Christiane Féral-Schuhl (cabinet Féral-Schuhl / Sainte-Marie) "Le Web 2.0 pose de nouvelles questions sur les responsabilités juridiques"

Dans la 6e édition de son ouvrage "Cyberdroit : Le droit à l'épreuve d'internet", l'avocate Christiane Féral-Schuhl fait le point sur les derniers défis juridiques posés par les nouvelles technologies.

JDN Solutions. Parmi les défis juridiques des nouvelles technologies, vous évoquez notamment l'équilibre entre pouvoir de contrôle de l'employeur et la protection des libertés et droits fondamentaux de l'employé. Où se situe cet équilibre ? Où s'arrêtent les libertés et les droits fondamentaux de l'employé ?

Il est désormais admis que l'employeur peut avoir un contrôle sur l'outil informatique qu'il met à disposition de ses employés. L'employeur doit néanmoins respecter deux règles : transparence et proportionnalité. Cela signifie qu'il doit informer les salariés et les représentants du personnel de sa surveillance et qu'il doit aussi correctement la justifier, en respectant la proportionnalité. Par exemple, l'employeur pourra imposer un dispositif de limitation du volume ou de la taille des messages échangés par la messagerie professionnelle.

En revanche, le respect de la vie privée des salariés fait que, si le caractère personnel d'un message est spécifié, l'employeur, sauf circonstances particulières, ne pourra lire ou se prévaloir directement de ce courriel qu'en prenant certaines précautions. Celles-ci sont à déterminer au cas par cas (par exemple, s'il justifie d'un motif légitime, demander à un juge la désignation d'un huissier qui établira un procès-verbal après avoir ouvert le message en présence du salarié).

"C'est une nouvelle donne. La question est désormais de savoir comment y faire face."

A l'heure actuelle les décisions de justice viennent souvent rappeler le devoir de loyauté de l'employé envers son employeur. Ainsi, si un usage raisonnable et modéré d'internet à des fins privés (consulter sa messagerie personnelle...) est toléré, passer 41 heures en un mois pendant ses horaires de travail à utiliser internet à des fins privées est contraire au devoir de loyauté et constitutif d'une faute pour le salarié.

Cependant, le débat porte rapidement sur la licéité de certaines preuves ainsi obtenues et ces preuves sont diversement appréciées selon que le procès soit pénal (où la preuve est libre) ou civil (par exemple aux prud'hommes où la preuve doit être loyalement obtenue). Ainsi, une employée qui se fait filmer par vidéosurveillance en train de voler son employeur pourrait être condamnée pour vol mais les juges des prud'hommes pourraient décider d'écarter cette preuve si elle n'a pas été préalablement informée de l'existence du dispositif de vidéosurveillance.

Les réseaux sociaux aussi posent de nouveaux problèmes juridiques ?

L'usage des réseaux sociaux peut être très tentant, mais il faut aussi savoir rester vigilant. Certains recruteurs, même s'ils ne justifieront pas leur refus sur cela, prendront en compte les informations trouvées sur des réseaux sociaux comme Facebook pour apprécier un candidat.

C'est une nouvelle donne. La question est désormais de savoir comment y faire face. Faut-il pousser l'autorégulation, à l'instar de ce qui se fait pour les cigarettes avec ses messages "fumer tue" en rappelant que diffuser un contenu n'est pas chose anodine, ou alors rédiger un nouveau texte législatif sur le droit à l'oubli ? Cette dernière hypothèse pose aussi un autre problème qui est celui de préserver le devoir de mémoire alors qu'il deviendrait possible "d'effacer le passé".

Cette ambivalence résulte de la capacité de transparence de ces outils dans un domaine qui peut être très privé. Prenons l'exemple du passe Navigo. La traçabilité des déplacements qu'il permet, a été très critiquée mais elle peut aussi être très utile pour retrouver l'auteur d'un crime par exemple. Idem pour le scanner corporel, qui en déshabillant viole l'intimité, mais qui permet aux compagnies aériennes de remplir leur obligation de résultat et de garantie en termes de sécurité...

"L'e-mail n'a qu'une valeur probatoire faible"

Les nouvelles technologies et le Web 2.0 posent de nouvelles questions sur les responsabilités juridiques, comme je l'explique dans le livre. Le débat sur la responsabilité sur le contenu diffusé en est une parfaite illustration, bien qu'il ne soit pas nouveau. Cela avait déjà été le cas avec le site de partage de vidéos Dailymotion, lorsqu'il voulait limiter son rôle à celui d'un hébergeur, donc un régime sans responsabilité sur le contenu qu'il diffusait, sauf s'il a eu connaissance du caractère illicite de certains contenus diffusés et n'a pas retiré promptement ces contenus. Or, certains voulaient lui faire assumer plus de responsabilités et rapprocher son statut de celui d'un éditeur de journal. Avec le web 2.0 les "acteurs de l'internet" sont multiples et les qualifications juridiques toujours plus complexes.

Dans cet ouvrage, vous évoquez aussi la lenteur de la mise en place de la signature avancée dans les emails. De quoi s'agit-il ?

Le procédé de signature électronique est défini par un décret de 2001 et sa mise en œuvre reste complexe. Ce dispositif combine en effet deux éléments : le dispositif de création de signature électronique proprement dit, et un certificat électronique délivré par un prestataire de certification électronique qualifié.

Pourtant, afin d'authentifier l'émetteur et de garantir l'intégrité d'un message électronique, une signature électronique doit figurer dans les emails. A défaut, l'e-mail n'a qu'une valeur probatoire faible alors même qu'il est devenu incontournable dans la vie des affaires.

Christiane Féral-Schuhl est avocate, spécialisée dans le domaine des TIC au sein du cabinet Féral-Schuhl / Sainte-Marie. Elle est également présidente de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (www.adij.fr), médiatrice agréée auprès du CMAP, arbitre auprès de la CCI et cyberarbitre auprès de l'Ompi.