Le commerce de contrefaçon de logiciels sur Internet : un double phénomène, un triple préjudice !

Bien que peu présente dans les discussions autour du projet de loi "Création & Internet", l'industrie du logiciel est directement concernée par la contrefaçon sur internet. Etat des lieux des différentes pratiques constatées.

Le droit d'auteur et la diffusion des œuvres sur Internet sont au cœur de l'actualité, avec le vote par le Sénat, fin octobre, du projet de loi « Création et Internet » ou « loi Hadopi ». Si les discussions autour de ce projet de loi ont principalement été axées sur les problématiques de non-respect des droits d'auteurs dans le domaine culturel de la musique ou du film, un autre secteur créateur d'emplois est directement concerné par la contrefaçon sur Internet : l'industrie du logiciel.

Les contrefaçons de logiciels figurent au palmarès des produits les plus diffusés par le biais d'Internet. Tous les éditeurs, quelle que soit leur taille, sont visés par cette tendance lourde qui s'explique en partie par la nature spécifique du logiciel, produit tant matériel qu'immatériel.

En effet, il est possible d'acquérir un logiciel sur un support matériel (CD, DVD ...), sous emballage, mais également par le biais de téléchargement légal directement en ligne, sur le site de l'éditeur ou sur des sites de revendeurs agréés. Cette particularité rend la nature du piratage double : celui-ci peut en effet se faire via la vente de contrefaçons physiques et / ou le téléchargement illégal.

Un double phénomène : l'offre de contrefaçons physiques et le téléchargement illicite

Sites champignons, plateformes d'enchères en ligne, e-commerçants : avec l'avènement du haut débit et l'augmentation du nombre de connectés (17,6 millions d'abonnés en France au 31 mars 2008[1]), Internet est devenu une voie privilégiée pour le développement des réseaux de contrefaçons. Les contrefacteurs profitent en effet de la toile pour écouler leurs marchandises et approvisionner de manière discrète et efficace des réseaux parallèles de distribution.

Le concept de « sites champignons » est ainsi très utilisé par les vendeurs de logiciels contrefaisants. Leur mode de fonctionnement est simple : les contrefacteurs créent un site internet sur lequel ils commercialisent des logiciels piratés et se font connaître sur la toile via des pourriels en vue de s'assurer un public et de garantir une rentabilité rapide de leur site.

Il faut souligner que la tâche des autorités publiques est particulièrement ardue quant il s'agit d'identifier ces sites en raison de leur domiciliation fréquente dans des pays régis par des lois moins strictes. Il s'agit véritablement d'un travail de longue haleine pour les autorités devant également affronter la récidive de certains contrefacteurs qui ne manquent pas, et cela bien que leur site initial soit condamné, d'en lancer un autre, dans la foulée, sur une adresse Internet différente et de continuer leurs méfaits. Les autorités compétentes doivent donc sans cesse faire preuve de vigilance et lancer régulièrement de nouvelles procédures pour résorber ces contrefaçons.

La difficulté est d'autant plus grande que les pourriels envoyés par ces pirates sont quasiment le seul moyen d'identifier un site de vente de contrefaçons. Après avoir collecté, de manière frauduleuse, des adresses mails sur Internet au moyen de robots, les sites champignons inondent les internautes de mails publicitaires illicites relayant des informations promotionnelles et les incitant à se rendre sur ledit site pour acquérir des logiciels à des prix défiant toute concurrence ! bien souvent, les prix sont très en dessous des montants généralement pratiqués et c'est en général à ce moment là que le soupçon naît sur le bien fondé du site.

Enfin, il ne faut pas oublier que s'ils peuvent paraître très attractifs pour les internautes, les produits commercialisés sur ces sites sont, la plupart du temps, porteurs de virus et risquent d'endommager gravement les ordinateurs des utilisateurs.  Dans un rapport intitulé "The Risks of Obtaining and Using Pirated Software," publié en octobre 2006, le cabinet d'études IDC révèle que 25% des sites Web proposant un accès à des logiciels pirates envoient automatiquement aux utilisateurs des malwares qui peuvent mettre à mal la sécurité et la performance des ordinateurs.

Il est en outre assez fréquent que les commandes passées sur ces sites internet ne soient jamais livrées. Et, bien évidemment, dans ces cas là, il n'y a aucun recours possible. Il est donc essentiel pour les éditeurs, mais surtout pour les utilisateurs, de faire en sorte que ces sites soient fermés et ne se développent pas davantage.
Outre ces pratiques, le téléchargement illicite constitue un autre moyen de véhiculer des logiciels contrefaits qui bien souvent se révèlent inutilisables à l'usage.

Ici encore, les contrefacteurs disposent d'un grand nombre d'outils leur permettant de mettre à disposition ces logiciels et d'en tirer un bénéfice : hébergement centralisé du type newsgroups, réseaux décentralisés du type eDonkey ou encore systèmes hybrides d'indexation et de diffusion de contenus illicites du type PirateBay.

Aujourd'hui, le téléchargement illicite est de plus en plus utilisé par les internautes, ces derniers ne se rendant pas toujours forcément compte des risques qu'ils encourent. Ainsi, le Peer-to-Peer (P2P), programme sur lequel s'appuie la plupart des sites de téléchargement illicite, représente entre 49 et 89% du trafic sur Internet en Europe, au Moyen-Orient et en Australie. Ce taux atteint même près de 95% la nuit.[2]

Face à ce double phénomène dont la dimension internationale renforce encore davantage la complexité, il devient essentiel d'aboutir à une responsabilisation accrue de la chaîne des acteurs du e-commerce - plateformes d'enchères en ligne, hébergeurs, e-commerçants.

