La Cour de cassation confirme la licéité de la vente d'ordinateurs avec logiciels préinstallés

Un récent arrêt de la Cour de cassation considère qu'il n'est pas possible d'interdire les ventes liées, légalement et de manière générale.

La question des ventes d'ordinateur avec logiciel intégré a souvent été débattue devant les juges. Pour certaines associations de consommateurs, cette opération de vente s'apparente à une vente liée prohibée par l'article L.122-1 du Code de la consommation. Au visa de ce texte, des vendeurs d'ordinateurs ont d'ailleurs été condamnés à rembourser au consommateur le prix des logiciels et des systèmes d'exploitation préinstallés si ce dernier ne désirait qu'un ordinateur "vierge".

Ainsi, une décision du Tribunal de proximité de Caen du 30 avril 2008 [1] a statué sur un litige intenté par un consommateur mécontent d'avoir dû acheter un ordinateur Asus pourvu d'un système d'exploitation Windows. Si une procédure de désinstallation et de remboursement était prévue par Asus, celle-ci a été considérée comme lourde, contraignante, coûteuse et pouvant s'apparenter à une vente liée. De plus, le remboursement mis en place était insuffisant et Asus a été condamné à rembourser au client le prix des logiciels qui lui avaient été imposés.

Ce type de décision semble remis en cause aujourd'hui par un récent arrêt de la Cour de cassation [2] qui a redéfini les conditions pour qu'une telle pratique soit considérée valable aux yeux du droit français.
Cette décision, qui se fonde sur la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, considère qu'il n'est pas possible d'interdire les ventes liées, légalement et de manière générale.

Cette évolution prévisible s'inscrit dans le sillage d'un arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 23 avril 2009 [3] énonçant que seules les 31 pratiques commerciales listées à l'annexe I de la directive peuvent être considérées comme déloyales au sein de l'Union européenne. Si la pratique litigieuse ne figure pas dans ladite annexe I, ce qui est le cas des ventes liées, le juge devra vérifier in concreto si cette pratique commerciale revêt un caractère déloyal ou non.

En France, de nombreuses décisions saisies de litiges portant sur la prohibition des ventes liées ont tenu compte de cette jurisprudence. Ainsi, dans l'affaire "Orange Sports", il était reproché à Orange d'avoir lié un abonnement à une offre internet haut débit. Les juges de la Cour d'appel se fondent sur l'article L.122-1 interdisant la vente liée et rappellent la position communautaire concernant la directive sur les pratiques déloyales. Ils concluent que l'offre subordonnée ne figure pas parmi les pratiques listées à l'annexe I de la directive et que, par conséquent, c'est à eux « d'évaluer le caractère déloyal d'une pratique commerciale eu égard aux circonstances de l'espèce ». La Cour de cassation [4] a confirmé cette analyse.
 
De même, dans une affaire similaire, le Tribunal de Grande Instance de Bobigny [5] s'est également prononcé de manière radicale dans un litige opposant UFC Que Choisir à Auchan sur la licéité de la pratique des logiciels pré-installés, en l'espèce, sans possibilité de renonciation immédiate à ces logiciels et sans indication du prix de ces logiciels. Les juges ont déclaré que les dispositions de l'article L.122-1 étaient contraires au droit communautaire et que la vente d'ordinateurs avec logiciels pré-installés n'apparaissait ni trompeuse ni agressive.

Par conséquent, la position jurisprudentielle actuelle rappelle le principe selon lequel, en vertu de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, un Etat membre ne peut plus décider de qualifier une pratique de pratique déloyale si elle n'est pas listée à l'annexe I, telle que la France le fait avec les ventes liées. La même mésaventure est d'ailleurs arrivé au droit allemand sur la question des jeux promotionnels (arrêt de la CJUE du 14 janvier 2010), et d'autres pans du droit français risquent également d'être bouleversés par l'application de l'annexe I de la directive : il en va tout particulièrement ainsi des dispositions spécifiquement  applicables aux jeux promotionnels (obligation de jeux gratuits sans obligation d'achat dont l'interdiction de principe est clairement remise en cause) qui n'apparaissent plus conformes aux critères fixés par le droit communautaire.


[1] Juridiction de proximité de Caen, 30 avril 2008 H.R. c/ SARL Asus France

[2] Cour de cassation première Chambre civile, arrêt n°09-11.161 du 15 novembre 2010 M.S... X... c/ Société Lenovo France

[3] CJUE 23 avril 2009 C-261/07 et C-299/07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV et Galatea BVBA c/ Sanoma Magazines Belgium NV

[4] Cour de cassation Chambre commerciale, arrêt n°09-15.304 et 09-66.970 du 13 juillet 2010, SA France Telecom et alii c/ SA française de radiotéléphonie

[5] TGI Bobigny, 15 mai 2009, UFC Que choisir c/ Société Auchan France affaire n°06/14817