L'IA, nouvelle arme face aux ruptures de la supply chain

L'IA, nouvelle arme face aux ruptures de la supply chain Stock manquant, fournisseur en difficulté, livraison en retard... Le machine learning permet d'anticiper une chaîne logistique qui se grippe ou se rompt, suite aux aléas du marché.

Comment prévoir l'imprévisible ? Telle est l'équation que cherche à résoudre le supply planner. Stock insuffisant pour faire face à une explosion de la demande, fournisseur subitement incapable de livrer, problème d'acheminement du produit fini... Une chaîne logistique qui se grippe, voire se brise, a des conséquences immédiates sur le chiffre d'affaires. C'est là que l'IA entre dans la danse, en promettant de mieux appréhender les aléas voire de les anticiper. Selon une étude réalisée par Incisiv pour le compte de JDA et KPMG, 80% des décideurs exerçant dans la supply chain ont bien conscience de ce potentiel.

Premier cas d'usage : devancer la demande client en vue de mieux gérer le sourcing et ainsi éviter les ruptures de stocks. Une piste notamment explorée par Engie. L'énergéticien a recours à l'intelligence artificielle pour optimiser les stocks de ses 200 agences et de son entrepôt central. Du chauffage à la climatisation, le groupe compte 1,4 million de références produits dans son ERP. Après avoir calculé des prévisions de ventes, l'IA génère des propositions d'approvisionnement en fonction de son inventaire et des fournisseurs en présence. Engie s'adosse pour ce projet à la technologie de la start-up française Vekia.

Autre groupe du Cac 40 explorant ce scénario, Carrefour a choisi l'application Viya du leader mondial des logiciels de statistiques SAS pour passer à la moulinette du machine learning des données issues de ses magasins, de ses entrepôts, mais aussi de ses sites d'e-commerce. L'entreprise a pour ambition de réduire à la fois les ruptures de stocks et les surstocks.

Maintenance prédictive IoT chez Engie

Poussant plus loin l'exercice, Engie entend désormais mettre le moteur d'IA de Vekia à la portée de ses 35 000 agents itinérants. Pour l'heure, la solution a été déployée sur une première agence, à Lille. Concrètement, l'application récupère le planning des techniciens, les catégories de maintenance qu'ils doivent réaliser, les types d'appareil concernés... Puis sur cette base, elle leur propose des combinaisons de pièces de rechange pour tendre vers le taux de retour le plus bas. "Le format et le poids des pièces sont également pris en compte au regard des capacités de transport des véhicules", précise Stéphane Moillic, directeur supply chain chez Engie. Aux côtés des stocks, l'algorithme prend en considération la typologie des clients ciblés, notamment les contrats de service auxquels ils ont souscrit.

"L'autre enjeu est d'anticiper les déplacements d'urgence"

Les premiers résultats du chantier sont positifs. "Dans 96% des cas, les pièces nécessaires aux techniciens sont déjà présentes en agence", constate Stéphane Moillic.

Engie envisage de déployer le dispositif à une dizaine d'autres agences en 2020. "L'autre enjeu est d'anticiper les déplacements d'urgence, qui représentent environ 20% de l'activité de nos agents, en calculant la probabilité de survenance d'une panne en fonction de l'historique d'une chaudière, son âge, sa consommation…", confie le directeur supply chain. Face à ce défi, le groupe entend évidemment recourir aux données issues de ses chaudières connectés Engie Home Services.

Graph et machine learning chez Scalian

A contre-courant d'une supply chain optimisée en partant de la consommation client, l'ESN française Scalian applique l'IA au décryptage des écosystèmes de fournisseurs. En s'appuyant sur les travaux de l'université américaine Georgia Tech et de l'IMT Mines Albi-Carmaux, elle a mis au point un prototype d'agent intelligent conçu pour piloter une supply chain sous la forme d'un graph. "Ce mode de data visualisation donne une vision globale de ses fournisseurs et de leurs interdépendances, qu'ils soient de premier rang, de deuxième rang et ainsi de suite. Un grand groupe industriel comme Airbus peut compter 10 000 distributeurs de premier rang. Via un graph, il pourra appréhender plus efficacement la complexité de ses multiples chaînes d'approvisionnement", explique Antoine Delugeau, directeur du laboratoire d'innovation de la division performance des opérations de Scalian.

En combinant ce graph à des modèles de machine learning, la solution de Scalian estime ensuite les risques de défaillance des fournisseurs. Recourant au natural language processing (NLP), elle est taillée pour analyser des données glanées sur le web, en matière météorologique, d'événements politiques, géopolitiques, sociaux, financières... "L'objectif est de cerner les difficultés auxquelles peut être confronté chaque acteur et d'évaluer les impacts en cascade que cela peut entraîner d'un bout à l'autre. Si un maillon ne répond pas présent, il déstabilisera tout un pan d'une chaîne logistique", insiste Antoine Delugeau. "En cas de risque avéré, le graph permettra immédiatement de reconfigurer la supply chain en activant d'autres fournisseurs."

"Nous planchons sur des mécanismes de deep learning pour anticiper les risques de rupture"

"Pour construire un modèle descriptif d'une supply chain, nous planchons sur des mécanismes de deep learning. L'objectif est de traduire les flux de données web recueillies en amont en concepts décrivant une situation et en typologies de risques : climatiques, géopolitiques, sociaux… Via le word embedding, ces flux sont traduits en vecteurs en vue de modéliser un espace de risque à plusieurs dimensions. Ensuite, un algorithme de planification et d'optimisation interviendra pour anticiper l'impact sur la chaine d'approvisionnement", explique Frédérick Benaben, professeur à l'École nationale supérieure des Mines d'Albi-Carmaux. En partenariat avec le Georgia Institute of Technology et Scalian, l'IMT Mines d'Albi-Carmaux a lancé un laboratoire baptisé SIReN centré notamment sur l'IA appliquée à la supply chain. 

Pour encadrer et confirmer les résultats du deep learning, les chercheurs de l'IMT Mines d'Albi-Carmaux, parmi lesquels figurent Aurélie Montarnal et Matthieu Lauras, ont conçu un système event-driven à base de règles taillé pour traiter les événements complexes ou CEP (pour complex event processing). "C'est une technologie de machine learning très performante pour faire émerger des paterns à partir de nouvelles données et ainsi appréhender des situations de crise inédites", résume Frédérick Benaben.

Le défi de la simulation

Une fois un risque de défaillance identifié chez un fournisseur, reste à reconfigurer la supply chain sans se tromper. "La simulation sera d'une aide précieuse pour prendre les bonnes décisions", enchaîne Antoine Delugeau chez Scalian. Et Frédérick Benaben d'ajouter : "Prenons l'exemple d'un fournisseur de premier rang qui fait faillite, le risque serait de se reporter immédiatement sur un de ses concurrents auquel feraient appel en parallèle d'autres fabricants concernés par le même problème. Il serait alors à son tour mis en difficultés, voire en incapacité de livrer. D'où l'intérêt de recourir à la simulation pour anticiper la situation."

Autre domaine dans lequel la supply chain peut bénéficier de l'IA : le robotic process automation (RPA). "Ce type d'application permet par exemple de coordonner les processus de gestion de non-conformités des pièces détachées en amont de l'assemblage d'un produit", indique Antoine Delugeau. Dans ce scénario, un agent conversationnel sollicitera les qualiticiens concernés pour s'assurer que les actions correctives ont été mises en œuvre. "Ce qui se traduira par des gains de temps et donc un time to market plus rapide", conclut Antoine Delugeau.