Werner Vogels (Amazon) "Amazon Instant Video est client d'AWS, au même titre que Netflix"

Lors de l'AWS Summit 2014 Paris le 13 mai dernier, le patron du cloud d'Amazon nous a accordé une interview exclusive. Il décrypte pour nous la stratégie d'Amazon Web Services.

Quelles sont les qualités principales que vous attendez de vos équipes ?

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Werner Vogels est le CTO d'Amazon. C'est lui qui a lancé Amazon Web Services. © Amazon

L'obsession client est le premier principe pour tout employé d'Amazon. C'est le cas sur la partie retail, mais aussi sur le cloud. Pour chaque client, l'idée est de raisonner long terme, en s'appropriant la technologie pour la mettre à son service. Nous recherchons donc des gens qui font preuve de bon sens, et qui sont réalistes. Mais aussi qui sont capables de penser très grand. Nous avons des centaines de milliers d'entreprises utilisant notre plate-forme. Sachant que certaines construisent leur activité à partir de notre cloud. Notre capacité de production informatique présente donc un haut niveau de criticité. Nos ingénieurs doivent être irréprochables en la matière. En même temps, notre activité IT, que ce soit sur le cloud ou le retail, du fait de sa volumétrie, permet de faire des économies d'échelle. Et, comme vous le savez, faire faire des économies à nos clients est l'une de nos premières priorités.

Comment définissez-vous votre style de management ?

Il y a deux sortes de CTO. Dans certaines sociétés, son rôle se limite au management de l'infrastructure. Dans d'autres, il est aussi le fondateur du cœur technologique du business. Mais également le VP de l'ingénierie, et le concepteur IT pour le futur. C'est un rôle de stratège. Je rentre plutôt dans cette seconde catégorie.

Donc, mon rôle premier n'est pas celui d'un manager. Amazon est une société où business et technologie sont entièrement intégrés. Il n'y a pas d'entité, de silos... Les ingénieurs ne me font pas de rapport. Tout passe par les équipes de management sénior, en matière de conseil, de réflexion sur la politique produit... Ces équipes ont des réunions en permanence avec nos clients AWS, pour recueillir leurs retours et ajouter le plus vite possible des fonctionnalités sur la base de leur priorité. Cela passe par un management très décentralisé, via des petites équipes très autonomes en contact permanent avec les clients, et avec un contrôle direct sur les feuilles de route des développements de chaque service. Bref, c'est nos clients qui décident comment notre offre doit évoluer. Depuis le lancement du service de datawarehouse Amazon Redshift début 2013, nous avons par exemple ajouter plus de 60 nouvelles fonctionnalités sur la base de leurs feedbacks.


Le monde des grands clouds est un petit monde. Ce qui vous oblige sans doute à embaucher des ingénieurs ayant travaillé pour d'autres grands clouds. Dans ce contexte, comment préservez-vous les secrets d'AWS ?

"Nos secrets ne peuvent pas être percés facilement"

Nos ingénieurs sont enviés, et parfois débauchés par la concurrence. Mais nos secrets ne peuvent pas être percés facilement. C'est un business qui ne dépend pas d'un seul individu, même si vous prenez qu'un seul de nos service cloud. Si vous prenez par exemple Amazon S3 qui stocke des trillions d'objets avec 1,5 million d'opérations par seconde, un ingénieur ne peut maitriser l'ensemble des compétences nécessaires pour construire un tel système. Un système qui soit en plus exécuté de manière sécurisé, performante, en étant correctement dimensionné... Cela recouvre une connaissance collective très importante.

L'infrastructure d'Amazon.com est-elle basée sur AWS, ou bénéficie-t-elle d'une plate-forme un peu différente ?

Amazon.com est un client d'AWS. Un client comme n'importe quel autre, qui n'a pas d'avantage particulier. Vous ne pouvez pas construire une plateforme à cette échelle en faisant une exception pour un seul client. D'autant que beaucoup de concurrents d'Amazon.com sont présents sur cette plateforme. C'est par exemple le cas de Netflix qui est probablement le principal concurrent de notre service de vidéo à la demande. Les deux reposent exactement sur la même infrastructure. Si je prends Amazon.fr, c'est la même logique. Il repose sur la même plateforme que nos clients français dans l'e-commerce, comme A Little Market et Millesima par exemple. Pour signer chez nous, ces clients doivent être assurés que nous ne privilégions pas notre propre activité d'e-commerce.

En Europe, Microsoft dispose déjà de data centers dans deux pays, et Salesforce a annoncé l'ouverture de data centers dans trois. Prévoyez-vous de construire des infrastructures dans d'autres pays européens que l'Irlande ?

