Elon Musk a tort quand il dit que nous vivons dans une simulation informatique

Lors d'une conférence la semaine dernière, Elon Musk a déclaré : "Il y a une chance sur des milliards pour que nous soyons dans la réalité et non dans une simulation". Cela suppose que l'intelligence humaine est programmable. Voici quelques raisons de penser que ce n'est pas le cas.

Elon Musk pense qu'il est hautement probable que notre monde ne soit qu'une vaste simulation informatique, voici pourquoi il a sans doute tort. Lors d'une conférence la semaine dernière, il a déclaré : "Il y a une chance sur des milliards pour que nous soyons dans la réalité et non dans une simulation".

Le raisonnement, emprunté au philosophe des sciences Nick Bostrom, est celui-ci : 
  • Vu les progrès en informatique, intelligence artificielle et réalité virtuelle, il devrait bientôt être possible de créer des univers virtuels si réalistes qu'on ne pourra les distinguer de la réalité. On pourra peupler de tels univers virtuels d'avatars artificiels si intelligents que ceux-ci pourraient finir par prendre conscience d'eux-même.
  • Il serait impossible pour les "habitants" d'un univers virtuel de comprendre qu'ils sont dans un tel univers factice (sauf si la simulation a été conçue en ce sens).
  • Dans l'univers réel cette fois, une civilisation qui parviendrait au niveau technologique lui permettant de créer de tels univers virtuels, pourrait facilement en créer des milliards et le ferait.
  • Dans l'univers, le vrai, si pour chaque civilisation "réelle", ancrée dans la réalité et capable de créer des simulations aussi poussées que notre monde, on compte des milliards de mondes simulés (conformément au point précédent), alors statistiquement, nous avons toutes les chances nous-mêmes d'être dans une simulation plutôt que dans la réalité.
Elon Musk pense que toute civilisation aussi avancée que la nôtre est nécessairement en chemin vers cette capacité à produire des milliards de simulations, sauf problème rencontré en route. Si bien que pour lui, dire qu'on a toutes les chances de ne pas être dans une simulation revient à dire qu'il se passe quelque chose qui empêche les civilisations comme la nôtre de finir par créer ces milliards de simulations. 
Et ce quelque chose est à son sens l'extinction de la race humaine, qu'elle soit de notre propre fait ou pas. En somme, selon lui, on a intérêt à avoir plus de chances d'être dans une simulation, car sinon (c'est-à-dire, si on a toutes les chances d'être dans la "vraie" réalité), alors cette réalité ne durera pas et on s'éteindra très vite. 
Elon Musk dit : "J'espère vraiment qu'on est dans une simulation, car sinon, si notre civilisation cesse de progresser, cela pourrait être dû à une catastrophe signant la fin de notre espèce. Donc peut-être devrions-nous espérer effectivement être dans une simulation. Soit nous devenons une civilisation à même de créer des simulations parfaites d'elle-même, soit notre civilisation cesse d'exister, voilà les deux seules options auxquelles nous faisons face, car il est très peu probable que nous stagnions pendant des millions d'années, ce sera soit l'une, soit l'autre."
Selon cette théorie, la simulation serait si parfaite que l'on ne pourrait s'en rendre compte. Ce qui fait qu'une telle théorie relève de la métaphysique, c'est-à-dire qu'elle n'a pas d'application pratique. On ne peut ni la prouver, ni l'infirmer. Y croire ne nous donne pas de nouvelles clefs pour agir sur notre monde, à l'inverse des lois bien utiles de la physique. Donc qu'Elon Musk ait raison ou pas n'a en fait aucune espèce d'importance, puisque cela ne change rien à nos vies au jour le jour.
Ceci étant dit, il est intéressant de se pencher sur ce que serait le point faible d'une telle théorie.
Là où le bât blesse possiblement : penser que toute civilisation aussi avancée que la nôtre est nécessairement en chemin vers cette capacité à produire de telles simulations.
Autrement dit, penser que produire une intelligence artificielle du niveau de celle de l'homme est possible, penser que le cerveau humain ou du moins une intelligence de son niveau est programmable.
Cette assertion est très largement prise pour acquise par les "techno-utopistes", sur la seule base des progrès passés de la technologie. Comme si, parce que certains aspects de la technologie ont effectivement progressé jusque-là de façon exponentielle (cf loi de Moore), alors il en sera ainsi pour toujours, en tout cas assez longtemps pour égaler les qualités du cerveau humain.
