L'IA française en pointe pour faire face à la crise énergétique

L'IA française en pointe pour faire face à la crise énergétique Energisme, Eficia ou encore Metron. Une poignée d'acteurs français commercialisent des plateformes de machine learning taillées pour optimiser la consommation énergétique des bâtiments tertiaires et industriels.

"La clé pour passer l'hiver, c'est la mobilisation générale", martèle la ministre chargée de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, à l'issue du conseil de défense du 2 septembre dernier. Pas moins de 32 réacteurs nucléaires sont à l'arrêt, pour cause de corrosion ou de maintenance. Face à cette situation inédite, Xavier Piechaczyk, président du réseau de transport d'électricité (RTE), estime dans Les Echos qu'une baisse de la consommation de l'ordre de 15% est nécessaire cet hiver, aux heures les plus tendues, dans l'optique d'éviter la panne de courant. Du côté du gouvernement, on mise donc pour l'instant sur une stratégie de sobriété énergétique choisie. Dans son discours d'ouverture à la Rencontre des entrepreneurs de France du Medef fin juillet, Elisabeth Borne déclarait que la France devrait se "préparer" à des mesures de "rationnement" d'énergie, précisant que "les entreprises seraient les premières touchées". Confrontée à une crise énergétique sans précédent, ces dernières pourraient trouver dans l'IA une planche de salut. Et ce, à la fois en vue de réduire leur consommation électrique, mais également dans l'optique d'anticiper d'éventuelles coupures.

Parmi les éditeurs français de l'IA énergétique, Eficia développe une plateforme en mode cloud conçue pour le tertiaire. En amont, elle fédère des indicateurs de température, d'humidité, de luminosité issus de capteurs Lora installés sur l'ensemble des bâtiments de ses clients. En parallèle, elle récupère les niveaux de consommation d'énergie des systèmes de chauffage-ventilation-climatisation (CVC), d'éclairage... Le tout en temps réel. "Si ces dispositifs ne sont pas communiquants, on les équipera d'automates pour les piloter à distance", précise Alric Marc, président et fondateur d'Eficia. En coulisse, le modèle d'apprentissage tire parti de l'historique de l'immeuble, mais aussi du comportement des édifices équivalents d'autres clients, qui auront été confrontés à des contextes télémétriques identiques. Eficia gère quelque 3000 bâtiments à date, à travers la France, l'Espagne et l'Italie.

Le défi des pics d'activité

Au fil du temps, les algorithmes de machine learning d'Eficia s'affutent. "Les modèles estiment de mieux en mieux la capacité d'inertie du bâtiment, l'objectif étant de régler, voire de couper, le chauffage ou la climatisation au regard du temps nécessaire pour que chaque zone (salle, étage, local technique, ndlr) atteigne la température voulue, à la hausse ou à la baisse, en fonction des prévisions météo", détaille Alric Marc. "La chaleur monte. Du coup, il ne sera pas nécessaire de chauffer autant le rez-de-chaussée que les étages supérieurs." Un critère que l'IA intégrera dans son équation. A cela s'ajoute une autre dimension : l'activité. Des capteurs relevant la concentration en CO2 permettront d'estimer le nombre de personnes présentes par zone en fonction de l'heure de la journée, du jour de la semaine, et de la période : vacances, jours fériés, créneaux de télétravail. Un indicateur qui permettra d'ajuster le système de CVC (chauffage, ventilation, climatisation). En relevant de potentiels écarts dans les relevés, l'IA identifiera par ailleurs une fenêtre restée ouverte ou un potentiel problème technique : disjoncteur défaillant, lumière restée allumée la nuit, panne de CVC, etc.

"Dans le cas d'un campus, l'IA pourra prévoir les schémas de consommation / production entre bâtiments"

Face à Eficia, Metron revendique un positionnement nettement plus généraliste. Aux côtés du secteur tertiaire, l'éditeur, lui aussi parisien, cible également les infrastructures industrielles. Le défi : optimiser la consommation énergétique des processus de fabrication tout en maintenant au plus haut la qualité du produit. "Chez Arcelor, nous aidons par exemple les opérateurs à ajuster le temps d'ouverture des fours. Quelques secondes de plus ou de moins peuvent avoir un impact substantiel sur la dépense en électricité. Sachant qu'il faut tenir compte en parallèle de nombreux paramètres pouvant faire varier cet ajustement : la quantité de fluide en fusion dans le four, le taux d'humidité dans l'air…", explique Tanguy Detroz, Deputy-CEO de Metron. "La logique est équivalente pour les processus de pasteurisation dans l'agroalimentaire. Idem pour le réglage des vannes des stations d'épuration qui doivent prendre en considération de multiples facteurs : pluviométrie, météo, volume, taux d'oxygène dans les boues... Pilotant 20 000 sites sur les quatre continents, l'IA de Metron combine plusieurs types d'algorithme : arbre de décision, régression linéaire et réseau de neurones.

Gérer l'effacement en cas de pénurie

Autre acteur français à mettre l'IA au service des économies d'énergie, Energisme cible comme Metron le tertiaire et l'industrie. Basée à Boulogne-Billancourt, cette société va jusqu'à piloter des systèmes de production électrique. "Notre offre SaaS N'gage prend en compte les capacités des panneaux photovoltaïques des bâtiments, et celles des bornes de recharge des voitures électriques sur site. Des bornes qui peuvent être bidirectionnelles et utiliser les batteries des véhicules pour alimenter l'immeuble", souligne Thierry Chambon, directeur général d'Energisme. Quel est le niveau d'ensoleillement prévu par la météo ? Quel est le nombre de voitures électriques présentes et leur niveau de charge ? Partant de ces indicateurs, N'gage pourra choisir une source de courant plutôt qu'une autre. "Dans le cas d'un campus, l'IA pourra prévoir les schémas de consommation/production entre bâtiments. S'il elle anticipe que l'un d'entre eux accueillera peu ou pas de collaborateurs sur telle période, du fait du télétravail par exemple, elle routera alors sa production électrique vers les autres, en fonction de leur niveau d'activité", complète Thierry Chambon.

Chez Eficia, on promet des économies d'énergie moyennes de 20% à 25%, avec à la clé un retour sur investissement au bout de 6 à 48 mois. "Le prix du projet déprendra du périmètre et surtout de la complexité des bâtiments à couvrir", commente Alric Marc. Reste à savoir comment répondre aux futures potentielles mesures de rationnement qui seraient prises par le gouvernement cet hiver. "Nous travaillons en ce moment avec nos clients sur des plans d'effacement, visant à éteindre où réduire la consommation de certains équipements non-vitaux, sur des plages horaires données, afin de soulager le réseau électrique en cas de pénurie", confie Alric Marc. L'IA d'Eficia ingérera cette contrainte comme un nouveau paramètre à prendre en compte.