Conflit ouvert à la tête d'Atos Origin

La direction s'oppose à ses principaux actionnaires. Les deux parties ne parviennent pas à s'accorder sur la stratégie la plus bénéfique pour Atos. La question d'une fusion ou d'un démantèlement fait débat.

C'est la guerre ouverte chez Atos Origin depuis quelques mois désormais entre les fonds d'investissements Centaurus Capital et Pardus Capital Management, majoritaires au sein du capital de la SSII française, et son comité de direction. A l'origine de ce conflit, un désaccord majeur sur la stratégie du groupe à long terme.

Mise en difficulté il y a un an, Atos Origin avait en effet publié une perte nette de 264 millions d'euros et accru de plus de 200 millions d'euros son endettement net. Mais la société a commencé à redresser la situation lors de son dernier exercice fiscal. Elle publie désormais un bénéfice de 48 millions d'euros, et réduit de 22 millions d'euros son endettement. Son résultat d'exploitation bascule de -160 à 137 millions d'euros.

Pour les deux fonds d'investissements, ce redressement de l'entreprise ne va pas assez vite, et plus généralement les décisions du comité de direction sont contestées en public. En conséquence, les deux actionnaires ont demandé la tenue d'une assemblée générale anticipée de manière à renouveler les membres du conseil d'administration. Ils ont indiqué ne pas exclure d'ailleurs une augmentation de leur participation dans Atos, sans que celle-ci ne conduisent toutefois à une prise de contrôle majoritaire.

Les deux fonds d'investissements réclament depuis des mois des sièges au conseil de surveillance. "Philippe Germond, le président du directoire d'Atos Origin, avait publiquement déclaré que c'était légitime", a déclaré Bernard Oppetit, PDG de Centaurus. Car dans la situation actuelle, le conseil de surveillance ne représente pas tous les actionnaires, en tous cas, pas les intérêts de Centaurus et de Pardus.

"Son rôle [ndlr : du conseil de surveillance] est normalement de veiller à ce que le directoire agisse dans l'intérêt des actionnaires. Donc, une situation où les membres du conseil de surveillance sont choisis par le directoire est, par nature, incestueuse", insiste Bernard Oppetit. Et d'ajouter : "Le pouvoir a été confisqué par les dirigeants actuels. C'est aux actionnaires de choisir".

"La valeur potentielle d'Atos Origin est considérable, mais la performance de la société reste insuffisante"

Les deux fonds d'investissements ont fait leur entrée au capital d'Atos Origin en septembre 2006. Grignotant peu à peu des parts, ils en sont venus à la situation actuelle d'actionnaires principaux, mais pas encore majoritaires. Le 3 avril, ils confiaient dans une lettre ouverte à l'ensemble des actionnaires de la SSII avoir investi jusqu'à présent 500 millions d'euros dans Atos, et vouloir prendre des mesures désormais pour faire bouger les lignes.

"La valeur potentielle d'Atos Origin est considérable, mais la performance de la société reste insuffisante. Nous regrettons amèrement la sous-performance constante de la société et le refus de la direction de prendre les mesures nécessaires pour en maximiser la valeur. [...] Cependant, notre analyse, partagée par un grand nombre d'analystes financiers et d'experts, montre que le modèle "multiservices et multi-marchés" actuellement retenu par Atos Origin n'est pas le plus approprié pour une société de cette taille et n'est pas créateur de valeur", affirment les deux fonds d'investissements dans leur lettre ouverte.

"Atos Origin a été incapable de s'adapter suffisamment rapidement pour gagner des parts de marché en améliorant sa profitabilité. La société [...] reste loin derrière ses concurrents en termes de ressources offshore et ne dispose d'aucun plan réaliste pour combler son retard. Le plan de restructuration 3o3 élaboré par le Directoire n'aborde pas suffisamment ces problèmes", ajoute la lettre ouverte.

