La valeur probante de l’écrit numérique

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 4 décembre 2008 pose une première pierre à l’édifice jurisprudentiel concernant la reconnaissance par les tribunaux de la valeur probante de l’écrit numérique.

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 4 décembre 2008 (pourvoi n°07-17622) pose une première pierre à l’édifice jurisprudentiel qui reste à construire concernant la reconnaissance par les tribunaux de la valeur probante de l’écrit numérique : il confirme que l’écrit numérique doit respecter les dispositions de l’article 1316-1 du Code Civil, et être horodaté. Nous y ajoutons la nécessité de documenter le processus de dématérialisation par une politique d’archivage afin d’optimiser le traitement judiciaire de ce type de litige.

L'audit juridique des processus dématérialisés repose actuellement sur l'interprétation des dispositions récemment introduites dans notre droit pour prendre en compte la numérisation croissante des échanges et des documents.

Cette interprétation s'appuie sur quelques textes réglementaires, ainsi que sur un important travail normatif et technique permettant de traduire de façon concrète les exigences fonctionnelles de haut niveau posées par la loi pour pouvoir conférer même valeur probante à un document numérique et à un document papier.

Nous manquions jusqu'ici de l'appui de la jurisprudence. Face à des dispositions nouvelles qui s'inscrivent dans une révolution sociétale majeure, celle de la disparition progressive du papier au profit du numérique, les acteurs restent frileux. Ils attendent une réponse crédible à la grande question : quelle valeur ce document numérique aura-t-il s'il est contesté ? L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 4 décembre 2008 (pourvoi n°07-17622) donne des pistes de réponses qui nous paraissent fondamentales pour asseoir la confiance des acteurs concernés.

Les faits
La CPAM de la Marne décide de prendre en charge la maladie d'une salariée de la société Continent France au titre de la législation professionnelle applicable. On sait que la procédure d'instruction de la reconnaissance du caractère professionnel des accidents de travail et des maladies professionnelles doit respecter le principe du contradictoire, ce qui nourrit un contentieux abondant entre les employeurs et les caisses d'assurance maladie.

Le fondement de l'obligation d'information de la CPAM repose sur l'article R. 441-11 du Code de Sécurité Sociale, dont les contours ont été précisés par plusieurs décisions de la chambre sociale de la Cour de Cassation.

Conformément aux dites obligations, la CPAM aurait envoyé le 20 janvier 2003 un courrier à la société Continent France, aux fins de l'aviser de la fin de la procédure d'instruction, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle entendait prendre sa décision. L'article R.411-11 n'impose pas de condition de forme à cette information et en l'espèce, l'envoi du courrier d'information par la CPAM n'a pas fait l'objet d'un courrier recommandé avec avis de réception.

La société Continent France n'a jamais reçu ce courrier. Elle saisit alors la juridiction compétente aux fins que la décision de prise en charge lui soit déclarée inopposable.

A l'appui de sa défense, la CPAM soutient qu'elle a bien rempli son obligation d'information et produit un enregistrement informatique du courrier qu'elle aurait envoyé à Continent France.

La Cour d'Appel de Reims accueille les prétentions de la CPAM, considérant que la preuve de l'envoi de la lettre d'information pouvait être faite par tous moyens, et qu'il ne saurait être reproché à la CPAM de n'avoir gardé qu'une copie informatique de cette lettre.

La décision de la Cour d'Appel est cassée par la Haute Juridiction, dans un arrêt riche d'enseignements dont nous reprendrons les principaux aspects.

La preuve de la date, de l'envoi et de la réception d'un courrier
En l'espèce, la position de la CPAM n'était guère défendable. Elle produisait en effet au débat une impression papier réalisée en 2004 de l'enregistrement informatique de 2003.

Non seulement elle était incapable d'apporter la preuve de ce que le courrier ait un jour été envoyé mais surtout, elle n'apportait pas la preuve de ce que le courrier eût été créé et stocké sous forme numérique au jour de son établissement, à savoir le 20 janvier 2003.

