Plaidoyer pour une stratégie open source ciblée au sein de l’industrie des transports

Une stratégie open source ciblée crée les conditions d’un avantage concurrentiel décisif. Et ce, y compris pour les industriels des transports.

Le concept d’open source, inspiré des idéaux libertaires et anticapitalistes du free software, semble à première vue éloigné des préoccupations légitimement sonnantes et trébuchantes des industriels des transports. La tentation est même forte, dans un contexte où la chaîne de valeur de la mobilité s’apprête à des bouleversements, de s’arc-bouter sur ses brevets et données. Nous croyons au contraire qu’une stratégie open source ciblée crée les conditions d’un avantage concurrentiel décisif.

S’inspirer de la philosophie open source : création communautaire et mise à disposition de standards

Elargir le panel des talents avec le crowdsourcing, tirer profit des synergies entre secteurs et compétences : telles sont les premières pistes de réflexion ouvertes par la tradition open source. Local Motors développe et commercialise ainsi la plateforme de co-conception Launchforth avec 70 000 membres et 7 500 produits co-développés. Elle organise la rencontre entre des marques et une communauté de développeurs sous forme de challenge. Ainsi 441 projets ont été soumis à Domino’s Pizza pour le design de son véhicule de livraison. Le prix de 40 000 $ correspond à la cession de la propriété intellectuelle de la communauté vers Domino’s Pizza.

Les outils collaboratifs, en facilitant les co-développements, favorisent la mutualisation des coûts de R&D ainsi que le recrutement de talents dans de nouveaux domaines (big data, intelligence artificielle, blockchain…). Adossée à des micro-usines, la création communautaire permet des itérations rapides entre les développeurs, les fournisseurs et les clients finaux avec à la clef l’économie de semaines précieuses de développement et de mise sur le marché.

La société XYT - dont le modèle se situe également au seuil de l’open source - illustre un autre de ces bénéfices. Cette start-up francilienne vend des véhicules utilitaires standards et homologués dont elle détient la propriété intellectuelle. Ces voitures peuvent être adaptées à la marge par les clients finaux afin de répondre à leurs besoins. L’entreprise fait ainsi émerger une « market place » d’accessoires développés par la communauté. Cette approche, qui chahute la chaîne de valeur traditionnelle, a séduit le géant nippon du verre AGC qui y voit l’opportunité de mieux connaître le client final de ses produits.

Adopter une stratégie open source ciblée mais assumée : une étape désormais incontournable dans la course à la diffusion des standards et à la taille critique

Le moteur de recherche chinois Baidu a lancé en juillet 2017 Apollo, une plateforme logicielle dédiée à la conduite autonome et ouverte à tous les acteurs désireux de développer leur propre système. Elle met à disposition d’une communauté le code source permettant aux véhicules des partenaires de percevoir les obstacles, planifier les trajectoires et garder le contrôle. L’objectif affiché est de tester le plus largement possible son système d’exploitation dans des conditions réelles, afin de collecter rapidement des données pour l’améliorer.

Il est urgent que les industriels européens de l’automobile et des transports emploient les mêmes armes plutôt que de s’abriter derrière la ligne Maginot de leurs brevets. C’est le cas de Tesla qui a choisi en 2014 d’ouvrir ses brevets au public. Cette décision stratégique visait à créer des conditions propices à l’essor du marché du véhicule électrique, en soutenant l’émergence d’un standard d’infrastructures de recharge. Le déploiement rapide de cette infrastructure est en effet critique pour le décollage du marché. Ron Adner et Rahul Kapoor nous le rappellent dans un récent article publié dans la Harvard Business Review (août-septembre 2017) : « Il peut être payant de s’attacher un peu moins à perfectionner la technologie elle-même et un peu plus à résoudre les problèmes les plus urgents de l’écosystème ». En renonçant à l’exclusivité sur ses brevets, Tesla franchit une étape tactique fondamentale dans la course à la diffusion des standards et à la taille critique.

Plus généralement, les stratégies open source peuvent devenir le fer de lance d’une offensive menée par les industriels contre des plateformes numériques. Gabriel Plassat dans son article Les communs, l’open source, les objets liens et l’Art de la Guerre est catégorique sur le sujet : « Les   alliances industrielles doivent donc elle-même mettre en œuvre des plateformes contributives numériques pour fournir à une multitude de parties prenantes les briques nécessaires à l’innovation et catalyser ces innovations distribuées. Ce n’est plus une option. » En somme, l’open source est une ouverture maîtrisée : libérer le code de certains sous-systèmes bien choisis apparaît comme une stratégie souhaitable de filière afin de retrouver de l’agilité dans le développement et les tests de produits, innover au bon niveau, imposer ses standards et massifier l’adoption de ses solutions.