De leur coté, les membres du conseil de surveillance directement incriminés réagissent. Selon Philippe Germond, président du directoire de la SSII interrogé par Reuters, l'objectif secret des deux fonds d'investissements conduit à "une prise de contrôle rampante par le biais du conseil de surveillance et sur un projet que l'on ne connaît pas".

Et le président du directoire déclare que le groupe est prêt à offrir deux sièges à Centaurus et Pardus, comme demandé, à condition que ces derniers acceptent de s'inscrire dans une stratégie à long terme et s'engagent à ne plus critiquer publiquement la stratégie d'Atos. Car pour la direction, les deux fonds d'investissements n'ont pour le moment d'autres objectifs que le démantèlement du groupe à court terme.

Dans un document présenté au conseil d'administration d'Atos Origin le 20 novembre 2007, que l'agence de presse Reuters a pu consulté, les deux fonds préconise clairement une alliance ou une fusion avec un acteur fort du marché. "Atos devrait démarrer immédiatement un processus de vente ou de fusion avec des acquéreurs stratégiques, sous la supervision d'un comité spécial qui devra être nommé par le conseil de surveillance".

La fusion d'Atos Origin dans un plus grand groupe pourrait générer 2 à 3 milliards d'euros d'économies

Dans une interview accordée au journal La Tribune, le directeur général d'Atos Origin, Philippe Germond, a indiqué que Pardus avait proposé en octobre dernier 1 euro par action aux membres du directoire, soit 70 millions au total, à condition de démanteler Atos Origin. Il confiait les avoir rencontré à six reprises, mais "à chaque fois ils nous ont proposé un démantèlement ou la vente du groupe".

La Tribune s'est procuré un document émis par la Société Générale qui estimait entre 2,3 et 3,1 milliards d'euros les synergies possibles suite à un rapprochement avec d'autres groupes. Sans ce rapprochement, la valeur de l'action Atos stagnerait au contraire entre 41 et 48 euros.

Toujours selon Philippe Germond : "Centaurus et Pardus font preuve de duplicité. Ils n'ont jamais rendu public qu'ils ont déposé dans le plus grand secret, le 25 janvier 2008, une requête auprès du tribunal de commerce de Nanterre pour demander la tenue d'une assemblée générale anticipée, visant à la révocation du conseil de surveillance et du directoire. Ils ont intenté cette action alors que nous leur avions donné, le 19 décembre, un accord de principe sur leur représentation au conseil de surveillance. ä ce jour, ils n'ont pas rétracté cette demande qui vise à une prise de contrôle rampante d'Atos".

Face à la menace d'un démantèlement, l'Association des petits porteurs actifs (Appac) a d'ores et déjà annoncé qu'elle soutiendrait la direction face à la stratégie des deux fonds d'investissements. De même, Bernard Bourigeaud, ancien P-DG et fondateur d'Atos Origin dont il est resté actionnaire, a aussi déclaré être opposé un tout opération de ce genre. Il brigue par ailleurs une place au conseil de surveillance pour "aider la société à aller de l'avant".

Centaurus et Pardus, eux, nient toute intention de ce genre. "Notre objectif n'est pas le démantèlement d'Atos Origin. Nous considérons que la direction a refusé de revoir de manière objective l'orientation et la viabilité à long terme de son plan de restructuration, en particulier dans quelle mesure ce plan 3o3 crée de la valeur pour les actionnaires", déclarent-ils dans leur lettre ouverte.

Et les fonds de riposter : "nous pensons que le Conseil de Surveillance et le Directoire sont aujourd'hui totalement déconnectés des préoccupations des salariés et des actionnaires - comme le démontrent les récentes augmentations très importantes des rémunérations des dirigeants ou la détention extrêmement faible d'actions Atos Origin par les membres du Conseil de Surveillance". Suite de ce chapitre délicat lors de l'assemblée générale annuelle prévue le 22 mai prochain.