Une des qualités premières de la copie numérique est en effet que celle-ci soit horodatée. Aujourd'hui, tous les documents papiers émanant des administrations ou des entreprises sont d'abord élaborés sous forme informatique, puis le cas échéant édités pour être transmis sous forme papier. L'exemple le plus courant en est la facture. Aux termes du Bulletin Officiel des Impôts du 11 janvier 2007, les entreprises sont autorisées à conserver sous forme électronique uniquement les factures qu'elles transmettent sous forme papier à leurs clients, à condition d'utiliser un système technique répondant à certaines conditions et il est précisé, s'agissant de la date d'enregistrement dans le système informatique :

« 16. L'opération d'enregistrement doit intervenir à une date la plus proche possible de celle de l'opération d'impression de l'original de la facture sur support papier. Le système informatique doit permettre d'identifier ces deux dates.
17. A cet égard, un système informatique qui assurerait l'alimentation de la base de conservation d'une manière automatique et à un moment quasi concomitant à celui de l'impression de l'original papier constituerait un facteur d'appréciation favorable ».

Les préconisations de l'administration fiscale sont transposables à toutes les applications, de plus en plus nombreuses, où le processus éditique et le processus numérique sont opérés en parallèle : à partir d'un même fichier contenant les informations, il est produit d'une part un document papier envoyé au destinataire et d'autre part son double numérique, qui sera seul conservé par l'émetteur.

Cette décision nous apprend que l'horodatage du fichier informatique conservé est une fonction essentielle du processus informatique mis en œuvre.

Reste le sujet de la preuve d'envoi et de la preuve de réception. Nous étions ici dans un système mixte, et les faits de l'espèce enfoncent une porte ouverte : l'envoi d'un courrier simple sous forme papier est à peu près aussi fiable que l'envoi d'un e-mail, c'est-à-dire pas du tout. Le recommandé avec accusé de réception électronique prend ici tout son sens car il est beaucoup moins onéreux que son équivalent papier et permet, s'il est élaboré avec un système fiable, d'apporter les preuves d'envoi et de réception d'un document. Le courrier recommandé électronique a été introduit dans notre droit par l'ordonnance du 16 juin 2005, qui a ajouté à notre Code Civil un article 1369-8 ainsi rédigé :

« Une lettre recommandée relative à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat peut être envoyée par courrier électronique à condition que ce courrier soit acheminé par un tiers selon un procédé permettant d'identifier le tiers, de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si la lettre a été remise ou non au destinataire.


Le contenu de cette lettre, au choix de l'expéditeur, peut être imprimé par le tiers sur papier pour être distribué au destinataire ou peut être adressé à celui-ci par voie électronique. Dans ce dernier cas, si le destinataire n'est pas un professionnel, il doit avoir demandé l'envoi par ce moyen ou en avoir accepté l'usage au cours d'échanges antérieurs.
Lorsque l'apposition de la date d'expédition ou de réception résulte d'un procédé électronique, la fiabilité de celui-ci est présumée, jusqu'à preuve contraire, s'il satisfait à des exigences fixées par un décret en Conseil d'Etat.
Un avis de réception peut être adressé à l'expéditeur par voie électronique ou par tout autre dispositif lui permettant de le conserver.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »

On peut déplorer que le décret d'application de l'article ne soit toujours pas paru, bientôt quatre ans après le texte. Cela n'empêche heureusement pas l'apparition sur le marché d'offres fiables qui permettent - à tout le moins entre professionnels, de sécuriser les échanges numériques et de rapporter des preuves d'envoi et de réception. L'arrêt commenté n'apporte bien sûr aucun enseignement sur la façon dont les juges accueilleront ces preuves. Comme nous le verrons plus loin, nous pensons que leur crédibilité sera très dépendante de la qualité de la documentation élaborée lors de la mise en œuvre des services dématérialisés.

La copie informatique : reproduction fidèle et durable
La Cour de Cassation rappelle le principe posé par l'article 1348 du Code Civil, à savoir que « lorsqu'une partie n'a pas conservé l'original d'un document, la preuve de l'existence de ce document, peut être rapportée par la présentation d'une copie qui doit en être la reproduction non seulement fidèle mais durable ».

La notion de copie a évolué depuis l'apparition, en 1980, de cette disposition dans le Code Civil. La copie électronique doit maintenant être communément admise, car il n'existe presque plus de documents papiers originaux au sens où on l'entendait autrefois.

