.

"Le titre restaurant, 3,6 millions de salariés l'utilisent depuis 50 ans. La carte, il va falloir l'insérer dans un terminal de paiement. Pour les bénéficiaires, c'est un nouveau geste"

Qu'avez-vous appris de cette phase pilote ?

Cela nous a avant tout permis de tester la solution technique, car la carte Ticket Restaurant est une carte avec autorisation systématique – à chaque fois que le titulaire la passe dans un terminal de paiement, une autorisation est demandée à la plateforme –  ce qui nécessite toute une gymnastique de connexion. Cela nous a aussi permis de savoir comment l'écosystème, c'est-à-dire les entreprises, leurs collaborateurs et les restaurateurs, allait réagir. Le titre restaurant, 3,6 millions de salariés l'utilisent depuis 50 ans. La carte, il va falloir l'insérer dans un terminal de paiement. Pour les bénéficiaires, c'est un nouveau geste. Pour les services ressources humaines des entreprises, c'est une gestion des commandes et une distribution simplifiées. Nos clients attribueront une carte à leurs collaborateurs et la rechargeront tous les mois sur le Web. Ils n'auront plus besoin de mettre les carnets de titres restaurant au coffre si les salariés sont absents le jour de la distribution.

Pensez-vous que l'accueil réservé à la carte Ticket Restaurant sera favorable ?

Nous avons dématérialisé notre offre dans la plupart de nos pays depuis une dizaine d'années déjà. Par expérience, nous savons donc que la transition totale prendra 5 à 7 ans. Il y a d'un côté les geeks du titre restaurant, qui trouvent cela formidable d'emblée de troquer leur carnet de tickets contre une carte, et de l'autre des gens qui mettront plus de temps à se laisser convaincre. Mais c'est aussi par l'innovation que nous changerons les comportements. Le numérique n'est pas qu'un support : pour nous, c'est aussi l'opportunité de proposer de nouveaux services à nos clients. Par exemple, nous enverrons aux titulaires des cartes des offres promotionnelles dont ils pourront bénéficier dans des restaurants qui se trouvent autour d'eux. Ils auront aussi la possibilité de consulter leurs dernières transactions, le solde de leur compte... Autant d'éléments qui devraient les inciter à passer du titre papier à la carte.

"Nous savons que la transition totale prendra 5 à 7 ans"

Et du côté des commerçants ?

Les commerçants n'auront pas d'investissement à faire puisque comme la carte Ticket Restaurant passera dans le même terminal de paiement que les cartes bancaires, ils devraient se laisser rapidement séduire par la perspective d'avoir moins d'administratif à gérer. Pour autant, nous savons déjà que la courbe des commandes ne sera pas linéaire, car c'est ce qui s'est produit dans tous les autres pays où nous sommes implantés. Une première vague de clients se montreront intéressés, puis nous stagnerons à un palier avant que cela ne reparte de façon plus régulière.

Quels sont vos objectifs en termes d'équipement et de part de marché ?

Nous devrions émettre environ 25 000 cartes courant avril. Aujourd'hui, nous avons une part de marché de 35% sur le papier. Il n'y a pas de raison qu'elle soit inférieure sur le numérique. A terme, nos concurrents proposeront eux aussi le support numérique. La bataille sur les parts de marché réside donc plus dans les services que nous allons créer autour de la carte, comme les promotions géolocalisées envoyées aux bénéficiaires via leur smartphone. Avec la carte, il y aura un bénéficiaire connu, avec qui nous pourrons échanger grâce au numéro de portable auquel sa carte est associée. Cela va nous permettre de lier la promotion avec l'acte de paiement. Grâce à la carte Ticket Restaurant, nous serons en mesure de proposer plus facilement des offres différenciantes et donc de fidéliser plus facilement nos clients et nos bénéficiaires.

Et quel est le montant du titre restaurant moyen en France ? Y-a-t-il des secteurs plus généreux que d'autres ?

Le montant moyen s'élève à 7,42 euros. C'est plus à Paris et moins en Province. Et c'est aussi plus dans les entreprises du secteur tertiaire. C'est tout ce que je peux dire sans trahir la confidentialité que me demandent mes clients...

"Le système de porte-monnaie électronique sur mobile que nous avons développé en Angleterre fait partie des innovations que nous pourrions sortir en France dans les semestres à venir"

Le marché des titres restaurant est aujourd'hui mature en France. Sur quelles pistes travaillez-vous pour innover et répondre à de nouveaux besoins ?