Rappelons une chose : personne n'a jamais prouvé que le cerveau humain était programmable, donc cela reste de la pure spéculation.
Il y a un certain nombre de raisons de penser à l'inverse que le cerveau humain et notre intelligence ne sont pas programmables. Et donc que simuler notre monde sur ordinateur est tout bonnement impossible.
Les voici :
- D'abord, il est déjà prouvé que tout n'est pas programmable dans le monde de la physique. Par exemple, il n'est pas possible de simuler un hasard parfait avec un logiciel (du moins sans une source d'information externe). Quoi que l'on programme, il y aura toujours une dose de prévisibilité. Et pourtant en physique, les phénomènes de parfait hasard existent bien, comme par exemple la désintégration radioactive.
- En mathématiques également, on sait qu'il existe une quantité indénombrable de problèmes à jamais insolubles par l'ordinateur (en savoir plus).
- On ne peut donc exclure que le fonctionnement du cerveau repose aussi sur des principes physiques et/ou mathématiques non programmables, vu qu'il en existe bien.
- La plupart de ceux qui cherchent à simuler le cerveau humain sur ordinateur considèrent que celui-ci n'est qu'une somme de neurones interconnectés et fonctionnant tels des portes logiques. Mais intéressons-nous un instant à l'amibe. L'amibe est un être vivant doué d'une relative intelligence. Elle prend des décisions, sait entre autres reconnaître sa nourriture, fuir ses prédateurs ou encore se mettre en quête d'un meilleur habitat. Pour modéliser le comportement d'une amibe sur ordinateur, il faut des milliers de neurones artificiels. Mais devinez quoi ? L'amibe n'a pas de neurone, c'est un organisme unicellulaire ! Il faut donc croire qu'un neurone n'est pas assimilable à une simple porte logique. Sinon pourquoi faudrait-il autant de neurones artificiels pour simuler un organisme qui n'a qu'une cellule ? Peut-être que se cache dans nos neurones une folle complexité qu'on ne pourra jamais simuler. On a beau voir l'intelligence artificielle progresser de plus en plus rapidement, peut-être est-elle condamnée à se heurter à un plafond indépassable.
- Cette folle complexité pourrait bien reposer sur des phénomènes relevant de la physique quantique, comme le suggère Roger Penrose, un prestigieux physicien et mathématicien britannique. Il explique notamment que des états de cohérence quantique se produisent dans notre cerveau, pas qu'à l'intérieur des neurones mais aussi entre les neurones, et que lorsque la quantité de matière impliquée dans ces états de cohérence quantique atteint un certain seuil (la masse de Planck), alors elle "s'effondre" du fait de la gravité. Et ces effondrements à répétition partout dans notre cerveau sont justement un autre exemple de physique non programmable.
-Roger Penrose a longtemps été décrié pour cette idée. Jusqu'il y a peu, on considérait que les cellules biologiques constituaient un milieu trop chaud et humide pour que puissent s'y dérouler des phénomènes quantiques. Tout cela a changé ces dernières années. En effet les preuves s'accumulent selon lesquelles de tels phénomènes se retrouveraient notamment dans la photosynthèse, le fonctionnement des enzymes, de l'odorat, la magnéto-réception des oiseaux (leur capacité à percevoir le champ magnétique terrestre pour s'orienter) et aussi le cerveau : 
  • La photosynthèse semble reposer sur la "superposition quantique", d'après laquelle une particule semble être à deux endroits en même temps ! Concrètement il semble que chaque petit paquet d'énergie essaie simultanément tous les chemins possibles pour aller d'un endroit A à un endroit B dans une plante, avant de choisir le plus efficient (lire cet article Quantum biology: Do weird physics effects abound in nature?).
  • Les enzymes et notre odorat, eux, s'appuieraient sur l'effet quantique dit "tunnel", qui permet à des particules de disparaître devant un obstacles pour mieux réapparaître derrière et ainsi le traverser comme par magie !
  • La magnéto-réception, quant à elle, ne serait possible sans l'effet "d'intrication quantique" se produisant à l'intérieur de molécules présentes dans les yeux des oiseaux. Cet effet prévoit que deux particules distinctes puissent toujours être dans le même état comme si elles pouvaient communiquer plus vite que la vitesse de la lumière !
Difficile donc d'être sûr que la "programmabilité" de notre intelligence est l'hypothèse la plus probable. Il est tout à fait raisonnable de penser le contraire, n'en déplaise à Musk et consorts.