Intelligence artificielle : quel impact sur les emplois ?

Robotique, intelligence artificielle, Machine Learning… ces nouvelles tendances font rêver mais inquiètent aussi, de par leur impact sur la société et l’emploi. Le robot va-t-il remplacer l’humain ?

Mais combien d’emplois disparaîtront ? Certaines études annoncent la moitié des emplois, d’autres 10%... mais ceci serait-il le réel souci ? Quid de cette nouvelle révolution 4.0 sur le creusement des inégalités plus que sur l’emploi ?Fantasme ou peur réelle, nous sommes nombreux à nous demander si les robots de demain vont occuper les emplois d'aujourd’hui. Médecin, chirurgien, avocat, enseignant, banquier, routier, journaliste, comptable… pas un métier ne semble  épargné. Légitimement on peut se demander si notre poste va être robotisé et automatisé. Une nouvelle révolution est en marche. Après la révolution mécanique, de masse, automatisée, nous assistons à l’introduction des nouvelles technologies dans notre quotidien professionnel et personnel. Pourtant la robotisation n’est pas nouvelle puisque elle a déjà touché le monde industriel dans les années 1980 lors de la troisième évolution industrielle.
Mais aujourd’hui nous ne parlons plus d’exécution élémentaire et répétitive sans valeur ajoutée, mais de la différence première qui distingue l’homme du monde animal, la réflexion. Réfléchir n’est plus un atout car le robot sait aussi le faire et mieux que nous. C’est donc le secteur tertiaire qui est dorénavant touché alors qu'il représente plus de 75% des emplois. A défaut de révolution, certains experts parlent d’un deuxième âge de la machine. Mais ceci n’est que le début. Plus les progrès se développeront, plus nous assisterons à de nouvelles avancées comme c’est déjà le cas dans la BioTech (robot chirurgien), FinTech (robot banquier) ou LegalTech (robot juriste).
Des aptitudes toujours plus développées
Grâce au MachineLearning, l’intelligence artificielle est capable d’apprendre, toute seule et très vite. Rappelez-vous de DeepBlue d’IBM qui avait battu aux échecs le champion Kasparov en 1996. Il n’a fallu aujourd’hui que 4 heures à Google et à son algorithme AlphaZero, dérivé du célèbre AlphaGo, pour battre le meilleur moteur existant. Ainsi, AlphaGo plus puissant que son prédécesseur DeepMind, est capable d’apprendre tout seul, sans données humaines, après avoir en 2016 été le premier programme informatique capable de battre l’humain au jeu de Go. De quoi alimenter bien des fantasmes…
Concernant l’impact sur les emplois en termes de type de poste menacé, de nombre et de délais, force est de constater que ni les experts et ni les économistes ne sont d’accord sur les chiffres.En 2013, selon des chercheurs britanniques de l’université d’Oxford, l’impact sur les emplois serait de 47% dans les 10-20 années à venir. Ce haut risque de robotisation concernait principalement les secteurs de l’administration, du transport, de la production et de la logistique. Alors, qu’en 2016 l’OCDE publiait une étude avec un impact de 9% en moyenne au sein des 21 pays. En France, on estime que 1,5% seulement des emplois perdus pourraient être remplacés par des emplois dédiés (ingénieur, développeur, technicien). Aux USA, on pense que d’ici 2021, ce sont 6% des postes qui seront supprimés.
Comment expliquer alors de telles divergences ? En regardant de plus près on remarquera que les études ne considèrent l’emploi que dans sa globalité, alors que celui-ci peut requérir une grande diversité de tâches. Ainsi, deux personnes qui ont un emploi avec le même intitulé font souvent des choses très différentes. Dès lors, il suffit que certaines tâches ne soient pas automatisables pour que la personne conserve un avantage sur le robot.
Une intelligence sélective
Même si un individu effectue beaucoup de tâches répétitives, il a besoin parfois d’interagir avec d’autres personnes, ce qui rend une automatisation totale de son poste difficile. Aussi, on peut observer que certains emplois qui semblent hautement automatisables, ne le sont en réalité pas, car souvent les personnes se spécialisent dans des tâches qui ne le sont pas. Il est donc difficile et compliqué de prédire combien et quels emplois seront détruits mais aussi créés. De plus, ce n’est pas parce qu’un emploi est automatisable qu’il sera automatisé. En effet, développer un robot et une intelligence artificielle spécifiquement pour un emploi ou une tâche est un processus long et coûteux. Si le robot n’est pas accepté par les employés ou les clients, s’il n’est pas rentable au sein de la chaîne de valeur de l’entreprise ou s’il se heurte à des freins culturels, alors le retour sur investissement sera négatif ou nul. 