Les sites d'enchères en ligne sont également une cible privilégiée pour les revendeurs de produits contrefaits. En effet, ces derniers y voient un moyen idéal de toucher un grand nombre de consommateurs potentiels, bien souvent attirés par les prix très attractifs proposés par les vendeurs.

Ces prix, souvent très loin des montants officiels pratiqués par les éditeurs ou les revendeurs agréés, devraient d'ailleurs attirer l'attention des acheteurs potentiels, mais également des sites de ventes aux enchères.

Un triple préjudice : éditeurs, distributeurs, consommateurs
Pour l'utilisateur, la contrefaçon de logiciel est souvent synonyme d'arnaque, de tromperie ou encore de publicité mensongère. En guise de produit logiciel, c'est bien souvent un CD gravé inutilisable que recevra l'internaute, celui-ci ayant tout simplement décidé d'acheter un produit en ligne par le biais d'enchères ou de sites champignons mais sans véritablement s'être assuré au préalable de l'authenticité du logiciel commandé.

Si cela peut paraître anodin, pour les contrefaçons plus élaborées, les risques en matière de sécurité informatique sont sérieux. Dans certains cas, près d'un logiciel contrefaisant sur deux contient des virus ou autre malware à même de faciliter la captation frauduleuse de données personnelles. Pour les utilisateurs, le risque est donc très élevé. Certains virus sont en effet à même de repérer au sein des ordinateurs personnels les différents identifiants et mots de passe et de les renvoyer aux pirates qui pourront dès lors les utiliser en toute impunité.

Le danger est d'autant plus grand que certains sites Internet légaux conservent, au sein des profils de leurs utilisateurs, leurs coordonnées bancaires. Les pirates peuvent alors utiliser ces données à des fins malhonnêtes. Enfin, les distributeurs peuvent également pâtir de ce type de piratage car, après une ou plusieurs expériences malheureuses, les internautes peuvent tout simplement perdre peu à peu confiance dans les sites marchands en ligne, entraînant de ce fait une baisse de l'activité de ce secteur.

La contrefaçon, un effet boule de neige
Le niveau d'emploi dans le secteur informatique peut également pâtir directement de la contrefaçon de logiciel. La concurrence déloyale exercée par les réseaux parallèles de distribution de produits illicites impacte directement l'activité des professionnels de l'informatique, partenaires naturels des éditeurs de logiciels dans la lutte contre la contrefaçon. Une étude commandée par BSA[3] démontre que le taux de piratage en France en 2007 a atteint 42%. Ce taux entraîne un manque à gagner pour l'industrie du logiciel de l'ordre de 1,77 milliards d'euros (2,6 milliards de dollars)[4].

Une autre étude[5], publiée en janvier 2008, a montré qu'une baisse du piratage de logiciels était susceptible de générer des centaines de milliers d'emplois nouveaux et des milliards de dollars de croissance économique, tout en gonflant les recettes fiscales qui serviraient à financer les programmes et services locaux.

En effet, selon le cabinet d'études IDC, chaque euro dépensé dans l'achat d'un logiciel s'accompagne de 1,25 euro de dépenses annexes, principalement des services associés comme l'installation du logiciel, la formation du personnel ou les services de maintenance. Cet investissement supplémentaire, généré par la vente même du logiciel, profite pour l'essentiel à des entreprises de distribution et à des services informatiques implantés localement. Aussi, si le piratage des logiciels baissait aujourd'hui, la plus grande partie des gains économiques générés par la vente de logiciels resterait dans le pays, participant ainsi à l'amélioration de la santé économique.

En prenant l'exemple de la France, une simple réduction de 10 points du taux de piratage, étalée sur les quatre prochaines années, permettrait de renforcer le secteur informatique local, de générer 14 465 nouveaux emplois bien rémunérés et de contribuer à l'économie française à hauteur de 6 052 millions d'euros (8 907 millions de dollars).

[1]
Chiffre de l'observatoire des marchés de l'Autorité de Régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

[2] Selon une étude sur l'utilisation d'Internet en Europe, au Moyen-Orient et en Australie, réalisée en août et septembre 2007. "Majority of Internet bandwidth consumed by P2P services," Paul Mah, IT News Digest on Tech Republic.com, 28 novembre 2007, http://blogs. techrepublic.com.com/tech-news/?p=1651.

[3] Cinquième étude annuelle sur le piratage de logiciels, qui couvre 108 pays, réalisée de manière indépendante par IDC, numéro un mondial des prévisions et études de marché pour le secteur des technologies de l'information

[4] 1 € = 1,47185 dollars au 31 décembre 2007

[5] Etude BSA-IDC publiée en janvier 2008 examinant les retombées économiques d'une baisse du piratage de logiciels dans 42 pays et reposant sur le Piracy Impact Model (PIM) d'IDC, un modèle de calcul des effets du piratage qui utilise les enseignements des études de marché d'IDC sur les dépenses informatiques et le piratage de logiciels dans le monde entier ainsi que d'autres informations sur les niveaux d'emploi en informatique et sur la fiscalité en rapport avec l'informatique.