Cumulus Networks : prochaine révolution des équipements réseau ?

Cumulus Networks : prochaine révolution des équipements réseau ? Avec sa distribution Linux, l'Américain offre une alternative aux géants des réseaux, une alternative qui va bien au-delà du "low cost".

Basé dans la Silicon Valley comme il se doit, Cumulus Networks a été créé en 2010 par des anciens de Cisco et VMware sur une idée : fournir une distribution Linux optimisée pour les équipements réseaux. La start-up mise alors sur la mouvance "Open Networking" avec un Linux ouvert qui vient s'installer sur des commutateurs indépendamment de leur constructeur. Un Linux réseau qui s'installe comme un OS que l'on peut porter sur n'importe quel serveur x86 quel qu'en soit le constructeur. C'est ce que s'est attaché à créer l'équipe d'ingénieurs de Cumulus Networks depuis la création de la start-up.

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Les commutateurs Cumulus Linux Ready sont apparus au catalogue de plusieurs constructeurs de commutateurs, dont Edge-Core, QuantaMesh, Agema, Penguin Computing, HP, Dell et Supermicro. © Edge-core

L'idée peut sembler sans grand intérêt pratique puisque tous les constructeurs d'équipements réseaux installent leur propre OS avant de livrer leur équipement. Il s'agit même souvent de Linux sur leurs équipements, mais ces constructeurs s'attachent à fermer et maitriser cet OS qui est de toute façon imposé à l'acheteur. L'énorme intérêt de l'approche Open Networking défendue par Cumulus Networks, c'est de découpler le logiciel de l'équipement réseau. L'entreprise qui a besoin d'un commutateur choisit l'équipement qui convient le mieux à son besoin puis installe Cumulus Linux afin de configurer le produit comme on configure un Linux classique. Cette approche a été baptisée la mouvance "White Box", par opposition aux boites noires vendues par les équipementiers réseaux.

Des plateformes hardware à prix cassés

Cumulus Networks publie une liste d'équipements réseau avec lesquels son OS, un fork de Linux Debian, est compatible. On y trouve les techniologies Dell et HP, Supermicro, mais surtout des marques bien moins connues : Edge-Core, Penguin Computing, QuantaMesh. Des marques qui, paradoxalement, font tout l'intérêt de la proposition de Cumulus Netwoks. Ces fabricants sont des ODM. Edge Core, par exemple, est une filiale du géant taïwanais Accton. C'est lui qui fournit des commutateurs à Google et Facebook. Il fournit aussi de manière plus discrète les grandes marques informatiques qui ne produisent pas elles-mêmes leurs équipements. Acheter le hardware "en direct" chez ces industriels présente un intérêt décisif en termes de coût. Yacine Kheddache, directeur technique d'Alyseo, intégrateur de Cumuls Networks en France, souligne : "A solution matérielle équivalente et techniquement comparable comme par exemple un châssis 1U équipé de puces Trident2, de CPU x86 ou PowerPC de 48 ports 10GbE et 4 ou 6 port 40 GbE, nous constatons une économie entre 40 et 70% pour le couple Edge-core + Cumulus." Un écart colossal sur ces configurations "musclées" mais plus modeste sur des configurations plus classiques à base de 1 Gbits Ethernet, par exemple.

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L'architecture simplifiée de l'offre Cumulus Networks. © Vidéo Cumulus Networks

Face à ceux qui pourraient croire qu'il s'agit de plateformes hardware "low-cost" aux performances dégradées et qu'un Linux Debian ne peut rivaliser avec les OS réseau développés par Cisco ou Juniper, l'expert se montre catégorique : "ces dernières années, le monde du réseau a connu un sacré bouleversement avec principalement deux constructeurs d'ASICS : Broadcom et Intel. On retrouve aujourd'hui les mêmes chipsets chez tous les équipementiers réseaux et le Trident 2 de Broadcom est présent sur les switch Dell, Quanta, HP, Arista, mais aussi chez Cisco et Juniper !"

Les mêmes outils pour administrer serveurs et switch

Paradoxalement, pour cet intégrateur, l'atout prix n'est pas l'argument n°1 qui plaide en faveur de Cumulus Networks. "L'avantage majeur de la solution Cumulus Networks dans un environnement cloud, c'est que l'on dispose de tous les outils Linux pour automatiser et programmer un maximum de choses. C'est le cas depuis longtemps sur la partie serveur avec des outils comme Chef, Puppet, Ansible, Salt Stack. Avec Cumulux Linux, on le fait avec les commutateurs", explique Yacine Kheddache. Les outils d'automatisation des déploiements réseau vont ainsi pouvoir fonctionner quel que soit le hardware mis en œuvre sous Cumulus Networks. Ainsi, "on peut changer de hardware sans avoir besoin de s'occuper de la façon dont on va administrer la partie logicielle, alors que quand on migre de Cisco à Juniper, il faut tout reprendre à 0", note Yacine Kheddache.