D’autre part, il est difficile de quantifier la destruction ou la création d’emplois. Certaines technologies peuvent être adoptées rapidement par l’entreprise et son organisation, qui entraine une réallocation des tâches ou la création de nouveaux emplois. De plus, les innovations de procédés favorisent plus les emplois de conception au détriment des emplois d’exécution.
Certaines études annoncent un gain de croissance de 1% de par l’automatisation qui pourrait correspondre à une création de 350,000 emplois d’ici 7 ans. D’autres prédisent même que l’intelligence artificielle pourrait augmenter de 10% les effectifs en entreprise. 
De plus, la délocalisation qui a été réalisée il y a quelques années dans les pays où la main d’œuvre était moins chère, pourrait être relocalisée en Occident, puisque le robot pourra produire encore moins cher.
Peut-être alors que la question n’est pas de penser en destruction ou création d’emplois, mais en hausse générale du bien de la population après que l’ensemble des ajustements aient été réalisés comme cela a été le cas après chaque révolution industrielle. Mais cela sera-t-il réellement le cas ou allons-nous assister à quelque chose de différent ? Sachant que cette mutation prendra un certain temps, et si on la compare aux précédentes, il faudra alors attendre une nouvelle génération pour en analyser les conséquences.
De nouvelles aptitudes telles que les stratégies créant de nouveaux modèles économiques de par la transformation digitale, les critères actuels ne semblent plus adaptés à l’analyse de cette nouvelle révolution. Ainsi, on peut observer selon les analyses de l’OCDE que depuis plus de trois décennies l’emploi s’est découplé de la productivité. En effet, malgré la hausse de la productivité la création de nouveaux emplois n’est pas au rendez-vous. 
Comment peut-on alors expliquer cela ?Erik Brynjolfsson, professeur au MIT Sloan School of Management et auteur de «The Second Machine Age» nous propose un début de réflexion. Normalement lorsqu’une technologie est synonyme de destruction d’emplois, les travailleurs concernés acquièrent de nouvelles compétences et migrent vers de nouveaux emplois. 
Rappelons néanmoins, que les innovations engendrent une certaine marginalisation d’une partie de la population : ce sont les moins qualifiés et les plus âgés qui rencontrent des difficultés pour se former. C’est ce qu’on appelle la fracture numérique.
Par exemple, si la productivité entraîne une perte d’emplois dans le secteur secondaire, elle entraîne aussi une hausse des salaires, donc du pouvoir d’achat, donc de la consommation de services, et par conséquent une hausse de l’emploi dans ce secteur. Mais lorsque le processus prend une décennie, que peut-on faire ? Et compte tenu de l’avancée régulière des technologies, que se passe-t-il si celles-ci changent de nouveau en cours de processus ? N’y-a-t-il pas un risque de voir l’incapacité de la société à s’adapter à cette accélération numérique ? Les entreprises ne devraient-elles donc pas rattraper leur retard dans l’investissement de leur transformation digitale, numérique et l’implémentation de l’intelligence artificielle ?
A contrario et selon le Dr. Ulrich Zierahndu ZEW Research Deparment "Labour Markets, Human Resources and Social Policy", une nouvelle technologie met un certain temps avant d’être implantée au sein des entreprises et de la société. Sachant que le principal obstacle à la robotisation des entreprises selon le Forrester, sont les processus non optimisés pour 26% des personnes impliquées sur des projets RPA (Robotic Process Automation).
Selon le Dr. Ulrich Zierahn, nous assistons plus à une évolution qu’à une révolution. Ce qui serait ainsi le cas de l’Industrie 4.0 ou « quatrième révolution industrielle ». De plus, si l’homme souhaite bénéficier de ces changements il lui faudrait alors se tourner vers de nouvelles tâches ou de nouveaux emplois complémentaires aux robots.
En effet, il ne faut pas penser en dualité mais plutôt en un tout. Une unité entre l’homme et le robot. Car l’addition des deux sera toujours plus performante que l’homme ou le robot seul. Si l’on reprend l’exemple des intelligences artificielles d’IBM ou de Google, on constate que celles-ci sont plus fortes que l’humain pour résoudre un cas particulier, le jeu d’échec ou le jeu de Go. Donc de répondre à une problématique particulière. Mais seul l’humain est capable d’assembler le tout pour synthétiser la quintessence d’une réponse. En d’autres termes, l’intelligence artificielle est plus forte que l’homme pour répondre aux questions mais elle ne sait pas choisir seule les questions les plus pertinentes.
