Régis Fohrer (Ministère de l'Intérieur) La crise a un impact négatif sur la lutte contre la cybercriminalité

Le contexte économique freine les investissements des entreprises en matière de lutte contre la cybercriminalité. Heureusement, certaines initiatives publiques- privées font contrepoids.

Que pensez-vous de la mesure prise par Michèle Alliot-Marie de porter à 500 le nombre de cyber-enquêteurs d'ici fin 2009 ?

C'est une très bonne initiative. Elle souligne la volonté gouvernementale d'accroître la surveillance du cyberespace et la lutte contre la cybercriminalité, et renforce les dispositions actuelles en termes de formation des spécialistes et correspondants NTECH.

Car les forces de gendarmerie et de police ont besoin de nouvelles équipes spécialisées dans le gel des lieux numériques, à l'instar de celles qui sont missionnées dans le cadre des scènes de crime. La France est en train de monter en puissance en termes de lutte contre la cybercriminalité, et la prise de conscience intervient à tous les niveaux : administrations, entreprises et particuliers.

Les entreprises ont commencé à prendre conscience de ce qu'est la criminalité numérique et qu'il ne leur suffit pas de se protéger en mettant des antivirus partout. L'un des leviers de la lutte réside en effet dans la sensibilisation au risque criminel, et ce dernier commence à bien être perçu par tout le monde. 

Jusqu'à maintenant, le chef d'entreprise découvrait la cybercriminalité au moment où il était placé en garde à vue pour répondre de sa responsabilité face à la découverte d'images pédo-pornographiques sur l'ordinateur de l'un de ses employés. Mais les comportements évoluent et les entreprises sont amenées à prendre les devants pour éviter d'être placées devant le fait accompli.

"L'étude des répercussions de la cyberdélinquance organisée et de l'évolution des menaces est au cœur des formations spécialisées"

Jusqu'où doivent aller les synergies entre organismes publics et privés ?

Les initiatives 2CENTER comme celles de Troyes sont de très bons exemples de partenariats publics-privés réussis. Nous n'allons pas nous arrêter là. On souhaite par exemple développer sur la métropole Lille-Courtrai-Tournai des formations en lutte contre la cybercriminalité.

Et ce, aussi bien à destination des praticiens de la justice que des entrepreneurs. Le troisième Forum Internationnal sur la Cybercriminalité a d'ailleurs permis de réveiller un peu plus les consciences et de donner envie aux personnes physiques et morales de se fédérer face à la cybercriminalité.

Il est possible de proposer des offres régionales de sensibilisation à la criminalité numérique. C'est le cas ici, à Lille, la capital des Flandres, où des initiatives comme S@ntinel permettent de faire prendre conscience des enjeux à toutes les parties prenantes de la lutte contre le cybercrime. Les 2CENTER sont des grands projets mais on peut aussi faire beaucoup de choses au niveau local, en impliquant les entreprises, le tissu social et associatif et les forces de police spécialisées.

Les formations proposées par les initiatives 2CENTER sont-elles les seuls leviers de lutte contre la cybercriminalité ?

Elles proposent des formations approfondies qui appréhendent les outils et les méthodes de lutte contre le cybercrime. Elles n'abordent pas les moyens de protection des systèmes d'information, mais plutôt des répercussions de la cyberdélinquance organisée, ainsi que la responsabilité pénale des acteurs et les enjeux par rapport aux évolutions des menaces. Le visage de la cybercriminalité a changé, les techniques de lutte doivent donc s'adapter.

Aujourd'hui, ce n'est plus un adolescent boutonneux qui est aux manettes du cybercrime mais de véritables mafias organisées de l'économie numérique qui n'ont pour seul objectif que de détourner de l'argent via la mise en place de sites de phishing ou des techniques de farming. C'est là leur job à plein temps : contourner les systèmes de sécurité, scruter les failles serveurs et en tirer du profit.

Les entreprises ont à coup sûr un rôle déterminant à jouer. Mais la période de crise financière a un impact négatif sur leurs investissements en matière de lutte contre la cybercriminalité. Elles risquent de rentrer dans un cercle vicieux, car en réduisant les investissements, elles risquent de manquer de réactivité face à la menace, voire d'être totalement dépassées, et de faire par la même occasion les beaux jours de la criminalité numérique organisée.

Le Lieutenant Colonel Régis Fohrer est initiateur du Forum Internationnal sur la Cybercriminalité et chargé de mission en intelligence économique.