Le vrai géant du crowdfunding : le prêt rémunéré

L'annonce par Fleur Pellerin d'un nouveau cadre réglementaire pour le Financement Participatif et la polémique qui s'en est suivie sur les contraintes continuant de s'exercer sur les plateformes de capital a escamoté un autre pan ouvert dans la réglementation : le prêt rémunéré.

Actuellement le prêt rémunéré relève presque exclusivement du monopole bancaire

Cela n'a pas toujours été le cas (l'origine remonte essentiellement à la loi bancaire de 1984). La formulation et l'extension élargie de ce monopole bancaire constituent aussi une spécificité française (il a notamment déjà dû faire l'objet de certains aménagements pour le rendre conforme à la réglementation européenne).
Le projet de texte sur le crowdfunding propose d'introduire une nouvelle exemption au monopole bancaire, à côté de celles déjà existantes, pour permettre à des particuliers, personnes physiques, d'accorder dans le cadre d'un financement participatif (c’est-à-dire à plusieurs) des prêts directs à des projets d'entreprise ou de particulier dans des limites encadrées par des seuils.
Le texte actuel propose un montant maximum de 250 € de contribution par projet pour chaque prêteur avec un minimum de 20 prêteurs et un montant maximum de 300 000 € financé par projet. Le seuil de 300 000 € constitue, la véritable innovation du texte dans le sens où il couvre environ 50 % des crédits accordées aux  TPE/PME. Il s’adresse à la fois aux financements de petits montants (moins de 25 000 €) mal couverts par l'offre bancaire et échappant aux statistiques de la Banque de France, mais aussi aux financements de montants plus importants (de 50 000 € à 250 000 €) sur lesquels, bien que les banquiers s'en défendent, sont aussi constatées des situations de défaillance de leur offre de crédit.

Le seuil de 250 € est aussi très novateur dans le sens où il assure à la fois la protection des prêteurs et la simplification des souscriptions pour les plateformes.
La protection des prêteurs est assurée par la limitation de leur risque unitaire pris sur chaque projet et la nécessité  de réaffirmer leur volonté d'engagement à chaque projet financé. Ce seuil permet aussi aux plateformes de s'affranchir des contraintes de qualification de la compétence financière des prêteurs qui dans la législation actuelle s'appliquent dès le 1er euro et entrainent une lourdeur incompatible avec une souscription rapide sur internet pour de petits montants.
Le seuil de 20 personnes par projet a pour objet de garantir le caractère participatif du prêt et d'exclure  que des acteurs individuels en organisent une activité « professionnelle » (par exemple une personne ayant une activité « d'usurier » à titre personnel). En cela ce seuil de 20 personnes est redondant avec le seuil de 250 € qui limite lui aussi le volume d'activité d'une personne. Une plateforme exerçant l'activité d'intermédiation de prêts rémunérés entre des particuliers et des entreprises ne sera pas pour autant exemptée de cadre réglementaire.
Le Livre Blanc du Financement Participatif remis à Fleur Pellerin préconisait de créer un nouveau statut d’Etablissement de Financement Participatif comme en prend le chemin le régulateur anglais.  Le régulateur français (ACPR/AMF) a privilégié la qualification des opérations de financement participatif comme des opérations de paiement "La réception de fonds en faveur d’un tiers constitue un service de paiement" (1.3 du texte de la consultation publique). En conséquence, une plateforme qui veut réaliser un réel service d'intermédiation est tenue d'obtenir un statut d'établissement de paiement qui nécessite un agrément de l'ACPR ou d'opérer en se reposant sur les services d'un établissement de paiement existant.
Afin de rendre ce type d'activité accessible à des sociétés innovantes  en démarrage (car on ne compte pas sur les acteurs en place pour les développer), le régulateur va introduire un statut d'Etablissement de Paiement allégé, comme prévu dans la Directive Européenne mais non mis en place jusqu'à lors en France. Ce nouveau statut ne nécessitera qu'un capital minimum de 40.000€ et sera en contrepartie limité à un volume d'opérations maximum de 3 millions d'euro par mois. Il fera l'objet d'un agrément et d'une supervision par l'ACPR comme un établissement de paiement standard mais selon des modalités allégées.
Le potentiel ouvert par le texte actuel sur le crowdfunding en prêt rémunéré est très important et notamment pour les entreprises à divers titres :
  • D'abord, il s'agit d'une nouvelle activité en France.
  • Ensuite parce qu'il s'agit du segment le plus dynamique du crowdfunding notamment aux USA où Lending Club approche des 3 Milliards de dollars de prêts accordés et se développe sur les prêts professionnels. Le prêt est en effet le mécanisme de financement le plus facile à mettre en œuvre à la fois pour le prêteur et l'emprunteur (ce qui n'est pas le cas du capital dont les formalités d’intégration, la gouvernance et les modalités de sortie sont plus complexes à gérer).
  • Et enfin parce le segment de marché ouvert (jusqu'à 300 000 €) s'adresse aux entreprises traditionnelles dont les besoins en financement sont tout aussi important pour le développement de l'économie et la création d'emploi que les entreprises à fort potentiel de croissance ciblée par le financement en capital. Et ces entreprises souffrent elles aussi de resserrement des financements traditionnels notamment par rapport aux évolutions fluctuantes des politiques de crédit des banques contraintes par le pilotage de leur ratio d’actif. Notamment, le plafond du montant maximum de financement 300 000 € par projet ne doit pas être abaissé, ce qui priverait d'autant d'alternative de financement les PME concernées.
Le seuil de 250 € par personne par projet gagnerait à être relevé significativement afin de favoriser le financement de projet d'ampleur croissante plus rapidement. En effet, un seuil trop bas conduit mécaniquement à limiter le montant finançable tant que la communauté des prêteurs n'a pas atteint une taille et une liquidité suffisante (ce qui ne peut être le cas au démarrage). Il est de l'intérêt général de faciliter la trajectoire de développement des plateformes en rehaussant ce seuil, voire en contrepartie d'obligations complémentaires d'information et de qualification des prêteurs.
Le seuil de 20 personnes minimum par prêt est lui aussi pénalisant, mais à l'inverse, pour les prêts de petits montants et fait double emploi avec le seuil de 250 €. Il gagnerait aussi à être abaissé.
Le texte actuel n'est pas encore finalisé mais il constitue déjà une avancée majeure qui doit être préservée et même amélioré face au poids du lobby bancaire voulant conserver, par réflexe, le monopole bancaire en l'état. Le crowdfunding ne représente en effet pas un risque d’impact significatif pour les acteurs traditionnels et plutôt au contraire un facteur de stimulation à mieux servir la demande.
Nous pouvons être au seuil d'un potentiel d'un développement très important de l’accès au financement pour nos TPE/PME. Nous avons également la possibilité de voir se construire rapidement de nouveaux acteurs innovants en capacité de se confronter à leurs concurrents internationaux. Ne ratons pas cette première marche !