Laurent Benatar (Orange) "Notre data center de Val-de-Reuil est le plus moderne d'Europe"

Nouvellement nommé directeur technique France de l'opérateur historique, Laurent Benatar conserve ses fonctions de DSI. Interview exclusive.

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DSI d'Orange France, Laurent Benatar a été nommé directeur technique de l'opérateur historique en septembre 2013. © Orange


DSI d'Orange France depuis 2010, Laurent Benatar est responsable de la conception et du développement de tous les systèmes d'information métier d'Orange, à l'exclusion des applications de gestion financière et RH - gérées, elles, au niveau du groupe. Il est ainsi en charge des systèmes de gestion des commandes, des livraisons ou de la facturation (que ce soit pour les marchés du grand public, des entreprises ou de gros). Des applications qui recouvrent trois principaux canaux de relation client : les boutiques Orange, les centres d'appels et le web. Laurent Benatar n'assurait pas jusqu'ici l'exploitation de ces systèmes qui était prise en charge par la direction technique d'Orange, au même titre que l'infrastructure réseau de l'opérateur. Aux côtés de ses missions de DSI, il reprend aujourd'hui l'ensemble de cette activité technique qui représente 35 000 personnes. Sa sphère de responsabilité technique s'étend dès lors aux réseaux de l'opérateur, mais aussi à ses data centers français et ses plateformes de services (plateformes de télévision, de téléphonie fixe et mobile, de fourniture d'accés à Internet ADSL et fibre...).

JDN. Allez-vous travailler au rapprochement des deux activités que vous dirigez, la DSI et la direction technique ?

Laurent Benatar. Pour bien maitriser un système, il faut en maitriser à la fois le développement et l'exploitation de bout en bout. Dans cette optique, nous avions déjà lancé conjointement, entre la DSI et la direction technique, des travaux autour de la qualité de service. Un plan d'actions a été défini avec la création de deux grands indicateurs communs : le niveau de satisfaction des utilisateurs d'une part, le taux d'indisponibilité du point de vue du client, de la commande jusqu'au paiement, d'autre part. Ce travail a permis de passer d'un taux de satisfaction de l'ordre 60% en 2011, à plus de 80% actuellement.

Aujourd'hui, mon nouveau poste me donne l'opportunité de poursuivre ce travail. Mais avant de prendre toute décision liée au management ou à l'organisation, je vais d'abord analyser l'organisation existante, les points positifs comme les problèmes rencontrés par les équipes. N'oublions pas que je me retrouve aujourd'hui à la tête d'une direction technique de quelque 15 000 salariés, auxquels s'ajoutent environ 20 000 personnes sur le terrain qui prennent en charge les interventions, les réparations, etc...

Réalisez-vous beaucoup de développements spécifiques ?

Le développement spécifique concerne avant tout l'informatique, qui est une activité généralement plus orientée sur le sur-mesure, répondant à des besoins métier internes particuliers. C'est un peu moins vrai du côté de notre réseau, où l'enjeu est plutôt d'assembler des briques acquises sur le marché. C'est le cas par exemple des plates-formes de SMS proposées sur étagère. La différence entre les opérateurs se situe dans la capacité à assembler intelligemment et efficacement ces briques.

"La 4G occupe toutes mes équipes"

Pour certaines fonctions de service néanmoins, nous nous sommes orientés en effet vers des développements spécifiques dans le but de nous différencier. C'est le cas pour de la messagerie unifiée, dans l'optique notamment d'associer plus intiment fixe et mobile. Mais aussi pour certains services de télévision accessibles via la Livebox.

Il n'y a donc pas de politique technologique complétement arrêtée. Il est crucial de faire preuve de souplesse. Dans l'environnement concurrentiel exacerbé qui est le nôtre, avec un modèle de création de valeur qui évolue en permanence, mon rôle est avant tout de dynamiser le potentiel de propositions d'innovation et de valeur que nos ingénieurs peuvent faire au marketing. Le tout en maitrisant nos coûts de mise en œuvre et d'exploitation, alors même que les besoins explosent. C'est mon grand défi !

Un mot sur vos principaux projets du moment en tant que directeur technique d'Orange France...
Aujourd'hui, la 4G occupe toutes mes équipes. D'abord, le chantier porte naturellement sur le réseau, avec à la clé l'exploitation des fréquences de 2,6 GHz et 800 MHz qui nous ont été attribuées, et qui nous permettent respectivement d'offrir densité et couverture du territoire. A cela s'ajoute la mise en place de plates-formes de services différenciantes, et d'offres de terminaux qui vont se brancher sur le réseau. Enfin, il nous a fallu adapter nos systèmes d'information pour commercialiser ces nouvelles offres de manière fluide. Ce sont là les ingrédients techniques qui feront que l'offre 4G d'Orange sera distinctive.

