Presse magazine : les trois enseignements à retirer des dix dernières ventes connues

Lagardère a cédé récemment dix magazines aux belges Rossel et Reworld Media. Certains des titres cédés dont chacun découvre qu’ils sont déficitaires restent cependant de « jolies marques » : Première, Pariscope, Union, Auto Moto… Et bien sûr Psychologies, la pépite estimée à 60 millions d’euros il y a quelques années !

Quelles leçons en effet tirer de cette baisse de régime, pour ne pas dire ce « sauve-qui-peut » ?

Pour ma part, j’en tire trois : le métier de journaliste n’a pas fini de changer, le modèle de développement des magazines aussi et il est temps de se dire que l’ordre des facteurs entre le papier et le numérique est désormais inversé.

La leçon n°1

Considérer que le métier n’a pas fini de changer. Le journaliste du 20ème siècle, entre Albert Londres et Pierre Lazareff, est mort. Les grands ancêtres ont de belles histoires à nous raconter mais ils n’ont, hélas ou pas hélas, plus rien à nous apprendre. Trop de rédactions ont cru, croient encore pour les plus sub-claquantes d’entre elles, que la révolution numérique (n’ayons pas peur des mots) n’allait qu’influer à la marge sur leur métier, que l’on était simplement face à une sorte de TSF un peu plus rapide en quelque sorte.
Donc, réaffirmons notre point : le journaliste du XXIème siècle ne fait pas le même métier que son père. Il est infiniment plus en relation avec son écosystème : son lecteur d’une part, les annonceurs d’autre part. Car la relation entre le lecteur et l’annonceur se fait par dessus la tête du journaliste, il est obligé de s’y intéresser et son information trouve une part de sa valeur dans sa capacité à s’insérer dans cette relation-là.
Ensuite le journaliste d’aujourd’hui fait son métier dans un environnement d’immédiateté où il y a d’abord des contenus accessibles de n’importe où, n’importe quand. Un titre de presse ne se définit plus par sa périodicité. Il n’y a plus ni quotidien, ni hebdomadaire, ni mensuel, ni trimestriel.
C’est le contenu d’abord, éventuellement couché régulièrement sur le papier. Ce qui sera publié dans l’édition papier sera la version « luxueuse » de ce qui aura été traité en ligne. Ce besoin d’immédiateté ne signifie pas évidemment pas que l’on s’affranchit des règles déontologiques ou éthiques.

La leçon n°2

Considérer que le modèle économique des entreprises de presse n’est pas non plus le décalque de ce qu’il était à l’époque de l’offset. Je prendrai un seul exemple : la querelle des anciens et des modernes autour de la notion anglo-saxonne de « native advertising ». Ses détracteurs adorent la réduire au concept à la papa de « publi-rédactionnel ». Ils se trompent lourdement en handicapant leur réflexion sur leurs pratiques professionnelles.
Le publi-reportage était un truc ennuyeux dans la presse papier dont la plupart des lecteurs s’épargnaient gentiment la lecture, avec raison d’ailleurs tellement c’était indigeste. J’attends encore les preuves de leur efficacité publicitaire.
Le « native advertising », parce qu’il traite un sujet en orientant ses lecteurs sur, effectivement, tel ou tel lien vers un contenu posté en ligne par un annonceur, offre à ces mêmes lecteurs un sujet complet, avec une illustration possible, qu’en général le lecteur consulte (mais il n’est pas obligé) et avec plaisir car le sujet traité par le journaliste contextualise le propos de l’annonceur en le rendant plus riche et plus vivant.
Je me doute que ce genre de propos passe encore difficilement la rampe dans des rédactions qui voient leur métier davantage comme celui d’un « Croisé » de l’information que d’un ménestrel des temps modernes. Ce que je constate, depuis que je rencontre des dirigeants de média en quête d’une nouvelle efficacité, c’est que les lecteurs ne se passionnent pas pour des « croisés de l’info » auxquels d’ailleurs, bien souvent, ils dénient cette posture. Il suffit de lire, sondage après sondage, le désamour exprimé par les Français vis à vis des journalistes, pour s’en rendre compte1.

La leçon n°3

En 2014, l’ordre d’importance des médias s’est inversé. Je m’explique. Autrefois, quand Internet a tout juste commencé et que beaucoup s’imaginaient qu’il ne s’agissait que d’un Minitel géant, il y avait l’édition papier d’abord, ses journalistes confirmés, ses talents, ses enquêtes de terrain ; l’édition numérique ensuite avec ses jeunes journalistes débutants ou presque, son travail de « desk » et sa course à l’info. Ce modèle a prouvé son inanité. L’accumulation de titres de presse moribonds le prouve amplement. Combien en faut-il encore pour que le constat ne soit plus contesté ?
Pour en finir ces gâchis, travaillons dans l’autre sens. Désormais c’est le numérique d’abord. Il traite l’actualité « chaude », c’est dans cet espace là que le média donne rendez-vous à son lecteur, matin, midi, soir ou en pleine nuit, qu’il ait dans les mains un téléphone, un ordinateur, une tablette ou tout autre objet par lequel on trouvera utile de diffuser de l’info. Le papier vient ensuite, il est la partie luxueuse de l’affaire, celle qui donne à réfléchir ou à rêver, c’est selon, en tout cas celle qui ne se pose pas la question de l’ampleur de l’édition ni de son volume d’annonceur. Quand, chez Mensquare, nous avons relancé Onze Mondial, nous avons sorti des numéros de plus de 200 pages. Vous vous rendez compte : plus de 200 pages pour un magazine de foot ! Et nous avons retrouvé et fidélisé 40 000 lecteurs ! Cela n’aurait jamais été possible sans un contenu solide en ligne. Un contenu solide… et solidement financé aussi, cela de soi.
Pour conclure, au delà de ces ventes en série, on notera que même un titre aussi reconnu que « Elle » reste en retard dans le numérique, y compris dans sa version « Elle Man » qui vient de démarrer.
De même, pour « Lui » relancé il y a quelques mois, il n’existe pas de stratégie numérique non plus. Mensquare, le leader des médias masculins que je dirige (60 titres nous font confiance, soit 10 millions de visiteurs uniques), est prêt à les aider, qu’il s’agisse d’Elle ou de Lui !
 
(1) Lire le Baromètre de confiance des Français dans les médias 2014, publié début janvier 2014.