Pierre Louette (Les Echos-Le Parisien) "Il faut mettre en place un crédit d'impôt pour les dépenses de communication"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le patron du groupe Les Echos-Le Parisien revient sur l'arrêt de sources de revenus majeures : la publicité et les événements.

JDN. Quel est l'impact de crise du coronavirus sur l'activité du groupe Les Echos-Le Parisien ?

Pierre Louette est le patron du groupe Les Echos - Le Parisien. © Géraldine Aresteanu - S. de P. Les Echos

Pierre Louette. On peut parler de tsunami économique. Et il est d'autant plus difficile à encaisser que la situation n'était déjà pas très bonne pour les groupes médias. Dans le détail, deux des principales sources de revenus du groupe sont durement touchées. D'abord la vente au numéro, qui a souffert de la fermeture de nombreux points de ventes, dont le réseau Relay et les aéroports, qui sont importants pour un titre comme Les Echos. Cela a généré une baisse de 20 à 25% de nos ventes au numéro. Le Parisien, qui compte près de 100 000 abonné papiers, a lui souffert de la baisse d'activité de La Poste quelques jours durant. Heureusement, cet épisode est derrière nous. Mais nous devons également composer avec une baisse de 50% de notre chiffre d'affaires publicitaire, print et online, sur la période d'avril-mai. Et nous pensons que cette baisse sera de 25% sur l'année. Ce qui est difficile à encaisser puisque la publicité représente 25% du total des revenus du groupe.

Quelques bonnes nouvelles tout de même ?

Oui, notre fréquentation en ligne ne cesse d'augmenter. Le Parisien a cumulé 200 millions de visites en mars, c'est un record absolu. Les Echos en a lui totalisé près de 60 millions. Cela prouve que les Français ont plus que jamais besoin d'informations fiables. Le nombre d'abonnés numériques recrutés a doublé par rapport à une période normale. Nous en sommes à 60 000 pour Les Echos et 40 000 pour Le Parisien. C'est d'autant plus impressionnant que nous ne proposons pas de formule à prix cassé, type 1 euro le premier mois, contrairement à d'autres. Cette crise a le mérite de rappeler que les gens sont prêts à payer pour de l'information et que le modèle de la gratuité de la presse sur le Web est une erreur historique. Je pense que le secteur en a beaucoup souffert.

Vos activités de diversification (annonces classées, événements, conférences, services) sont en revanche quasiment à l'arrêt…

"Au moins un tiers des 200 événements que nous organisons chaque année vont être annulés"

Cette crise nous a sans doute frappé le plus fort dans ce qui était devenu notre spécialité : l'événementiel. Je pense notamment à Vivatech dont nous avons dû annuler la 5e édition. Nous nous sommes résignés à le reprogrammer l'année prochaine plutôt que d'en faire une version au rabais plus tard dans l'année. Forcément, ce sont plusieurs millions d'euros qui disparaissent. Au moins un tiers des 200 événements que nous organisons chaque année vont être annulés. C'est très compliqué de les reprogrammer, tant il y aura embouteillage d'événements au second semestre. La branche événements représentait près de 15% de notre chiffre d'affaires, c'est un coup dur. Nous comptions porter à 50% les revenus du groupe issus des activités publicitaires et de la diversification en 2021. Il va falloir reporter ces objectifs.

Cette branche diversification avait généré 15 millions d'euros de bénéfice en 2019 et compensé une partie des pertes du Parisien (-25 millions d'euros) et des Echos (-6 millions d'euros), selon une information de Challenges. C'est forcément inquiétant pour votre exercice 2020…

L'exercice 2020 ne sera pas bon, c'est une évidence, mais je ne veux pas rentrer dans les détails. Bien sûr que la suppression de Vivatech a un coût pour nous, même si la marge des événements n'est pas si importante. Le coup le plus dur concerne la fonte de nos revenus publicitaires qui, eux, constituent quasiment exclusivement de la marge. Nous allons essayer de compenser et limiter tout ça. Nous avons engagé des mesures d'économie en interne, en faisant notamment appel au dispositif de chômage partiel mis en place par l'Etat pour plusieurs centaines de nos collaborateurs.