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Yacine Kheddache est CTO d'Alyseo, intégrateur Cumulus Networks en France. © Alyseo

Pour les opérateurs de cloud et les hébergeurs qui gèrent à la fois beaucoup d'équipements réseau et beaucoup de serveurs, le gain de productivité est évident car ils peuvent capitaliser sur les mêmes compétences pour orchestrer leurs déploiements. Une tendance qui va s'amplifier encore à l'avenir avec l'essor des processeurs x86 dans les équipements réseau. Les puces Intel offrent plus de puissance disponibles que les PowerPC utilisés jusqu'à présent, mais, dans un environnement Linux, cela permet aussi aux administrateurs d'installer leurs propres paquets Debian sur leurs commutateurs. Yacine Kheddache évoque une pratique mise en œuvre chez ses clients : "Ils placent deux commutateurs en redondance en haut de chaque rack, une configuration classique en 'top of rack'. Une équipe est chargée de racker les équipements, d'assurer le câblage du rack en France alors que les ingénieurs chargés de l'administration sont basés aux Etats-Unis. Ceux-ci utilisent les commutateurs comme serveurs de provisionning en utilisant et configurant les protocoles DHCP, PXE et TFTP sur l'OS Cumulus si bien que quand les techniciens allument les serveurs du rack, ils sont en mesure de réaliser un déploiement automatique de l'ensemble des serveurs, OS et applications comprises, sur l'ensemble des serveurs du rack."

La couverture fonctionnelle de Cumulus reste perfectible

Preuve de l'intérêt soulevé par Cumulus Networks dans le microcosme réseau, Dell et dernièrement HP et Supermicro se sont ralliés à la start-up et commercialisent des équipements "Cumulus Linux Ready". Cumulus Networks est en train de se faire une place dans les data centers des opérateurs de Cloud notamment, mais beaucoup de marchés restent encore barrés à ce challenger. C'est notamment le cas des réseaux d'entreprise où son OS manque encore de beaucoup trop de fonctionnalités pour détrôner les acteurs habituels. Par exemple, le POE qui permet notamment d'alimenter des téléphones IP via la prise réseau manquait à l'offre Cumulus Networks pour se frotter au marché de l'entreprise. A l'opposé, l'absence de MPLS sur Cumulus Linux est un handicap sur les backbones réseau.

L'administration façon Linux apporte un vrai plus

En outre, si l'administration façon Linux apporte un vrai plus, elle constitue un véritable frein pour les ingénieurs réseau certifiés Cisco, plus habitués au CLI (Command Line Interface) des équipements du leader qu'à configurer des serveurs Linux. Sur ce plan, Arista Networks qui propose ses propres commutateurs Linux, affiche une couverture fonctionnelle plus large et a doté ses commutateurs d'un CLI très proche de celui de Cisco. Les ingénieurs de Cumulus Networks améliorent petit à petit la couverture fonctionnelle, même si Yacine Kheddache piaffe d'impatience dans l'attente de certains fonctionnalités : "Pour prendre un exemple, la fonction d'agrégation MLAG est très utile dans les configurations réseau pour le stockage. Elle est présente sur Arista depuis toujours, alors que c'est une fonctionnalité dont on dispose sur Cumulus que depuis trois mois seulement. Nous leur avons demandé cette fonction il y a 2 ans maintenant ! Sur toutes les infrastructures stockage, on ne déployait pas Cumulus à cause de cela, maintenant nous aurons le choix."

La "White Box" peut-elle UBERiser Cisco et Juniper ?

Cumulus Networks est en train de prendre la tête du mouvement "White Box". Le californien clame avoir déployé un million de ports réseau à ce jour. Ses fondateurs, JR Rivers et Nolan Leake, sont parvenus à lever 51 millions de dollars lors de deux tours de financement. Ils ont séduit Andreessen Horowitz puis Sequoia Capital, les fonds les plus influents de la Silicon Valley.

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Co-fondateur et actuel PDG de Cumulus Networks, JR Rivers est un ancien de 3Com, Cisco et Google. © Cumulus Networks

Parmi les concurrents de Cumulus Networks figure Arista qui n'est pas dans une approche "White Box" puisque la start-up rivale fournit des équipements avec son Linux. Par contre, Cumulus Networks doit faire face à plusieurs concurrents proches de son modèle, dont Pica8 et surtout Big Switch. Ce dernier vient de voir son Open Network Linux (ONL) reconnu comme plateforme de référence pour l'Open Compute Project, l'OCP. Si Cumulus Networks et Big Switch sont concurrents, tous deux travaillent de concert dans Open Network Install Environment (ONIE), un projet qui définit des spécifications simplifiant le déploiement d'un OS sur un commutateur quelconque. Une initiative dont le but est bien évidemment d'accroitre le nombre de "White Box" disponibles sur le marché.

Pour l'heure, Cumulus Networks a séduit Numéricable en France qui a déjà mis en production des commutateurs équipés de Cumulus Linux. La solution est actuellement en cours d'évaluation par les ingénieurs d'Orange Lab pour faire fonctionner des commutateurs de concert avec des serveurs OpenStack. Les récents accords avec Dell puis HP pourraient ouvrir de nouvelles portes à Cumulus Networks auprès des entreprises, mais c'est surtout l'essor des SDN (Software Defined Networks) qui constitue la grande chance pour Cumulus Networks de remplacer les équipementiers traditionnels.