Moins de ventes, moins de pub : les médias d'info à la chasse aux abonnés numériques

Moins de ventes, moins de pub : les médias d'info à la chasse aux abonnés numériques Le Figaro, Le Parisien et L'Equipe expliquent comment ils adaptent leur modèle à la crise actuelle et axent leurs efforts sur les abonnements en ligne.

Alors que leurs revenus publicitaires et leur diffusion papier dégringolent avec la crise du coronavirus, les principaux titres d'information n'ont pas d'autre choix que de se tourner vers le Web pour (tenter de) retrouver le sourire. "Les internautes n'ont jamais eu autant besoin d'informations", rappelle le directeur délégué du Figaro, Bertrand Gié. Le site du quotidien national réalise de fait "deux à trois plus d'audience que d'habitude", depuis le début de la crise. Au Parisien, on est sur les mêmes multiples de progression, avec 8 à 10 millions de visites par jour. Certes une bonne partie de ces audiences sont réalisées via des contenus en accès libre (essentiellement des sujets autour du coronavirus) difficiles à monétiser au vu de l'atonie du marché publicitaire.

"Quatre fois plus de nouveaux abonnés numériques que d'habitude au Figaro"

Mais les deux sites médias peuvent aussi compter sur la bonne santé de leur offre payante. Le Figaro, qui propose une offre numérique payante comprise entre 9,90 et 19,90 euros par mois, recrute "quatre fois plus d'abonnés que d'habitude… sans avoir changé les tarifs", se félicite Bertrand Gié. Seul geste commercial consenti durant la crise : l'offre de bienvenue, un euro le mois, a été étendue aux deux premiers mois. L'effet coronavirus est encore plus visible au Parisien. "On multiplie le nombre de nouveaux abonnés numériques par cinq en ce moment", chiffre Sophie Gourmelen, la directrice générale du quotidien d'information. Le média part toutefois de beaucoup plus loin que son homologue du boulevard Haussmann. Il espère passer de 12 000 abonnés en juin 2019 à 30 000 en juin 2020. Le Figaro en compte, lui, déjà plus de 150 000. L'abonnement numérique du Parisien est, par ailleurs, proposé à 7,99 euros par mois, le prix le moins élevé du marché.

Le Parisien va proposer un PDF de la version papier à 1 euro l'unité

"La monétisation des audiences numériques via l'abonnement est le seul modèle économique pérenne", assure Sophie Gourmelen. La patronne du Parisien estime que cette crise aura le mérite de convertir les lecteurs du papier au support numérique. Les abonnés papiers, qui sont à peine 10% à se connecter au Web, vont faire l'objet d'une campagne de télémarketing pour passer à l'acte. De même, Le Parisien propose aux internautes, dans les jours qui viennent, d'acheter la version PDF du journal papier à un euro. "Nous voulons cibler les gens qui avaient l'habitude de nous trouver en kiosque, justifie Sophie Gourmelen. On a longtemps considéré que l'information devait être nécessairement gratuite sur le Web, cet épisode nous montre que ce n'est pas possible."

Une offre promo agressive pour l'Equipe

On imagine qu'Emmanuel Alix, le directeur du numérique de L'Equipe, ne dira pas le contraire. Le quotidien sportif est d'autant plus durement touché par la crise que la majorité des événements sportifs sont à l'arrêt. Sans surprise, ses audiences ont plongé, passant de 8,7 millions de visites le 12 mars à 4,1 millions le 20 mars, selon AT Internet. "70% de notre audience quotidienne continue à venir sur le site alors que le temps passé par visite augmente, lui, de 15%, relativise Emmanuel Alix. Mais c'est évident que le nombre de pages vues et de visites sont affectés." Le site ne peut plus compter sur l'actualité dense des rencontres sportives, les articles live et les résultats qui vont avec pour brasser large. Il a tout de même profité du confinement pour lancer une opération promotionnelle très agressive concernant l'abonnement numérique. En l'occurrence un tarif de 0,99 euro par mois pendant 6 mois, contre 9,99 euros par mois habituellement. "C'est un moyen de garder le lien avec les lecteurs en cette période de confinement", justifie Emmanuel Alix. Ils sont nombreux à se laisser tenter. Le site, qui compte aujourd'hui plus de 260 000 abonnés, en a recruté plusieurs milliers en l'espace de cinq jours. "Nous pourrons capitaliser sur ces nouveaux abonnés quand l'actualité sportive reprendra", estime le patron du numérique.

