Cisco bascule vers le logiciel pour s'adapter à l'ère du tout cloud

Cisco bascule vers le logiciel pour s'adapter à l'ère du tout cloud Deux récentes acquisitions servent le virage stratégique impulsé par le PDG de l'équipementier réseau, Chuck Robbins, pour enrayer la chute des revenus.

Cisco se montre particulièrement actif en cette fin d'année, multipliant les rachats dans l'optique de réorienter sa stratégie et redynamiser son modèle d'affaires. L'équipementier réseau californien a récemment acquis IMImobile, jeune pousse britannique spécialiste du logiciel de communication dans le cloud, et Slido, une plateforme de Q&A slovaque conçue pour rendre les applications de visioconférence plus interactives, notamment face à une audience de plus en plus importante. Ces deux acquisitions se placent dans la droite ligne d'une stratégie amorcée l'an dernier avec le lancement de l'architecture Cisco Silicon One, et qui s'est accélérée avec la crise du Coronavirus. Objectif du groupe : mettre l'accent sur le logiciel et s'adapter davantage à l'ère du tout cloud.

Si la Tech a été plutôt épargnée par la crise, certains géants du secteur tels Amazon ou Google en tirent même de juteux bénéfices. Cisco a pour sa part fait face à des difficultés, enregistrant début novembre un déclin de ses revenus pour le quatrième trimestre consécutif. Explication : le modèle d'affaires de l'entreprise est centré sur la vente d'équipements professionnels destinés aux entreprises. Or, à l'heure où nombre d'entre elles ont généralisé le télétravail et fait face à un ralentissement économique, elles ont du même coup repoussé l'achat de coûteux équipements informatiques pour leurs bureaux.

Frappée par la crise, Cisco vire de bord

"Les clients continuent de repousser leurs décisions d'achats dans certains domaines IT tout en augmentant les dépenses dans d'autres, en attendant d'avoir une meilleure visibilité quant à une reprise économique globale", constate le directeur général de Cisco, Chuck Robbins, en août dernier.

Après avoir affirmé au printemps qu'il n'en était pas question, l'entreprise a finalement dû se résoudre à enclencher une vague de licenciements, annonçant que 3 500 postes allaient être supprimés dans le monde entier (un article du Washington Post, contesté par Cisco, fait quant à lui état de 8 000 licenciements). L'annonce fait partie d'une politique de réduction des coûts qui vise à économiser un milliard de dollars. Malgré des performances en berne, Cisco a toutefois limité la casse avec un quatrième trimestre fiscal meilleur que prévu, grâce notamment à des ventes en hausse dans le secteur du logiciel.

"Avec le redéploiement massif des opérations à distance, nos clients se tournent vers nos offres Catalyst 9000, Security, et WebEx"

L'entreprise a atteint l'objectif fixé pour 2020 de tirer au moins 50% de ses revenus de la vente de logiciels et de services. "La pandémie a également entraîné un redéploiement massif et rapide des opérations à distance et de l'automatisation pour garantir la sécurité de chacun. Ainsi, les clients sont de plus en plus nombreux à se reposer sur notre portfolio de technologies, ce qui a entraîné une forte demande pour Catalyst 9000, Security, WebEx et autres solutions SaaS ce trimestre", affirme Chuck Robbins.

Tirant les leçons de la pandémie, Cisco est en train d'adapter sa stratégie afin de répondre aux besoins de l'entreprise de demain, en mettant l'accent sur le logiciel et le cloud. Elle suit ainsi une tendance générale au sein de l'industrie des nouvelles technologies, qui se traduit par une perte de vitesse des systèmes informatiques sur site au profit du cloud. Un repositionnement déjà amorcé avant le début de la crise, mais que celle-ci a contribué à accélérer. Dans une interview accordée à Mad Money en mai dernier, Chuck Robbins affirmait que la généralisation du télétravail était selon lui partie pour durer, et que l'entreprise du futur fonctionnerait sur un modèle hybride entre présentiel et travail à distance.

Deux nouvelles briques stratégiques

Le rachat de Slido s'inscrit dans la droite ligne de cette vision, et vise à renforcer WebEx, l'outil de visioconférence de Cisco, face à ses rivaux que sont Zoom, Google Meet ou Microsoft Teams. Slido facilite notamment le pilotage de sondages en interne, une fonction très utile pour faire remonter des informations de la base dans un contexte de gestion de crise. Il permet également de gérer les questions et interactions au sein d'une large audience participant à un échange ou à une conférence en direct. L'intégration du produit à WebEx ajoute une nouvelle corde à l'arc de Cisco, notamment dans l'optique d'animer des conférences à distance.

"C'est un excellent mécanisme pour interagir avec une audience en temps réel", commente ainsi Abhay Kulkarni, vice-président et general manager de WebEx, dans un article de blog annonçant le rachat. Si les fonctionnalités de Slido seront intégrées à WebEx, Cisco compte toutefois le maintenir sous forme de produit indépendant et s'assurer qu'il reste compatible avec d'autres outils concurrents. "Cisco est conscient de la valeur de Slido en tant que produit autonome et de l'importance de permettre une excellente intégration avec d'autres applications de réunion et de présentation virtuelle comme Teams, Zoom et Google Meet", confie ainsi Juraj Pal, chef de produit chez Slido, à TechCrunch. 

"N'ayant pas été capable de répondre aux nouvelles demandes des géants du cloud, Cisco a perdu du terrain dans les centres de données"

Cette approche ouverte et collaborative témoigne de la volonté de Cisco de s'insérer dans un environnement logiciel et cloud. L'acquisition de IMImobile s'inscrit également dans cette optique. Le logiciel de cette entreprise britannique simplifie les interactions des entreprises avec leurs clients via les réseaux sociaux, la messagerie et la voix. Ce rachat devrait donc permettre à Cisco de donner un coup de pouce à ses fonctions d'interaction client dans WebEx et autres solutions logicielles.

Vers le cloud et au-delà

Depuis le cœur de la Silicon Valley, Cisco a contribué à façonner la colonne vertébrale de l'internet au cours des trois dernières décennies avec ses équipements réseau. Mais l'entreprise a tardé à prendre le virage du cloud. "Les entreprises traditionnelles veulent un réseau fiable, résilient et hautement performant, et les solutions propriétaires et monolithiques de Cisco sont taillées pour cela. Cependant, les géants du cloud comme Amazon avec AWS et Microsoft avec Azure ont besoin de plus. Ils demandent des solutions flexibles, économes et capables de croître rapidement, pour soutenir la croissance effrénée de leurs immenses réseaux. Comme il n'a pas été capable de satisfaire cette nouvelle demande à travers son portfolio traditionnel, Cisco a perdu du terrain sur le marché des centres de données en forte croissance, et des concurrents comme Arista Networks ont tiré profit de cette faiblesse", estime Hervé Blandin, analyse IT.

Pour revenir dans la course et amorcer le basculement vers le logiciel voulu par Chuck Robbins, Cisco a l'an dernier lancé Cisco Silicon One, une architecture de circuit intégré maison, ouverte aux entreprises tierces, qui peuvent y implanter leurs propres réseaux, un appel direct aux géants du cloud. Après une année qui a largement consacré la suprématie de cette technologie, Cisco poursuit sur sa lancée et espère accélérer sa mue pour retrouver sa place parmi les leaders de la Silicon Valley.