Les entreprises high-tech stratégiques bientôt protégées des fusions-acquisitions par des investisseurs étrangers

Bruno Le Maire annonce vouloir protéger le secteur stratégique des données personnelles et de l’intelligence artificielle contre les rachats par des investisseurs étrangers. Une étape déjà franchie par la Chine et les États-Unis.

Les secteurs stratégiques sont devenus un champ de bataille géopolitique. La Chine, avec sa « Go out policy », encourage ses entreprises à pénétrer les secteurs stratégiques étrangers, afin de rattraper son retard technologique et de préparer son leadership tant désiré. Le succès est au rendez-vous, avec des acquisitions majeures, affolant les gouvernements étrangers, dans l’énergie, les technologies, les transports ou l’agroalimentaire. 

Aujourd’hui, la Chine a fait de l’intelligence artificielle, grosse consommatrice de données personnelles, une de ses très grandes priorités. À l’Ouest, les entreprises américaines ont acquis une force capitalistique sans précédent et font leur marché parmi les start-ups européennes, alors que l’Union Européenne se méfie du niveau de protection des données personnelles aux États-Unis.

La lente évolution de la France et de l'Europe

L’UE est pourtant fière de son approche en la matière, qui sert de modèle à de nombreux pays. Cette protection fait même partie des droits fondamentaux européens. Comment se fait-il donc qu’aucun moyen de contrôler le rachat de grands détenteurs de données personnelles n’existe encore ?

Jusqu’ici réticente au contrôle des investissements étrangers, l’UE avance à petits pas avec une proposition de règlement sur la question. L’article 4 de celle-ci mentionne le stockage des données, l’IA et la robotique comme secteurs à surveiller. Mais c’est en fait au niveau des États Membres que ce contrôle peut s’opérer. Après avoir oublié ces secteurs lors des précédentes évolutions du droit (par Dominique de Villepin en 2005 et Arnaud Montebourg en 2014), la France fait bien de faire évoluer sa législation en ce sens. À l’ère du big data, notre pays rattrape aujourd’hui une partie de son retard, malgré un système qui reste moins efficace que celui de la Chine et des États-Unis.

La Chine et les États-Unis déjà prémunis

Ces deux grandes puissances ont été plus rapides, en prenant conscience que, grâce au big data, les acteurs publics ne sont plus les seuls à détenir de larges volumes de données sur les citoyens. Le CFIUS, organisme américain contrôlant les investissements dans les secteurs stratégiques, vient d’ailleurs de bloquer le rachat de Moneygram par Alibaba. Hors de question pour l’administration américaine que les données personnelles financières de ses citoyens passent aux mains du géant chinois. Car si la Chine fait des progrès sur la protection des données pour le secteur privé, l’accès du gouvernement à ces mêmes données est toujours largement ouvert. Autre exemple, cette fois dans les semi-conducteurs, quand le Président Donald Trump s’est opposé au rachat du fabricant américain Lattice par un groupe chinois en 2017.

Ne doutons pas que la Chine ne laissera pas non plus partir un grand détenteur de données personnelles vers des mains étrangères. La Loi Cybersécurité chinoise va même jusqu’à prévoir des contrôles spéciaux en cas de transfert de données par un opérateur d’infrastructure sensible, ce que ne requiert pas le RGPD. Surtout, le pays s’est doté dès 2011 d’un système de contrôle des investissements étrangers, bâti sur le modèle américain du CFIUS (bien que souffrant d’une imprécision étudiée, caractéristique du droit chinois). 

La nécessité de refondre nos règles

Ce modèle américain a largement fait la preuve de son adaptabilité et de son efficacité depuis des décennies. Il est prévisible dans son déroulement grâce à un calendrier clair et préétabli et n’a pas impacté l’attractivité américaine. La transparence de son processus rassure les investisseurs et permet une meilleure supervision démocratique grâce à un droit de regard du Congrès. Enfin, il procure une marge de manœuvre utile grâce un large éventail de sanctions disponibles.e système français manque de tout cela, et l’extension du périmètre des secteurs stratégiques ne peut être qu’une première étape. L’effectivité de leur préservation ne viendra que d’une réforme de nos règles, visant à la création d’un CFIUS à la française. Souhaitons que la « nouvelle doctrine » prônée par le Ministre de l’Économie dans ses vœux pour 2018 aille vers un équilibre entre l’accueil des investissements en provenance de Chine, des États-Unis et d’ailleurs, et la possibilité de préserver nos intérêts stratégiques.