Cinéma : la coproduction France - Belgique/Luxembourg est une réalité efficace

Les coproductions avec la Belgique et/ou le Luxembourg sont une composante indéniable du paysage cinématographique français. A titre indicatif, en 2012 on comptait 46 coproductions franco-belges et 15 coproductions franco-luxembourgeoises.

Il convient ici de se pencher sur le les circonstances favorisant le développement de ces relations. Il est évident que la proximité existant entre ces pays est  primordiale, tant sur le point de la langue que de la géographie. Néanmoins cette seule proximité n'explique pas le  volume si important des coproductions Franco-Belges et/ou Luxembourgeoises.
Nous tenterons ici de dégager les cadres et les bénéfices de la coopération entre la France, la Belgique et/ou le Luxembourg en matière cinématographique et  à ces fins nous distinguerons dans un premier temps les relations franco-belges (I) avant de nous intéresser aux relations franco-luxembourgeoises (II).

I) Belgique : des liens anciens et un système d'aides attractif

Les relations cinématographiques franco-belges sont anciennes et relativement intenses. Ces dix dernières années elles ont de plus  connu un renouveau avec la signature d'un nouvel accord de coproduction en 2003. Surtout, la même année la  mise en place d'une incitation fiscale, le Tax Shelter  (TS) en Belgique a ravivé l’intérêt pour les coproductions avec la Belgique.

1) L'accord de coproduction Franco-belge

La France et la Belgique bénéficiaient depuis la fin des années 70 de l’entrée en vigueur d'un traité de coproduction, ce dernier a été remplacé afin d'actualiser les mesures applicables aux coproductions franco-belges.
Dans le cadre de cet accord, les parts d'un coproducteur peuvent osciller entre 10 et 90 %. Cela permet à un coproducteur minoritaire d'entrer en coproduction avec un faible apport. Ce taux est très avantageux et accroît les possibilités de coproductions franco-belges.
Cependant afin d’être reconnue la coproduction doit être une réelle collaboration. En ce sens l'accord prévoit que la participation du coproducteur minoritaire fasse intervenir des auteurs, cadres et comédiens belges  (2 ou 3 intervenants minimum selon les postes).  Surtout, l'accord exclut les coproductions financières et rappelle qu' “Un équilibre général doit être réalisé  tant en ce qui concerne les contributions artistiques et techniques que les contributions financières”
Ainsi  reconnues les coproductions  sont considérées comme œuvres cinématographiques nationales conformément à la législation et bénéficient des aides nationales à la production.

2) Les aides nationales et régionales en Belgique

Les aides nationales  belges proviennent soit du centre du cinéma et de l'audiovisuel (CCA) pour la Wallonie, soit du Flanders audiovisueel fund (FAV) pour la Flandre, disposant respectivement d'un budget annuel de 10 et 12 millions d'euros. 
L'aide apportée par la CCA peut atteindre 350 000 euros, dans la limite de 50 % du budget du film.
Ce pourcentage  peut être plus haut pour les premiers films ou  les films difficiles. Le montant octroyé doit être intégralement dépensé dans la communauté française de Belgique.
Le soutien du FAV peut lui atteindre 750 000 euros dans les limites de 50 ou 75 % du budget pour les premiers  films, les films produits en dessous de 2,5 M ou encore les films avec un lien culturel fort avec la Flandre. Il doit être entièrement dépensé dans les Flandres, bien qu'il puisse arriver que cette obligation soit minorée.
Ces deux fonds réunis aident en moyenne 53 coproductions par an, la plupart étant de majorité belge.

Des aides régionales sont également  dispensées en Belgique par Screen Flanders, Wallimage ou Wallimage-Bruxellimage. Elles reposent toutes sur une localisation des dépenses dans la région concernée. Leurs montants maximum sont respectivement de 400 000 pour Wallimage et Screen Flanders et de 300 000 euros pour Wallimage-Bruxelle. A titre d'exemple, des films franco-belges  comme Populaire ou De rouille et d'os ont bénéficié du soutien du fonds Wallimage et La merditude des choses ou Les triplettes de Belleville de celui de Screen Flanders.
Néanmoins et  même si ces aides sont  conséquentes la mise en place en 2003 du Tax Shelter (TS) est devenu l'atout majeur du pays.

