Emmanuel Aldeguer (OKP4) "L'infrastructure décentralisée d'OKP4 permet de mieux valoriser les données"

Fondée en 2018, la startup toulousaine OKP4 se prépare à lancer la version test de sa blockchain dédiée au partage de données d'entreprises. Rencontre avec le cofondateur Emmanuel Aldeguer et le responsable de la blockchain, Théo Pelliet.

JDN. A quelle problématique répond la création d'OKP4 ?

Emmanuel Aldeguer, CEO et cofondateur d'OKP4. © OKP4

Emmanuel Aldeguer. OKP4 signifie "Open Knowledge Protocol for everything and everyone". Nous sommes une blockchain consacrée à la création d'applications data, qui vont permettre et faciliter le partage de données. Il y a une méfiance vis-à-vis du partage de données et un gros déficit d'alignement d'intérêts. Aujourd'hui, quand on parle du marché de la donnée, on évoque essentiellement des échanges : un vendeur envoie ses données à un acheteur et celui-ci les retravaille. Nous, nous souhaitons permettre de partager ses données sans les échanger.

Quelles solutions OKP4 apporte-t-il dans ce contexte ?

E.A. Notre système permet d'orchestrer des interactions entre des individus, services, algorithmes, services d'hébergement ou de stockage, dont les données peuvent produire de la valeur ajoutée. C'est cette valeur ajoutée qui peut être redistribuée entre chacun des participants au réseau, au prorata de leur contribution. Il y a une notion de partage de valeurs.

Pouvez-vous nous présenter des cas d'usage actuels ? 

E.A. Il y a par exemple un consortium agricole subventionné par la région Bretagne qui s'appelle "La data est dans le pré", avec d'un côté le CERFrance, qui est un acteur de la comptabilité agricole, et de l'autre côté, des acteurs du conseil à l'élevage qui accompagnent les éleveurs sur les pratiques. Des structures très puissantes qui disposent de beaucoup de données, chacune dans leur secteur, mais confidentielles. Pour autant, la contextualisation et l'agrégation de ces données est de nature à permettre de créer des indicateurs très utiles et de nouvelles chaînes de valeur. Notamment auprès des industriels de l'agroalimentaire, par exemple pour calculer un prix de revient juste du lait. C'est un mix des données comptables et des années de pratique.

La valeur ajoutée ne vient pas des données brutes mais de la contextualisation de leur agrégation. Or, à l'origine ce sont deux acteurs économiques qui, sans cela, se seraient regardés en chien de faïence avant de bouger. Dans le cadre d'un projet de mise en place d'un dataspace, ils profitent de l'infrastructure proposée par le protocole OKP4 pour partager leurs données et mieux les valoriser. Les acteurs se regroupent sur des règles communes.

À l'origine, vous développiez OKP4 sur la plateforme IOTA. Pourquoi vous êtes-vous réorientés sur le réseau Cosmos ?

Théo Pelliet. La technologie IOTA s'est avérée peu fiable et problématique en termes de smart contract et de centralisation. En 2021, nous avons finalement opté pour Cosmos et son SDK afin de lancer notre propre blockchain. La question de la décentralisation est vaste. On s'est même posé la question d'un Layer-3 sur Bitcoin ou de smart contracts sur Ethereum mais ce que nous construisons est très complexe, avec plusieurs couches de gouvernance. Au bout du compte, le plus simple pour nos développeurs était d'avoir un environnement souverain et dédié, donc notre propre blockchain. On aura notre propre réseau d'environ 150 validateurs en proof-of-stake lors du lancement. L'enjeu, c'est vraiment d'avoir une distribution des tokens qui se veut la plus large possible.

"On aura notre propre réseau d'environ 150 validateurs lors du lancement"

Vous prévoyez l'émission d'un jeton. Quelle sera son utilité ?

T.P. C'est avant tout un jeton utilitaire pour transférer de la valeur entre les participants. La valorisation du jeton est aussi un mécanisme assez puissant pour attirer des nouveaux développeurs. Ce sera aussi un jeton de gouvernance.

Pensez-vous que le modèle de jeton est facile d'accès pour les entreprises ?

E.A. Le monde de l'entreprise n'est pas prêt pour la gestion de tokens. C'est pourquoi l'une de nos activités sera de servir d'intermédiaire aux entreprises qui ont un intérêt à utiliser le protocole mais sont fiat only et ne souhaitent pas avoir à gérer des tokens. Nous pourrons nous occuper de la problématique des wallets et des jetons.

Pourquoi un nouveau SAFT (simplified agreement for future tokens, une prévente de jetons) en septembre, dix mois environ après le premier ?

E.A. On a effectivement levé pas loin d'un million d'euros il y a quelques mois, avec notamment un premier SAFT qui a fait l'objet de 550 000 euros de souscription. A l'époque, nous envisagions d'effectuer une levée en seed en raison du bull market. Mais l'hiver crypto est arrivé et nous avons revu notre stratégie. Aujourd'hui, on est sur une phase de bridge avant une levée de fonds de dix millions qu'on envisage de faire au début de l'année 2023. Cette phase de bridge doit nous permettre d'aller jusqu'au déploiement de notre testnet (réseau test, ndlr) et de lancer les premiers cas d'usage. Le SAFT est un mode de financement rapide et intéressant, en raison des opportunités de liquidités.

Le bear market est-il un danger pour la pérennité de votre entreprise ?

E.A. Il vaut certes mieux lancer un jeton dans un marché haussier que dans un marché baissier mais notre projet, notre business model ne dépend pas de l'évolution du marché. Ce qui est important, c'est que le jeton ait une valeur grâce au réseau que l'on aura constitué.

Quand serez-vous prêt à déployer la phase de test de votre réseau ?

E.A. Le testnet est imminent, à l'automne. Pour le mainnet (blockchain principale et fonctionnelle, ndlr), on va prendre notre temps parce qu'on veut d'abord tester un certain nombre d'éléments.

Entrepreneur dans le conseil et marketing, Emmanuel Aldeguer a fondé OKP4 en 2018. Ingénieur agronome de formation, Théo Pelliet est responsable de l'infrastructure blockchain d'OKP4 depuis 2020.