Le bel avenir des commentaires en presse en ligne

L’Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d’Information (WAN IFRA) a interrogé 104 éditeurs dans 63 pays et 5 continents, sur leur perception du participatif dans leur site Web. Résultats ? Les meilleures pratiques des "Newsroom" de la planète.

le Community Manager« Les commentaires d’articles dans les médias en ligne sont infestés de propos racistes, homophobes et sexistes… » . Cette phrase aurait pu être tenue par toutes les rédactions Web en France. D’ailleurs, il est de bon ton de railler le peu d’intérêt éditorial de ces commentaires ; voire de penser qu’ils sont plus nuisibles qu’utiles !
Pourtant, c’est des États-Unis que vient cette déclaration, par le Community Manager du New York Times. Mais, contrairement à ce que l’on entend en France, il enchaine en expliquant que cela reste le meilleur moyen de savoir ce que les lecteurs pensent du sujet traité ! Mieux, la grande majorité des Rédactions Web du monde pensent qu’il ne tient qu’à eux de tirer la qualité des commentaires vers le haut. En résumé : le meilleur reste à venir !

C’est ce qu’il ressort de l’excellente étude de l’Association Mondiale des Journaux et des Éditeurs de Médias d’Information (WAN IFRA). Elle a interrogé 104 éditeurs prestigieux (dont Le Monde) dans 63 pays et 5 continents, sur leur perception du participatif dans leur site Web. Certes, tous déplorent qu’il faille modérer les lecteurs les plus extrêmes. Mais c’est plutôt l’enthousiasme qui prédomine, considérant que ces opinions extrêmes sont le fait d’une minorité et que l’on trouve dans les commentaires une quantité appréciable d’informations utiles. Pour ne citer que Die Zeit, en Allemagne : « Sous chaque article, il y a au moins un lecteur qui posera la bonne question ou le point que l’article ne traite pas alors qu’il aurait dû».
Pour le New Zealand Herald, « Nos focus groupe sont formels : cela accroit la fidélité et le temps passé sur notre site. En outre, cela apporte une variété de points de vue ». Le participatif serait une fenêtre permettant de mieux comprendre comment les lecteurs voient l’Actualité… et la façon dont elle est traitée par les journalistes.
Reste à identifier les commentaires pertinents de ceux qui n’ont qu’un intérêt limité. Et à accroitre leur proportion. L’étude du WAN IFRA révèle les nombreuses initiatives menées de ça et là partout dans le monde.

Voici les principaux enseignements que l’on peut en tirer

1) Recentrer les échanges sur un sujet précis

Chaque thème d’actualité peut se diviser en sous thèmes. Par exemple sur les Roms, on peut évoquer : leur capacité d’intégration, les nuisances des camps, les aides de l’UE pour leur retour, les petites phrases des politiques, etc… Il en va logiquement de même dans les commentaires.
D’autant qu’un article aborde souvent un sujet sous plusieurs angles. Difficile d’obtenir un débat constructif si les uns et les autres commentent un angle différent, les commentaires s’empilant sans ordre logique.
Résultat : un grand bazar inaudible.  Pour le Washington Post, ce que l’on obtient, « c’est un grand nombre de conversations sur différents sujets chauds de l’actualité, mais pas toujours cette réponse intelligible que l’on est en droit d’espérer ».
Pourquoi ne pas centrer d’emblée les échanges sur une thématique particulière ? Par exemple, en posant une question précise aux lecteurs à la fin de chaque article. Quand Eurosport.fr interroge ses lecteurs sur un débat précis, leur demandant de s’exprimer (pour ou contre) et de justifier leurs arguments, cela donne une confrontation de points de vue instructive et plaisante à lire.
Le choix de débat – et son intitulé – conditionnera fortement la qualité des échanges. De Standaard, en Belgique, fait également cela très bien (les questions figurent directement en bas de l’article) et remonte les meilleurs commentaires dans le journal papier du lendemain.

2) Intervenir dans les files de discussion

« Les conversation les plus pertinentes sont celles auxquelles nous participons. Nous essayons donc de le faire aussi souvent que possible » (Der Standard – Autriche). « Cela montre aux lecteurs qu’ils sont lus et que nous nous intéressons à eux » (Wall Street Journal). Ou encore : « La règle est simple, dès qu’on participe, la qualité de la conversation monte en flèche » (O Globo – Brésil).
La conversation est soudainement plus constructive, d’une part parce que les ‘trolls’ se font plus timides mais aussi parce que les lecteurs les mieux informés ont une occasion d’échanger avec leurs journalistes préférés.  Néanmoins, ces derniers ne sont pas toujours à l’aise pour dialoguer avec leur lectorat ou manquent tout simplement de temps. Mais les mentalités changent peu à peu à ce sujet. Et en attendant, les éditeurs recrutent de plus en plus souvent des Community Managers, en plus des modérateurs. Tout est question de moyens au final, mais c’est un autre débat.

3) Changer le format !

50, 100… parfois plus de 1000 commentaires les uns sous les autres par ordre chronologique.
Pourquoi diable faudrait-il garder les files de commentaires sous cette forme ? Cela ne peut que noyer les bons commentaires sous les autres et dissuader les bons auteurs de prendre du temps pour donner leur point de vue. Car l’ego est un des moteurs principaux du commentaire. On souhaite être vu, lu et si possible remarqué par le plus grand nombre.
Graal suprême : voir son commentaire repris par la Rédaction. Les initiatives dans ce sens se multiplient : faire une revue de commentaires (Le Point), mettre en avant les meilleurs commentaires (Le Figaro)…
Beaucoup permettent aux lecteurs de « liker » (ou l’inverse) chaque commentaire mais ce système à des défauts. En Finlande, le Helsingin Sanomat va plus loin en rajoutant le bouton : ‘bien argumenté’.
Les lecteurs ont la possibilité de ne lire que les messages jugés comme bien argumentés, quelle que soit l’opinion exprimée.
Le plus innovant reste le New York Times : « après 24h, le fil de discussion laisse place à une sélection de commentaires par nos soins, essayant de refléter une large variété d’opinions, notamment les minoritaires ». 
Une réflexion porte même sur le format. Le magazine américain Quartz n’a pas de commentaires mais des ... annotations ! Qui apparaissent sur le coté de chaque paragraphe d’article. Les lecteurs ne commentent plus un article mais une idée ou une information, développée dans un paragraphe spécifique. Une façon intelligente de remédier au point n°1 évoqué ci-dessus. 
Enfin, il en va de même quand un sujet occupe la Une pendant plusieurs jours et que plusieurs articles se succèdent; la conversation devient fragmentée. Le débat n’avance plus, chacun reprenant ses arguments de l’article précédent. Le fil de discussion linéaire doit laisser place à d’autres formats à inventer.
Ce ne sont que trois exemples parmi les nombreuses autres initiatives menées partout dans le monde. Et qu’il serait trop long de détailler ici. Mais toutes sont teintées de beaucoup de positivisme et d’une certitude commune : demain, la part du participatif dans les médias sera encore plus prépondérante.  Les commentaires ne sont plus un fardeau, mais une formidable opportunité, dès lors qu’on sait les valoriser et les intégrer harmonieusement au sein de la publication.
Le mot de la fin pour le Wall Street Journal : « Nos lecteurs débordent d’énergie et ont l’œil pour distinguer les forces et faiblesses des contenus qu’on leur propose. Cela fait de nous de meilleurs journalistes et nos Rédactions sont bien plus ancrées dans le monde d’aujourd’hui ».
A l’évidence, les commentaires de presse ont un bel avenir.