Le marché est mature et immature à la fois. Seules 3,6 millions de personnes sont équipées en titres restaurant. En soit, c'est beaucoup. Mais par rapport au marché potentiel, c'est-à-dire 20 millions, c'est peu. Il reste donc encore 16 millions de bénéficiaires potentiels à conquérir. Côté innovations, celles qui verront le jour dans les années qui viennent tournent autour du numérique, et notamment du paiement par mobile. Nous commençons par la carte, mais à trois, quatre ou cinq ans, notre offre sera multimodale : nous équiperons les collaborateurs de nos clients d'une carte, mais aussi d'une application mobile qu'ils pourront recharger et qui leur permettra de payer chez les commerçants. En Angleterre, nous avons déjà développé un système de porte-monnaie électronique sur mobile. Cela fonctionne bien, surtout à Londres et pour les transactions inférieures à 20 livres. Cela fait partie des innovations que nous pourrions sortir en France dans les semestres à venir. Mais il faudra d'abord que les terminaux de paiement des commerçants et les smartphones des clients soient équipés de la technologie NFC. Tout cela prendra donc du temps.

Et côté services, sur quelles innovations planchez-vous ?

Nous sommes assez productifs, et pas seulement dans l'Hexagone. Ces trois dernières années, nous avons mis au point plus d'une trentaine de nouvelles solutions dans le monde. La carte dédiée à la gestion des frais de déplacement professionnel en fait partie. Elle est approvisionnée par l'entreprise et lui permet de "tracer" les dépenses de ses collaborateurs qui, en l'utilisant, réduisent leurs frais de déplacement de 10 à 15%. Tout le monde y trouve son compte : les salariés, eux, n'ont plus à avancer l'argent et ne sont plus exposés au non remboursement de leurs frais s'ils oublient de fournir leur justificatif à leur employeur. Cette solution a été lancée il y a environ deux ans en Italie et en Espagne, et nous la testons actuellement en Pologne. Nous proposons aussi une carte pour la gestion de flottes de véhicules. Le système permet à l'entreprise de s'assurer que ses salariés utilisent les véhicules à bon escient et s'arrêtent aux stations-services partenaires de notre programme pour bénéficier des meilleurs tarifs.

"La carte Ticket Restaurant nous offre la capacité de créer de nouveaux programmes et d'en vendre plus à nos clients"

Est-ce que les besoins de vos clients varient beaucoup d'un pays à l'autre ?

Notre activité est très liée aux caractéristiques locales. Si la solution Expendia Smart, dédiée à la gestion des frais de déplacement professionnel, a été lancée en Italie, c'est parce que là-bas, les entreprises donnent des avantages de cash aux bénéficiaires. Notre offre leur simplifie donc la tâche. En Espagne, nous venons de sortir une solution qui permet aux commerciaux en déplacement professionnel de déjeuner le midi avec l'argent de l'entreprise, grâce à une carte prépayée. Mais pour bénéficier de cet avantage, ils doivent respecter un certain nombre de règles : par exemple, déjeuner entre 12 heures à 15 heures ou dîner entre 19 heures à 22 heures, pour un montant bien déterminé, dans un réseau d'établissements lui aussi bien déterminé.

Et hors d'Europe ?

Autre exemple, aux Etats-Unis, où les frais de santé sont gérés par des sociétés privées, nous avons lancé le programme NutriSavings. Le principe est simple : à chaque fois qu'un salarié passe dans l'un des 30 000 supermarchés partenaires, il est identifié. En fonction de la note attribuée aux produits qu'il achète, il reçoit des incentives de la part de son employeur. Et passer du carnet de titres restaurant à la carte Ticket Restaurant nous donnera une porte d'entrée pour présenter aux entreprises l'éventail de solutions digitales que nous pouvons leur proposer. Pour nous, la carte Ticket Restaurant ne constitue pas tant une économie de coûts que la capacité à créer de nouveaux programmes et à en vendre plus à nos clients.

Est-ce que ça veut dire que vous envisagez de proposer ces services en France ?

La carte de gestion des frais professionnels fait partie des pistes sur lesquelles on travaille et son lancement ne saurait tarder. Mais nous voulions d'abord lancer la carte Ticket Restaurant. Quand les entreprises commencent à goûter au numérique pour la gestion des titres restaurant, elles sont plus enclines à prendre de nouvelles solutions.