Le zéro papier passe par le papier
Dans un monde parfait, tous les échanges seraient dématérialisés et l’économie française économiserait la quasi-totalité des 2,5 milliards d’euros dépensés chaque année à imprimer et transporter des factures. Tout en étant favorable à l'environnement. Une chimère ?
On paierait par virement, les factures et relevés de comptes transiteraient de serveurs en coffres forts numériques, on ne couperait plus d’arbres pour fabriquer du papier et on remiserait les camions qui les distribuent. Ce serait simple, rapide, économique et écologique.
Elle court, elle court, la chimère
Cette parousie est-elle imminente
? Certains semblent le penser : Dexia dévoilait ainsi il y a quelques mois
son concept « Zéro papier », grande révolution, innovation
majeure ! On sent un paradigme nouveau surgir des objectifs stratégiques de jeunes
DSI tout juste entrés dans leurs tours d’ivoire, persuadés d’avoir trouvé la
solution à tous les maux de la société. Nouveau ? A voir. En 1992, le NY
Times titrait « Paperless office
about to become a reality » ; en 1975, Business week révélait au
monde « Paperless Office is not far
off »; et déjà en 1950, Taiichi Ono annonçait le zéro papier comme un
des axes des 5S. Le même discours est ressassé depuis 60 ans et martelé
depuis deux générations. La croissance quasi continue de la production de papier
prouve que ces prophètes ont manqué de flair. Si tous les visionnaires du zéro
papier se sont systématiquement trompés depuis 60 ans, comment peut-on faire
confiance aux devins de 2012 qui annoncent l’imminence du tout numérique ?
La conclusion de l’article du NY
Times de 1992 était, elle, assez pertinente : « [il y a 20 ans], nous
disions tous que nous inventions le bureau sans papier. Avec du recul, ce
n’était qu’une illusion de computer nerds ».
Cette conclusion est toujours d’actualité : la consommation de papier,
poursuit sa croissance. Sur les dix dernières années, elle a augmenté de 20% ;
en 2011, la croissance était encore de 1,3%. Le papier demeure d’ailleurs la
norme pour l’archivage. Une récente étude du cabinet Coleman Parkes Research
indiquait que 42,5% des informations critiques d’une entreprise n’étaient
conservées qu’au format papier ! Non, messieurs les rêveurs, le papier n’est
pas mort.
Comment expliquer la résistance du papier ?
Naturellement, les avantages des
documents numériques sont nombreux : on peut les transférer rapidement,
les partager sans difficulté, les archiver à l’abri du feu, les retrouver même
si on ne sait pas où ils sont classés (à la mode Google), leur coût de
production est très faible, leur acheminement quasi gratuit. Pourtant, le
numérique ne parvient pas à prendre la place que le papier conserve[1].
Trois éléments expliquent cette résistance : le confort, l’habitude et la pérennité.
Une maniabilité inégalée
L’immense majorité des plus de
trente ans reste attachée à la maniabilité du papier et à la créativité de
l’écriture au stylo[2]. Un
document papier, même de vingt ou trente pages, tiendra toujours moins de place
dans la poche que la plus fine des tablettes, que le plus minuscule des
portables, à surface et confort de lecture comparables. Et n’importe quel
document papier voit son format réduit de moitié d’un seul geste. On ne plie
pas un écran.
Le poids des habitudes
Notre civilisation repose depuis
un peu plus de deux milles ans sur l’écrit, et donc sur le papier. Le
changement n’est jamais simple ; lorsqu’il concerne un des piliers de la
société, il devient encore plus lent, complexe, et anxiogène.
Une sécurité de conservation
millénaire
Le plus ancien manuscrit papier,
en parfaite conservation, a 1 600 ans. C’est le Codex Vaticanus. Il contient
l’essentiel du Nouveau Testament. Ce n’est pas le temps, mais le fanatisme qui
a détruit le papier. Pour un support numérique, le temps est plus efficace et
beaucoup plus rapide que le fanatisme. Un CD ou un DVD n’est plus lisible après
seulement vingt ans. Un Blu-Ray ne passe pas les dix ans. Et les disques durs
ont en moyenne leur premier crash avant cinq ans. Qui fabriquera encore des
lecteurs de clefs USB dans une génération ? Quel technicien pourra encore
réparer un disque dur dans un siècle ? Personne ne peut apporter la
réponse[3].