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Werner Vogels à la Maison de la Mutualité, le 13 mai dernier, lors de l'AWS Summit Paris 2014. © Amazon

Nous ne cessons de nous développer à l'international. L'année dernière, nous avons lancé deux nouvelles régions AWS, l'année précédente quatre. Nous allons poursuivre dans ce sens, avec le lancement de nouvelles régions à l'international. Je ne peux pas en dire plus pour le moment. Mais sur ce plan là aussi, les retours de nos clients sont les plus importants.

Nous prenons en compte aussi les coûts qui peuvent être différents selon les régions géographiques, ainsi que les contraintes juridiques locales en matière de localisation des données. Une région s'accompagne toujours de la construction de plusieurs data centers, avec de multiples redondance en matière réseau, de fourniture électrique...

Nous avons entendu dire que vous recrutiez des ingénieurs ayant travaillé pour le spécialiste des processeurs ARM Calxeda... Cela ferait-il sens pour Amazon Web Services de concevoir ses processeurs, plutôt que recourir à ceux d'Intel ?

Nous étudions un certain nombre de pistes qui peuvent aider nos clients à être plus efficients, sur le plan matériel, logiciel... En matière de conception de serveur, de data center, de refroidissement... Combiné à la volumétrie de notre activité, c'est ce qui nous permet de réduire les coûts. Nous avons pu baisser nos prix à 43 reprises jusqu'à maintenant durant les 6 dernières années, sans aucune pression de la concurrence. Nous regardons tout, chaque brique du cycle informatique, et les endroits où nous pouvons proposer des économies aux clients.


Que pensez-vous de la technologie Docker ? Certains disent qu'il s'agit d'une nouvelle manière de concevoir le cloud ?

"Le système de monitoring d'AWS s'adosse lui-même sur des services AWS"

C'est une technologie simple pour packager les applications. Quand nous avons lancé AWS, nous avons choisi le serveur virtuel comme container pour servir les applications, via un OS optimisé. Mais pour les nouveaux développements, un OS virtuel complet peut se révéler un peu lourd. Il peut être plus facile d'avoir un petit container compte-tenu des dépendances sous-jacentes. Docker s'inscrit dans cette approche. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons introduit en avril la gestion de container Docker dans notre service AWS Elastic Beanstalk de gestion des déploiements. Mais je pense que Docker n'est qu'une des technologies qui fera le succès du cloud, au même titre que les langages, les frameworks, les bases de données, les progiciels...

Pensez-vous que les clouds publics évolueront vers la personnalisation d'instance, en termes de CPU, de stockage, de bande passante ? Y pensez-vous ?

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Werner Vogels sur la scène de la Maison de la Mutualité. © Amazon

Je n'ai jamais entendu aucun client faire cette demande. Certains demandent des instances plus puissantes, en termes de mémoires, de rapidité de CPU, de stockage SSD, de capacité d'entrée et sortie par exemple. Mais aucun client n'a jamais demandé de pouvoir configurer une instance sur un niveau de performance précis.

Quels sont les indicateurs de résultats (KPI) les plus importants pour vous en tant que CTO d'Amazon ?
Amazon a été défini par Jeff Bezos comme une société orientée données. Il y fait référence dans une lettre fondatrice aux actionnaires en 1997. L'indicateur de résultat fait par conséquent partie de nos gènes. Je travaille avec de nombreux indicateurs, tous importants, chaque jour. Mais je peux vous donner un exemple. Nous avons beaucoup recours à l'A/B Testing dans le retail, quand nous lançons un nouveau service, ou de nouvelles fonctionnalités pour nos clients. Nous réalisons des tests de manière continue, sur de petits groupes puis des groupes plus larges. Nous passons en revue généralement entre 200 et 250 variables sur une seule page web.

Nous utilisons beaucoup d'outils, également disponibles pour nos clients. Nous avons bâti des pipelines de données pour construire ces workflows. Nous faisons appel à Amazon Kinesis qui nous permet de traiter en temps réel des volumes massifs de données de monitoring. Nous avons aussi recours à notre service EMR pour exécuter des jobs MapReduce, ainsi qu'à Amazon Redshift, notre service d'entrepôt de données, qui peut supporter des centaines de nœuds.

Biographie professionnelle : Werner Vogels est titulaire d'un Ph.D. en science informatique à l'Université d'Amsterdam aux Pays-Bas. De 1994 à 2004, il est chercheur au Département des sciences informatiques de l'université de Cornell, spécialisé notamment dans la gestion des systèmes critiques distribués. De 1999 à 2002, il est aussi président et CTO de Reliable Network Solutions. Il rejoint Amazon en 2004 en tant que directeur de la recherche des systèmes. Il est promu CTO du groupe en janvier 2005 et vice président en mars de la même années.