Un document peut aujourd'hui prendre de nombreuses formes « originales » : édition papier non signée (cas de la facture), édition papier signée (cas du courrier papier classique), ou encore document électronique natif. Dans chacun de ces cas, la notion de copie, et en particulier de copie électronique, devra être appréciée différemment. Lors de l'élaboration en 1980 de l'article 1348, les rédacteurs avaient surtout en tête des reproductions physiques des documents, telles la photocopie ou le microfilm.

Pour autant, les critères de «fidélité » et de « durabilité » restent tout à fait pertinents pour qualifier la copie électronique. Ils sont d'ailleurs repris tels quels par le bulletin officiel des impôts précités qui dispose :
« En cas de doubles de factures de ventes conservées sur support informatique, la valeur probante du « double électronique » conservé par le fournisseur dépend essentiellement de l'utilisation d'un dispositif technique assurant au système d'information utilisé une fiabilité équivalente à celle que procure l'impression des factures sur papier et permettant de considérer que le « double électronique » constitue [...] la reproduction fidèle et durable de l'original de la facture adressée au client sur support papier »

A l'occasion de la réforme du droit de la preuve consacrée par la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, cette notion de fidélité et de durabilité a été traduite par le critère fonctionnel global d' « intégrité » mentionné par l'article 1316-1 du Code Civil. L'intégrité d'un document numérique peut, en pratique, être assurée par différents moyens techniques, qui sont explicités dans les documents normatifs relatifs à l'archivage numérique.

La copie informatique d'un original papier signé doit reproduire la signature de l'auteur
Au-delà des considérations générales sur les critères à remplir par une copie électronique, l'arrêt de la Cour de Cassation du 4 décembre 2008 apporte un enseignement fondamental aux entreprises qui souhaitent archiver numériquement les copies de courriers originaux signés.

La Cour décide en effet que « Alors, de quatrième part, que [...] la Cour d'Appel a constaté que le document litigieux présenté par la Caisse, qui ne comportait pas la signature de son auteur, comme la copie d'un courrier d'information prétendument envoyé par la CNAM de la Marne le 20 janvier 2003 avait été « édité sur un papier à en tête revêtu d'un logo diffusé en 2004 » ; qu'en ne tirant pas les conséquences de cette constatation dont il résultait que le document n'était pas une copie fidèle du prétendu courrier d'information original, la Cour d'Appel a violé les articles 1334 et 1348 du Code Civil ».

En l'espèce, la CNAM avait probablement conservé dans son système informatique le fichier issu d'un traitement de texte ayant servi à éditer le courrier original, ne comprenant ni en tête ni signature. Lorsque le litige survient, pour faire preuve de l'existence du courrier elle en produit une édition papier sur le papier en tête alors disponible de la CNAM, qui est différent de celui du jour de l'émission du courrier. C'était fort maladroit, car il est évident que l'édition papier d'un fichier traitement de texte, de plus non horodaté, ne peut avoir aucune valeur probante : le fichier aurait pu tout aussi bien être créé la veille de toutes pièces. La partie qui produit une copie électronique dans un litige doit rapporter la preuve de l'ensemble du cycle de vie du fichier électronique depuis sa création.

La Cour de Cassation rappelle que la copie doit être fidèle : cela signifie qu'elle doit, visuellement, se présenter comme l'original, avec les indications du papier à en tête et la signature de l'expéditeur. Techniquement, cela peut se traduire par la création d'un enregistrement numérique de type PDF du courrier original signé, qui sera horodaté, le cas échéant sécurisé par un calcul d'empreinte (ou « hash ») permettant de garantir qu'aucune modification ne pourra lui être apporté par la suite et, surtout, conservé par un système qui garantisse la traçabilité de toutes les opérations effectuées sur le document après sa création.

Un enregistrement numérique doit respecter les dispositions de l'article 1316-1 du code civile pour valoir de preuve
La Cour de Cassation rappelle enfin que «l'écrit électronique ne vaut preuve qu'à condition que son auteur puisse être dûment identifié et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité » et elle ajoute : « en considérant le document produit par la CPAM de la Marne comme la « copie informatique du courrier en date du 20 janvier 2003 », sans rechercher si le fichier informatique litigieux avait bien été établi le 20 janvier 2003 et conservé dans des conditions interdisant à la Caisse de modifier le contenu de ce document, la Cour d'Appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1316-1 du Code Civil ».