Comment parvenez-vous à rationaliser vos systèmes pour en réduire les coûts ?
Prenons l'exemple de l'offre Sosh lancée en 2011. Pour la créer, nous partions d'un réseau existant, mais aussi de composants déjà développés : commande, facturation... L'idée était donc de les réutiliser en les assemblant différemment pour créer une offre accessible en ligne et décorrélée de l'achat d'une nouveau smartphone. Nous avons décidé de partir d'un framework léger de type SOA pour intégrer rapidement ces composants sous forme de Web Services. Le pari a été tenu puisque nous sommes parvenus à lancer cette offre mobile 100% connectée et sans engagement avant celle de Free. Nous sommes en train d'appliquer la même stratégie technique pour d'autres offres Orange. 

"Notre système d'information compte 35 000 machines virtuelles"

Il s'agit de gérer la mutation des services d'Orange vers le numérique...

L'enjeu est de taille : faire en sorte que tous les actes de gestion possibles via nos canaux historiques, les boutiques ou centres d'appels, soient possibles sur le web. Nous travaillons dans cette optique sur une logique métier unique, de manière à ce que l'expérience du salarié en contact avec un client et l'expérience d'un client via nos services en ligne soient proches. L'idée est d'éviter les systèmes propriétaires pour chaque canal, en s'adossant sur une logique métier commune, en matière de consultation de facture, d'actes de recouvrement... C'est un enjeu économique majeur pour un opérateur comme nous ,avec des offres sur de nombreux créneaux : téléphone fixe, IP ou pas, mobile, pour les particuliers, les professionnels...

Cette démarche se structure d'ailleurs désormais à partir du digital. On inverse la logique qui était jusqu'ici de partir des systèmes des boutiques et centres d'appel. Si vous avez de très nombreuses options disponibles au sein d'une offre et si vous ne savez pas la présenter à un client sur le web, comment un salarié pourrait-il la vendre ? Cette réflexion est d'autant plus importante pour nous que l'avenir est dans l'ergonomie d'un smartphone. Si vous savez rendre un contenu compréhensible sur un smartphone, vous saurez décliner cette simplicité et cette efficacité sur d'autres terminaux.

Où en est votre projet de data center de Val-de-Reuil ?

Notre centre de calcul de Val-de-Reuil que nous inaugurons cette semaine, n'est pas uniquement un défi technique, c'est aussi un défi commercial. Nous estimons qu'Orange est légitime sur le marché du cloud à la fois au niveau français et européen. La France et l'Europe sont très en retard dans ce domaine. Quelques acteurs devraient pouvoir s'imposer sur le marché. Avec cette plate-forme, notre valeur ajoutée est de proposer des solutions de cloud de bout en bout très intégrées, du centre de calcul au réseau en passant par l'automatisation, avec un savoir-faire très complet d'Orange Business Services. C'est là notre principale force.

C'est dans ce cadre que la direction technique a construit ce centre de calcul. Un data center que nous estimons être, pour l'heure, le plus moderne d'Europe. Environ la moitié sera dédiée à des applications internes (nous comptons 35 000 machines virtuelles), l'autre moitié à nos clients, au moins dans un premier temps. C'est un chalenge technique très complexe qui combine SaaS, infrastructures logicielles et matérielles, solutions de Software Define Network... Face à ces nombreux défis, nous nous appuyons beaucoup sur notre antenne dans la Silicon Valley, Orange Silicon Valley. Elle réalise un travail de veille sur les offres de cloud américaines. Elle construit aussi des prototypes que nous importons ensuite en France pour en faire des solutions.

Quelle est votre politique interne en matière de BYOD, ou utilisation de terminaux personnels pour le travail ?

Nous équipons la moitié de nos salariés en mobiles. Nous délivrons aussi des tablettes aux populations internes qui en ont besoin. C'est le cas des techniciens d'intervention, mais aussi des commerciaux Enterprise et des cadres dirigeants. Représentant Orange à l'extérieur, ils se doivent de disposer de terminaux nomades à l'état de l'art. Sur le plan Bring Your Own Device, nous avons développé un service qui permet d'abonner sa tablette aux services de l'entreprise. C'est un principe donnant-donnant. L'entreprise vous donne accès à des applications, telle que la messagerie par exemple. En contre-partie, elle vous impose des règles de sécurité, et l'installation d'éléments pour sécuriser votre terminal.