3) Le Tax Shelter

Le TS est un système d'incitation fiscale en faveur de la production cinématographique. Le principe du  TS étant qu'une société qui participe au financement d'un film dans les conditions définies par la loi pourra bénéficier d'une exonération d’impôt. L’article 194ter du Code des impôts sur le revenu prévoit ainsi que, afin de bénéficier de ce mécanisme, une convention-cadre doit être établie entre un investisseur et une société résidente de production audiovisuelle afin de financer une œuvre audiovisuelle belge agréée.
L'investisseur peut être toute société résidente belge ou toute société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) en Belgique, à l'exception des sociétés de production et de télédiffusion. La société de production doit avoir son siège social en Belgique et être soumise à l'IS. Enfin, l’œuvre audiovisuelle doit être destinée à l'exploitation cinématographique, reconnue comme une œuvre européenne et surtout faire l'objet de dépenses de production en Belgique à concurrence d'au moins 150% des sommes globales affectées autrement que sur forme de prêts, l'assiette des dépenses éligibles étant large.
Il est entendu que l'investissement fait au titre du TS dans un film ne doit pas, en toutes circonstances, dépasser 50 % du budget total du film.
A conditions de répondre à ces critères l'investisseur pourra déduire de son bénéfice imposable 150 % des sommes investies dans une œuvre audiovisuelle au titre d'une participation sous forme de coproduction ou 90 % de son investissement global.
En effet, d'un point de vue financier le système est complexe il implique un investissement séparé entre un prêt (40 %) et une participation financière au film sous forme de parts de coproduction, 60 %,  il est entendu que 51 % sont récupérés directement du fait de l’exonération d’impôt.
Dans les faits, pour faciliter l’accès au TS, des intermédiaires venant du monde de la finance (uFund, ScopeInvest) ou de l'audiovisuel (Corsan, Casa Kafka, Inver Invest) proposent des montages financiers qui réduisent substantiellement les risques inhérents à la production audiovisuelle, et transforment l'investissement fait au titre du TS en un produit financier avec un rendement minimum garanti.
Ce point est important car la récupération de la partie du TS en participation, si elle est  en partie garantie par l’exonération, d’impôt reste risquée et dépend du succès du film financé. Ces structures ont donc permis de faire du TS une pratique courante et de générer des investissement massifs en faveur du cinéma. L’année de sa mise en place un peu plus de 10 millions d’euros étaient levés et en 2011 le montant des fonds levés a dépassé 150 M d'euros.   
Le TS est devenu un mécanisme habituel dans le financement des films belges ou coproduits avec la Belgique. Sur l'ensemble des dossiers clôturés depuis le début de la mise en œuvre du dispositif, la part de financement émanant du TS représente 18 % du budget des films de longs métrages concernés.
De très nombreuses coproductions franco-belges bénéficient chaque année du TS.
Des films aussi différents que La vie d’Adèle, Bye Bye Blondie, ou Henri de Yolande Moreau qui sorti en décembre dernier en France ont tous bénéficié d'un financement par le mécanisme du TS.
Il est important de signaler qu'une loi est venue réformer le système en juin 2013, notamment en imposant un  niveau de dépenses "structurantes" pour le secteur. Concrètement, le rendement minimum garanti aux investisseurs a été abaissé de 4,52 % à près de 3,5 % et, surtout, au moins 70 % des fonds levés devront désormais être effectivement injectés dans la production propre et non plus dans des  frais indirects. Il s'agissait  alors de contrer les dérives du système qui pouvaient notamment pénaliser les films d'auteurs, moins rentables.
Il apparait cependant aux vues de l’actualité que cela n’a pas été suffisant. En effet ce début d’année est marqué par des révélations inquiétantes sur le mécanisme du TS : celui-ci favoriserait drastiquement les investisseurs au détriment des producteurs. En raison de pratiques frauduleuses il apparait que dans les faits les producteurs ne peuvent utiliser que 30 à 40 % des fonds levés.