En attendant, sa rédaction doit faire preuve d'inventivité. Si elle continue à informer les lecteurs sur les conséquences du confinement (le report des JO de Tokyo par exemple), elle se tourne, faute d'actualité, vers des angles un peu plus magazine. "Nous revenons sur des grands événements sportifs passés comme la demi-finale entre la France et la RFA lors de la coupe du Monde de 1982", illustre Emmanuel Alix. Le match, diffusé sur la chaîne de l'Equipe en prime-time, a fait l'objet de plusieurs articles le jour-même. Le site propose également une série de tutos coaching spécial confinement ou encore des contenus à destination des enfants. "Nous élargissons notre champ d'action", revendique Emmanuel Alix.

"Tout l'enjeu c'est de durer car c'est un marathon"

L'intégralité de la rédaction et des équipes du quotidien sportif est en télétravail depuis le 17 mars. "La production du journal et du site ne sont pas affectées. Il a simplement fallu réaffecter certains collaborateurs inoccupés, comme les spécialistes du live, à d'autres tâches", explique Emmanuel Alix. Le site a réussi à "tout maintenir, en réduisant la voilure sur un peu tout". C'est, au fond, le même scénario au Figaro. "Notre capacité de production n'a que très peu été affectée car nous arrivons à faire travailler près de 500 journaliste à distance", se félicite Bertrand Gié. Au Parisien aussi, le site et le journal continuent de fonctionner à distance, alors que les conférences de rédaction se tiennent désormais via Skype ou Whatsapp. "Tout l'enjeu c'est de durer car c'est un marathon", prévient Sophie Gourmelen.

"L'exploitation de l'année 2020 s'annonce très difficile"

Au Figaro, ce sont, confinement oblige, le Figaroscope (agenda des sorties théâtre, musées et ciné du moment) et la rubrique sport qui sont à l'arrêt. "On a basculé une partie de la quinzaine de journalistes sports sur l'actu", précise Bertrand Gié. Le cahier quotidien lifestyle "Et vous" a, lui, été rebaptisé "Chez vous" et dispense conseils et tutos pour permettre à chacun de passer une bonne journée cloîtrée. Quant à la chaîne vidéo, Le Figaro Live, elle n'abrite plus d'interviews et débats en plateau. Tout se fait à distance, qu'il s'agisse de tutos de cuisine, de cours de fitness ou de sujets liés au coronavirus. Même nécessité d'agilité au Parisien, avec un service des sports redéployé au sein de la rédaction et une rubrique loisir qui mise sur des rendez-vous du type "le guide du confiné" et "garder le moral". "Nous avons également ouvert une consultation générale sur le coronavirus et avons reçu plus de 5 000 questions en quelques jours", se félicite Sophie Gourmelen. Cette boîte à questions donne aujourd'hui lieu à 5 à 6 articles par jour. Le Parisien veut monter la cadence à 10 articles quotidiens, en s'inspirant du succès rencontré par un article répondant à la question "Peut-on circuler à plusieurs dans une voiture ?" qui a cumulé plus de 1,5 million de visites.

S'ils profitent de la situation pour draguer de nouveaux abonnés, nos trois médias sont également unanimes sur un point : la situation est difficilement tenable. "Certes on fait plus d'audience et on recrute des abonnés mais ce sera compliqué si la situation perdure", prévient Bertrand Gié. Le dirigeant, qui rappelle avoir la chance de "pouvoir s'appuyer sur un actionnaire aux reins solides", estime que "l'exploitation de l'année 2020 s'annonce très difficile". "On fait face à un choc économique très brutal, qui n'épargne personne", constate-t-il. Même appréhension au Parisien où l'arrêt de la publicité, conjugué à la fermeture d'une partie des kiosques (plus de la moitié de la diffusion payante du quotidien vient de la vente au numéro) fragilise le modèle économique. "Il faut que ça s'arrête le plus vite possible", résume Sophie Gourmelen.