Les challenges de l’appropriation
Si l’on prend l’exemple de la Biotech, on pourrait imaginer un robot « médecin » qui traiterait les examens de routine, laissant ainsi le temps au médecin de se focaliser sur ses patients et travailler sur les cas les plus complexes.
On peut alors imaginer que l’innovation technologique aura pour conséquence une hausse des revenus et que certaines personnes qui perdront leur emploi seront amenées à court terme à travailler sur de nouvelles tâches ou évolueront vers de nouveaux emplois. Néanmoins, certains travailleurs peu qualifiés qui seront impactés par l’automatisation seront aussi ceux qui bénéficieront le moins de nouvelles formations pour s’adapter à ces nouveaux changements sociétaux et de travail.
Mais ces nouvelles vagues technologiques n’auraient-elles pas d’autres impacts que l’emploi ? Nous évoquions avec l’exemple du médecin la hausse des revenus ; ne peut-on donc imaginer un impact plus large sur la distribution des salaires ? Rappelons qu'aujourd’hui un salarié ne coûte pas moins cher qu’un robot. Nous assistons depuis presque deux décennies à une baisse du salaire médian dans les pays occidentaux. Contrairement au salaire moyen qui, lui, a fortement augmenté. Un paradoxe ? Pas vraiment. En effet, si l’on regarde la disruption des modèles économiques imposés par le digital, il suffit de regarder l’impact de Netflix sur Blockbuster ou d’Instagram sur Kodak. Ils ont créé plus de richesses avec moins d’employés et leurs fondateurs multimillionnaires récupèrent toute l’augmentation du PIB.
Une richesse non partagée
Les nouveaux usages digitaux et les nouvelles technologies du numérique, couplés à internet créent une situation de disruption inédite qui impacte l’ensemble des secteurs sans exception et différentiation. Il suffit de regarder les parts de marché des GAFA. Google sur le moteur de recherches et l’intelligence artificielle, Facebook sur les réseaux sociaux et la publicité, Apple sur le marché des smartphones… Ils sont partout et raflent tout, volume et valeur des marchés. Une inquiétude croissante chez leurs concurrents mais aussi au sein des gouvernements. Même en étant numéro deux avec un bon produit cela ne sert plus à rien car l’ensemble des revenus sera accaparé par seulement quelques-uns. 
Nous pouvons donc nous poser légitimement la question. Est-ce donc tant le chômage qu’il faut craindre dans les années à venir ? Ou plutôt cette nouvelle distribution des salaires et donc de la richesse entrainant encore de plus fortes inégalités ? Doit-on parler de redistribution ou de remplacement ? Concentration du capital d’un côté, robotisation de l’autre, que nous réserve donc l’avenir ? A quel nouveau scénario la société devra-t-elle s’adapter ? Une taxe sur les robots ? Une nouvelle réglementation ? Un nouveau cadre juridique ? On pourrait l’imaginer si la Commission Européenne entérine son projet de loi pour les robots, en leur attribuant des droits et donc des responsabilités, ce qui aurait comme conséquence un impact sur leur modèle économique.
Dans tous les cas il faudra remonter en amont, au niveau de l’éducation où il faudra redéfinir les métiers et les qualifications afin de permettre à chacun d’accroitre sa productivité. Comme le signale le Rapport Villani, nous avons besoin, face à l’émergence de l’IA, d’une éducation plus critique et créative. Nous devons trouver une approche plus orientée vers la pensée numérique afin que l’on puisse comprendre le facteur humain dans la modélisation des systèmes artificiels.
Néanmoins, s’il fallait assister à une robotisation de tous les emplois et de toutes les tâches, qualifiées ou pas, alors le rôle du système éducatif serait annihilé car il sera plus rentable économiquement de construire des robots que de fournir des compétences.

Une ironie singulière de l’histoire où les progrès technologiques et l’innovation nous ramèneraient à un ordre sociétal telle l’Antiquité romaine, où les robots deviendraient des esclaves. Il faudra alors, de nouveau, se reposer la question de l’organisation structurelle de nos sociétés et comment éduquer les citoyens dans un monde où l’intelligence artificielle devient omniprésente.