Si les dérives du TS sont unanimement reconnues, il apparait que les avis divergent quant à la solution à y apporter. Certains sont partisans d’une réforme en profondeur du mécanisme et prônent la mise en place de certificats d’investissements, c’est le cas notamment de l’Union des Producteurs de Films Francophones et du fond Wallimage. D’autres proposent un renforcement du contrôle principalement la Belgian Film Producers Association qui  refuse de considérer les dérives comme une pratique généralisée et notent que "La proposition des certificats est excessive, inconsciente voire kamikaze." et fragiliserait la production belge.
Fadila Laanan, ministre de la Culture et de l'Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles a  rappelé à ce sujet  que "Le dispositif est essentiel » bien qu’elle reconnaisse la nécessité d’un « contrôle plus important » en accord avec le Ministre de l’économie Koen Geens. En ce sens un projet de loi a été déposé par le député Olivier Destrebecq qui prévoit un renforcement drastique des contrôles et un plafonnement des investissements.
Une chose est sure : le  mécanisme fondamental du TS sera maintenu. Sa forme cependant demeure plus incertaine, et une réforme en profondeur ne peut pas être écartée. Surtout le scandale des dérives du TS pourrait bien venir ternir l’image de terre d’accueil du cinéma que s’était forgée la Belgique.
Si la Belgique a un très fort potentiel quand il s'agit d'envisager une coproduction, il ne faudrait pas négliger un de ses proches voisins. En effet le Luxembourg dispose lui aussi d'un système avantageux et de producteurs enclins à travailler en coproduction.

II) Luxembourg : des dispositifs intéressants et des producteurs engagés

Avant d'entrer dans les détails il convient d’évoquer l’accord de coproduction conclu entre le France et le Luxembourg en 2003. Ce dernier  est assez classique : les seuils sont envisagés de manière souple et oscillent entre 10 et 90 % alors que la coproduction financière est écartée pour privilégier la collaboration artistique et technique.
Les aides luxembourgeoises présentent en revanche un intérêt évident pour des coproducteurs qu'il s'agisse du Fond national de soutien  à la production audiovisuelle (FONSPA) ou de la certification des investissements audiovisuels (CIAV).

1)  L'aide financière sélective à la production

Depuis 1990 le FONSPA, géré par le Film Fund, soutient l'industrie cinématographique en vue de son développement notamment via une aide financière sélective à la production. Son budget est important : 20M euros pour 2012. Pour obtenir l'aide sélective  il s'agit de remplir les conditions d'un test culturel. Dans les faits l’équation est simple : atteindre 100 points au test culturel c'est obtenir un tiers de son budget de production. Le montant de la contribution du FONSPA est  plafonnée à 2,5 M d'euros, un plafond exceptionnellement haut qui est régulièrement approché. Le film Boule et Bill a ainsi obtenu un financement à hauteur de 2 millions d'euros ou « Avant l'hiver » de Philippe Claudel une aide de 2,2M d'euros.
Ce montant doit être dépensé dans le pays mais théoriquement l'aide n'est  pas soumise à un critère de localisation du tournage. Néanmoins dans les faits, afin d'obtenir les points du test culturel, il faut  que 50 % du tournage en moyenne ait lieu dans le Grand-duché. De plus de nombreux bonis sont prévus pour favoriser non seulement la localisation du tournage mais aussi l'emploi de techniciens locaux. A titre d'exemple il est possible d'obtenir une aide supplémentaire de 100 000 euros  si la partie tournée au Luxembourg est supérieur à 70 % du temps de tournage ou de 250 000 euros supplémentaires si le projet recueille 150 points dans la grille d'évaluation.
Le système de points prenant principalement en compte la localisation du tournage et l'emploi de techniciens locaux cela explique en partie une importante délocalisation des tournages vers le Luxembourg, mais c'est un dispositif fiscal qui en renforce réellement l’intérêt.