La durée de vie du numérique se compte en années, celle du papier en siècles.
Ainsi
la pérennité du support numérique est le premier frein au tout électronique et
tant qu’on n’a pas apporté la preuve de cette persistance, les utilisateurs
préfèreront une fiche de paie papier rassurante à un fichier virtuel.
Rappelons que le CNRS, dans un
rapport en mars 2010, avait sonné l’alerte sur cette grande fragilité des
supports numériques.
Il semble donc totalement
utopique d’imaginer un monde sans papier dans un avenir proche. Cette phrase
était évidente il y a deux générations, elle l’est toujours aujourd’hui et rien
ne laisse présager qu’elle sera caduque pour nos petits enfants. Nous ne connaîtrons
pas plus le zéro papier que les centrales à fusion nucléaire ou les trains
supersoniques.
Accepter le papier pour avancer vers le numérique
Les avantages du numérique sont
évidents et sa croissance importante, mais le papier ne disparaîtra pas. On
peut, au mieux, espérer arriver à une cohabitation intelligente entre documents
papier et numériques.
L’impasse du zéro papier
Le « zéro papier » est
un absolu qui ne tolère pas d’exception. Son nom même exclut tout papier. Gérer
une comptabilité totalement numérique impose que 100% des justificatifs soient
dématérialisés ; la première facture papier sera le grain de sable qui
bloquera cette dynamique théorique. Quand le cafetier du coin de la rue
pourra-t-il délivrer une note de frais électronique accompagnée d’une signature
numérique et offrant toutes les garanties de non répudiation et
d’intégrité ? Quand pourrons-nous imposer aux fournisseurs étrangers de se
plier aux normes françaises ? Qui peut prétendre à une telle faisabilité à
court ou moyen terme sans passer pour un ayatollah de la valeur probante ?
Une cohabitation salutaire…
Soyons pragmatique : il faut
à la fois aller vers le numérique et accepter le papier. C’est l’intuition que
nous avons eu dès le début du projet Xambox, en 2004, en inventant une solution
qui intègre totalement ces deux supports. Les technologies développées
permettent de prendre en charge de façon homogène tous les papiers (dont les
originaux sont automatiquement classés), les fichiers numériques et les
factures disponibles en ligne.
…validée par le marché
A l’époque, on nous qualifiait de
réactionnaires illuminés. Aujourd’hui, la solution a été choisie par Lexmark,
Fujitsu (dont les scanners envoient directement les documents sur les espaces
Xambox) et par Orange qui, via le Cloud pro, propose le coffre fort numérique à
tous ses clients. Les résultats sont là : le service affiche sereinement
une croissance hebdomadaire de 25%.
Cette gestion hybride conserve le
confort du papier, garantit que l’original sera encore lisible dans un
siècle et accepte d’être à l’écoute des attentes et des habitudes de
l’utilisateur sans lui imposer un tout numérique souvent anxiogène. Proposer un
mode transitoire de gestion combinée du papier et du numérique est certainement
l’unique chemin qui démocratisera la dématérialisation et le coffre fort
électronique.
Tant que les coffres forts numériques
ne prendront pas en compte les facturettes des petits professionnels et les
cartes postales des particuliers, leur usage restera confiné aux technophiles
et ne deviendra jamais le service de grande consommation auquel il aspire. Les
croissances comparées de Xambox et des coffres forts qui mettent en avant une
valeur probante théorique en sont la preuve.
[1] Selon nos estimations, les grands facturiers (opérateurs téléphoniques, FAI, fournisseurs d’énergie) ne dématérialisent que 5 à 18% de leurs factures clients. Ce chiffre correspond aux early adopters, facilement convaincus, mais le potentiel des technophiles épuisés, comment progresser ? Il s’agit là d’un enjeu majeur dont le marché, pour les seules factures, avoisine les 2,5 milliards d’euros.
[2] Il est acquis que la génération X reste attachée au papier, la génération Y un peu moins, au mieux, les enfants des années 2010 seront les premiers à préférer le confort de l’écran à celui du cahier.
[3] Les technologies de « cloud » apportent probablement une réponse à cette problématique en confiant les migrations successives des fichiers à des structures spécialisées et outillées.