Votre actionnaire LVMH peut-il vous aider ?

Nous pouvons compter sur le soutien vigilant de notre actionnaire qui est lui aussi impacté par la crise. LVMH nous a déjà aidé par le passé, contribuant à la recapitalisation du groupe il y a 18 mois. Ce n'est néanmoins pas un sujet de discussions pour le moment.

Comment préparez-vous le déconfinement qui débutera le 11 mai prochain ?

Notre préoccupation majeure, c'est celle de la santé de nos collaborateurs. Nous privilégierons un déconfinement progressif, avec le maintien en télétravail d'une bonne partie de nos effectifs. Nous regardons, équipe par équipe, les envies et obligations de chacun. Certains ne peuvent pas faire autrement que de revenir dans nos locaux. Pour ceux-là, nous disposons déjà d'une dizaine de milliers de masques, de solutions hydro-alcooliques et anticipons un espacement des postes de travail.

L'autre déconfinement attendu, c'est celui des budgets publicitaires. Pensez-vous que les annonceurs vont revenir au second semestre ?

On a déjà quelques petits signaux qui vont dans ce sens. Des annonceurs qui regardent comment ils pourraient revenir en communication et qui briefent notre régie. Mais je crains surtout que les annonceurs soient tentés, pour sauver leur trésorerie en cette année difficile, de couper leurs budgets marketing et communication dès la reprise. Ce serait la pire des choses qui pourraient nous arriver : une deuxième lame. Le meilleur moyen d'éviter ça, c'est de mettre en place un crédit d'impôt pour les dépenses de communication. C'est important pour les médias mais également pour la relance de l'économie française. Car la publicité a un effet multiplicateur, comme l'a démontré une étude de Deloitte. Un euro investi génère six euros de PIB selon cette étude. L'Italie a déjà annoncé la mise en place de cette mesure. En France, la député Aurore Bergé réfléchit encore aux modalités. Cela favoriserait la prise de décision des entreprises, qui remettraient plus facilement quelques euros d'investissements publicitaires pour relancer la machine. Les médias doivent être un vecteur de relance.

Facebook a indiqué faire don de 100 millions de dollars pour aider les médias, déjà fragiles et durement impactés par l'épidémie de Covid-19. Allez-vous essayer d'en bénéficier ?

"Google et Facebook devront faire attention à ne pas tirer le marché vers le bas en faisant du dumping"

Pour être honnête, je n'ai pas bien compris les détails de cette annonce, pas plus que celle du fonds lancé par Google pour aider les médias. Il s'agit d'annonces des sièges américains dont les ramifications ne sont pas évidentes à comprendre au niveau local. Au-delà de ces mesures de soutien, je pense que ces deux acteurs, qui souffrent eux aussi de la suppression de la publicité, devront faire attention à ne pas tirer le marché vers le bas lors de la reprise. Ce serait préjudiciable pour les autres médias que Google et Facebook procèdent à un dumping qu'ils pourraient compenser par la vente de volumes importants d'inventaires.

C'est aussi aux annonceurs et agences d'être responsables dans leur politique d'achat média et de ne pas aller au plus simple ou au moins cher. On en parle depuis des années mais cela semble rester un vœu pieux…

Je ne suis à la tête du groupe que depuis deux ans, mais au-delà des vœux pieux que vous dites entendre ici et là, la période rappelle l'importance de la qualité du contexte dans une campagne média. Cela contribue à renforcer le lien entre une marque et son audience. Il serait bon que les acheteurs sortent de cette paresse mécanisée qui les conduit à acheter uniquement de l'inventaire à Facebook et Google pour la seule raison que cela leur permet d'avoir facilement 80% de reach. C'est un danger pour les annonceurs sur le long terme que de privilégier deux géants qui iront, tôt ou tard, sur leurs plates-bandes. De la même manière, je pense qu'il est irresponsable de laisser la stratégie média entre les mains des divisions achat des annonceurs qui privilégient le tarif au détriment de la qualité.

Président-directeur général de l'Agence France-Presse de  à ensuite été directeur exécutif, secrétariat général et opérateurs France chez Orange. Il a pris la tête du groupe Les Echos-Le Parisien, succédant à Francis Morel, début 2018.

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