2) La certification des investissements audiovisuels

A la fin des années 80 le Luxembourg mettait en place  les CIAV : un incitant fiscal à l'investissement.  Les détenteurs d’un CIAV obtiennent un abattement de revenu imposable en fonction de leur investissement qui peut atteindre 30 % du revenu imposable du contribuable bénéficiaire dans la limite de 2,5M d'euros. En terme de chiffres, pour l’année 2009 le montant des abattements fiscaux aux termes du CIAV a dépassé 37 millions d'euros avec un montant moyen de 2,2 millions d'euros par film. Le CIAV est donc un mécanisme qui permet à un producteur d'obtenir  une part importante du financement d'un film.
Les dépenses prises en compte doivent avoir eu lieu au Luxembourg et les œuvres financées doivent aboutir. De plus le projet doit être conçu pour se réaliser principalement au Luxembourg et permettre de développer l'industrie nationale. Les dépenses éligibles sont cependant assez larges, ce qui favorise grandement la collaboration avec des producteurs luxembourgeois et  la délocalisation des tournages au Luxembourg. Le système du CIAV est très favorable à la création cinématographique, en effet tant son maximum élevé que l’étendue des dépenses éligibles le rendent attractif pour le montage d'un plan de financement. 
Le cumul de l'aide sélective et du CIAV peut permettre d'atteindre 5 millions d'euros pour le financement d'un film et, en seulement trente ans, les  montants extrêmement élevés des aides luxembourgeoises ont fait du pays un partenaire de choix pour la coproduction. Le directeur du FilmFund  indiquait à cet égard que "Ces deux dernières années, nous avons enregistré une hausse de 30 % à 50 % de demandes de soutien. ». Jani Thilges, producteur luxembourgeois, affirme même qu'il reçoit "tous les jours un scénario de film français en vue d'une coproduction".

3) Un système en développement

Le système luxembourgeois s'accompagne de producteurs très dynamiques qui ont su tirer profit des avantages nationaux pour se développer. Ils ont  surtout su comprendre que  produire veut souvent  dire coproduire. A titre d'exemple, la société de Nicolas Steil, The  Iris Group, a produit cinq films en 2012, tous français, parmi lesquels J'enrage de son absence, sélectionné à Cannes pour la Semaine de la critique. C'est d'ailleurs lui qui est à l'origine de la mise en place de Filmland, un espace dédié aux tournages et à la post-production cinématographique qui pourra accueillir jusqu’à 4 tournages simultanément. La mise en place d'une telle infrastructure vient consacrer le développement de l'industrie cinématographique luxembourgeoise  et promet de beaux jours aux coproductions qui pourront enfin installer des tournages au Luxembourg sans saturer les lieux de tournage.
Enfin, il  faut noter que c'est  pour la France et la Belgique que les collaborations  avec le Luxembourg sont les plus intéressantes, comme le rappelait Lisa Vignoli “Même langue, même culture et pays limitrophes : en matière de coproduction, le trio France-Belgique-Luxembourg fonctionne à plein régime.” Une société comme Tarantula s'est même divisée en deux entités, l'une belge, l'autre luxembourgeoise, the Iris group dont nous parlions précédemment est également détenteur des sociétés de production et de distribution  françaises Rezo et les coproductions tripartites sont monnaie courante.  En effet, les différents systèmes étudiés sont  compatibles entre eux et permettent des plans de financement faisant intervenir des aides des trois états et de nombreuses régions.
Il s'agit finalement de préparer le tournage de façon à bénéficier d'un apport le plus large possible. Pour un producteur français le plus gros risque est de perdre le bénéfice du crédit d’impôt, dont le cadre assez rigide est peu adapté à la coproduction, mais cette perte est largement compensée aux vues des bénéfices retirés des aides belges ou luxembourgeoises.
A titre d'exemple on peut citer le financement de films très différents de Comme t'y est belle de Lisa Azuelos à Abus de faiblesse de Catherine Breillat en passant par A perdre la raison de Joachim Lafosse ou Tip Topde Serge Bozon présent à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier.
Ce dernier, coproduit par les Films Pelleas (Fr) et Iris Productions (Lux) a ainsi bénéficié à la fois du Tax Shelter belge et d'un soutien du FONSPA luxembourgeois. Aux vues de ces exemples  il semble bien évident  que l'axe belgo-luxembourgeois est de plus en plus dense  et a un bel avenir au sein de la production cinématographique européenne, ce bien entendu sous réserve que le système d'aide du taxe shelter se pérennise.