Devenir vigneron ne s'improvise pas

Devenir vigneron ne s'improvise pas Se reconvertir dans la vigne fait rêver nombre de cadres. Mais ce métier demande un engagement physique, patrimonial et professionnel total.

Quand il commence à en parler, rien ni personne ne peut l'arrêter. Et pourtant, à la ville, cet homme à la cinquantaine austère, cadre dirigeant d'un grand groupe industriel, n'est pas vraiment porté sur les excès de chère. Ni du genre à s'épancher. Mais dès que le sujet du vin et de la vigne vient sur la table, il devient intarissable. Aussi bien sur les qualités de ses millésimes, la composition de son terroir, dont il a replanté une très grande partie des ceps, que sur les travaux entrepris pour "remettre d'équerre" son cuvier. Mais aussi et surtout pour évoquer le stress que lui procure cet investissement plus que conséquent, ou encore la fatigue engendrée par la gestion d'un vignoble de quelques dizaines d'hectares dans les Côtes du Rhône. D'où son hésitation à répondre à la question fatidique, avant de lancer : "Je le referais, mais pas sur un coup de foudre".

"Se lancer dans la vigne est un investissement de très longue haleine, qui aura des conséquences fiscales et patrimoniales très importantes"

Car le rêve d'une fin de carrière vigneronne peut vite tourner au cauchemar pour celui qui aurait improvisé cette reconversion. "Se lancer dans la vigne est un investissement de très longue haleine et qui aura des conséquences fiscales et patrimoniales très importantes", martèle Jean-Luc Coupet. Et ce dernier sait de quoi il parle. La semaine, il dirige Wine Bankers, une boutique spécialiste des fusions-acquisitions dans les vins et spiritueux, et compte quelques belles opérations à son tableau de chasse, comme la vente de Château de Viaud, en Lalande de Pomerol, à l'entreprise chinoise Cofco. Le week-end, quand il n'est pas à Paris ou à l'étranger, il file dans la vallée de l'Agly s'occuper du Domaine de Venus, le vignoble qu'il a recréé de toutes pièces sur les hauteurs de Collioure.

Son conseil est simple : "Avant d'y aller, assurez-vous que votre famille est prête à vous suivre. Sachez surtout vous entourer : choisissez bien le conseil qui vous accompagnera et vous aidera à sélectionner un vignoble mais surtout le véhicule qui gérera cette acquisition. Procédez à un profond travail d'évaluation des stocks et des inévitables investissements à entreprendre pour disposer d'un outil à la pointe de la qualité". Dans un autre registre, un gérant de fortune rappelle aussi une évidence : "il s'écoule toujours de très longues années entre la signature de l'acte de vente chez le notaire et le moment où l'on peut percevoir les premiers bénéfices tirés de la vente de bouteilles".

cave vin
Tous les vins ne se valent pas. Mais la période offre des opportunités d'achat intéressantes. © Eva Lemonenko - Fotolia.com

Mais la période est propice : avec la crise financière, nombre d'hectares ou d'ouvrées (l'équivalent d'un are en Bourgogne) sont sur le marché à des prix cassés. Et beaucoup peinent à trouver preneurs, victimes des concurrents du nouveau monde et de l'évolution de la demande vers "des crus moins fatigants", selon le mot d'Eric Monneret, qui dirige Château La Pointe, l'une des plus grandes propriétés de Pomerol, pour le compte de l'assureur Generali.

Le prix du foncier viticole révèle cependant des situations contrastées, aussi bien entre les terroirs (Bourgogne, Bordeaux, Languedoc, Val de Loire, Alsace, etc.) qu'en leur sein. Ainsi, un Cheval Blanc se négocierait demain à plus d'un million d'euros l'hectare si ses propriétaires, Bernard Arnault et Albert Frère, se décidaient à le vendre. Mais à quelques kilomètres de là, un vin générique, se négociera péniblement plus de 10 000 euros l'hectare.

Face à un tel investissement, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Jean-Luc Coupet suggère aux candidats de déterminer avant toute chose leur profil d'investisseur. Cet exercice ne se limite pas à un audit approfondi de son patrimoine présent et futur. Et sur ce point les vignerons ne cessent de le répéter : "la vigne est un métier physique à temps plein et qui ne connaît aucun temps mort pendant toute l'année. Il ne faut pas croire que son travail se limite aux vendanges et à la vinification. Un bon vin se prépare près d'un an à l'avance, dès l'hiver, avec de longs travaux sur les ceps, dans un froid glacial, pour s'assurer que les grappes pousseront en ordre. Auparavant, il faut sillonner les foires et salons du monde entier pour le vendre", insiste Eric Monneret.

"Le négoce conviendra parfaitement à d'anciens cadres dirigeants rompus aux affaires internationales"

D'autres déconseillent carrément cette reconversion aux impétrants un peu âgés ou de santé fragile. A ces candidats, Jean-Luc Coupet suggère une autre voie moins harassante : "Le négoce conviendra parfaitement à d'anciens cadres dirigeants rompus aux affaires internationales. Leur expérience de la négociation et leur sens de l'organisation leur permettront de bien vivre du vin s'ils décident de reprendre une maison de courtage. Rien ne les empêchera plus tard d'acquérir des vignes dont ils confieront l'exploitation à des hommes ou des femmes de l'Art".

Dernière étape avant de se lancer dans une visite approfondie de propriétés à vendre : le choix du véhicule d'investissement, qui commandera lui-même l'exploitation future du vignoble. Les parts d'un Groupement Foncier Viticole (GFV) s'imposent comme le meilleur compromis pour réaliser son rêve. Le ou les investisseurs créent une société civile qui va acquérir des vignes dont elle confiera l'exploitation à un vigneron via un bail de long terme. Les actionnaires de la SCI seront rémunérés, en numéraire ou en vin, au prorata de leur participation, le vin vendangé étant lui-même commercialisé par les voies classiques.

Outre qu'il permet d'accueillir d'autres investisseurs, l'avantage du GFV tient à son régime fiscal. Les bénéfices sont soumis au régime du micro-foncier avec un abattement forfaitaire de 30 % ou peuvent être imposés comme des frais réels. Et si ces parts ont été financées par emprunt, les intérêts sont imputables aux revenus fonciers. En cas d'ISF, ces parts sont exonérées à hauteur de 75 % dans la limite de 101 897 euros et de 50 % au-delà de ce seuil.

De quoi alléger la facture initiale et mieux supporter les investissements lourds propres à un domaine, comme le replantage de jeunes vignes, la modernisation d'un cuvier et le renouvellement des barriques et autres fûts.