Par ce dernier rappel, la Cour de Cassation pose les contours de tout litige à venir portant sur un écrit électronique.

La partie ayant charge de rapporter la preuve de l'existence et du contenu de cet écrit électronique devra pouvoir démontrer :
-          l'origine du document ;
-          que le document électronique a été conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ;
-          la date de création du document.

Il ne suffira pas d'aller « repêcher » un quelconque fichier texte stocké sur une bande de sauvegarde pour apporter cette preuve. C'est l'évidence même, et la Cour de Cassation le rappelle de façon catégorique.

Il aura fallu mettre en œuvre un processus informatique qui prenne en compte ab initio les exigences susvisées. Ces exigences auront été traduites en termes fonctionnels et techniques, et elles imposent d'utiliser des systèmes et des logiciels d'archivage qui les respectent.

Et ce ne sera pas tout de l'avoir fait, il aura de plus fallu le documenter. Sur ce sujet nous n'avons pour l'instant aucun recul jurisprudentiel, mais l'expérience des litiges informatiques nous laisse à penser que la documentation du système jouera un rôle essentiel. On voit bien en effet que la vérification des critères fonctionnels de haut niveau posés par le Code Civil passe par la mise en œuvre d'un système informatique complexe. Comment le juge pourra-t-il vérifier le respect des critères posés par l'article 1316-1 du Code Civil ? Sans doute nommera-t-il un expert, à moins que les preuves documentaires qui lui seront apportées ne lui paraissent suffisamment fiables pour qu'il s'en contente. Et si un expert est nommé, son travail sera grandement facilité par la production de la documentation ad-hoc du processus, généralement appelée « politique d'archivage ». Cette politique, qui se décline en « déclarations de pratiques d'archivage », décrit de façon précise les moyens mis en oeuvre pour s'assurer que pendant l'ensemble de son cycle de vie, le document électronique n'aura pas subi de modification susceptible d'altérer son intégrité.

Une dernière précision nous paraît devoir être apportée, relative à la signature électronique. Nous constatons en effet dans les implémentations actuelles de processus dématérialisés une certaine confusion quant à l'utilisation de cet outil. La signature électronique est un outil de sécurisation des documents électroniques natifs, en ce qu'elle permet d'identifier leur émetteur et de garantir d'intégrité des documents. Elle n'a en revanche pas d'utilité pour les documents électroniques non natifs, et c'était le cas en l'espèce : l'auteur du courrier prétendument envoyé par la CNAM le 20 janvier 2003 a attesté de son identité au travers de la signature manuscrite apposée sur le courrier égaré. Si une copie PDF avait été réalisée par la CNAM et conservée conformément à l'article 1316-1 du Code Civil, la garantie d'identification de l'auteur aurait été attestée par l'image de cette signature, et non par une signature électronique. La Cour de Cassation ne tombe d'ailleurs pas dans cette confusion et se garder bien de viser l'article 1316-4 du Code Civil.

En conclusion
L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation le 4 décembre 2008 (pourvoi n°07-17622) pose une remarquable première pierre à l'édifice jurisprudentiel qui reste à construire concernant la reconnaissance par les tribunaux de la valeur probante de l'écrit numérique.

Il affirme qu'aux yeux du juge, la valeur probante de tout écrit électronique repose sur la capacité de la partie dont il émane de démontrer que les conditions de l'article 1316-1 du Code civil sont remplies, à savoir : possibilité d'identifier son auteur et garantie de son intégrité depuis sa création et pendant toute sa durée de conservation. Cet arrêt précise quel l'écrit numérique doit être horodaté, ce que la loi ne mentionne pas.

Le système informatique qui supporte le processus dématérialisé doit donc être conçu ab initio de façon à répondre à ces exigences fonctionnelles de haut niveau. Ce processus doit être supporté par une politique d'archivage régulièrement mise à jour, dont nous pensons la production en cas de litige permettra d'optimiser le traitement judiciaire de celui-ci.