Bientôt un nouveau cadre juridique pour les plateformes de crowdfunding

Voici le nouveau cadre juridique à venir pour les plateformes de crowdfunding, autrement appelé financement participatif.

Qui aujourd'hui n'a pas entendu parler du crowdfunding ?

Ce mode de financement a connu un essor et une médiatisation importante notamment avec le succès de la campagne du réalisateur Zach Braff qui  a réuni 2 millions de dollars en 5 jours pour le tournage de son nouveau film, Wish I Was Here.  Si cet exemple est sans commune mesure avec la plupart des financements obtenus par ce biais, il n'en demeure pas moins que le crowdfunding est un secteur montant dans le cadre du  financement de projets. 
L'essor de ce mode de financement alternatif au système bancaire est aujourd'hui indéniable, pour parler de chiffres :  il a généré  2,7 milliards de dollars en 2012 et devrait même atteindre les 3 milliards pour 2013 selon le cabinet Deloitte. Par ailleurs,  une nouvelle plate-forme apparaît chaque jour dans le monde. En juillet  le nombre de 800 sites a été atteint ce qui représente une multiplication par 5,6 entre 2007 et 2012 selon une étude du cabinet Massolution de 2013.
L'importance à la fois économique et culturelle de ce nouveau mode de financement n'a pas échappé au gouvernement français, Fleur Pellerin, ministre déléguée à l’économie numérique en tête.
Le président de la République a lui-même annoncé à l’occasion de la clôture des Assises de l’Entrepreneuriat, le 29 avril dernier, l’établissement d’un cadre juridique sécurisé pour le déploiement de la finance participative en France.
La publication d’un guide du financement participatif par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) au printemps dernier a alors servi d’état des lieux du financement participatif permettant aux porteurs de projet d'appréhender plus aisément les réglementations qui s'appliquent a eux aujourd'hui. (I)
Cependant, la législation actuelle est inadaptée aux spécificités du  financement participatif.
En effet, l'essor du crowdfunding a été beaucoup plus rapide que le législateur et les réglementations actuelles peuvent constituer un frein au développement des  plates-formes. Cela sous-tend un risque de fuite du financement des entrepreneurs aux États-Unis, où la législation est devenue bien plus accueillante depuis la loi JOBS d'avril 2012 et explique certainement la mise en place d'un projet de loi spécifique (II).

I) Une réglementation actuelle contraignante pour le financement participatif

Si de nombreux textes doivent s'appliquer au financement participatif, un seul article y fait directement mention (la loi Lagarde du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation)  Face à cette absence de textes spécifiques  deux documents officiels dédiés à la question ont été mis en place en mai dernier pour expliquer quelles sont les règles applicables : les guides du financement participatif. Publiés par l'ACP et l'AMF, l'un à destination du grand public et l'autre à destination des plates-formes et des porteurs de projets, ces textes dégagent les principales règles applicables en matière de crowdfunding.
Le guide à destination du public est assez bref et se limite à une définition concise des différents types de financement participatif assorti d'un renvoi au Code monétaire et financier (CMF) et d'un appel à la prudence de la part des donateurs.  Aussi rappelle-t-on que le crowdfunding ne bénéficie pas d'une définition juridique mais est considéré comme le “mécanisme qui permet de récolter des fonds – généralement de petits montants- auprès d'un large public, en vue de financer un projet créatif ou entrepreneurial. Il fonctionne le plus souvent via internet” Le guide incite ensuite les donateurs ou investisseurs à la prudence et les renvoie en ce sens au registre des agents financiers.  L'information est, on le voit, des plus succinctes.
En revanche, le texte destinés aux professionnels dresse un tableau assez précis des dispositions applicables à chaque type de crowdfunding que nous allons  résumer ici.

a) Plates-formes permettant de récolter des dons ou contributions pouvant donner lieu a des contreparties diverses

Il s'agit du type de plate-forme le plus représenté  parmi lesquelles Touscoprods, KisskissBankbank, Ulule, Movieangels...
Ce type de plate-forme est un prestataire en fourniture de services de paiement, a la fois intermédiaire financier et exécutant d’opération de paiement dont le statut est prévu par le CMF (art. L314-1 II -3 et -5). Afin d'exercer une telle activité la plate-forme doit être agréée par l'ACP en tant qu’établissement de paiement (art L322-6 CMF) défaut de quoi la peine encourue peut atteindre 3 ans d'emprisonnement et 375 000 € d'amende.
La plate-forme peut également avoir le statut d'agent si elle agit pour le compte d'un établissement de paiement conformément aux articles 523-1 du CMF et suivants qui prévoient qu'un prestataire de service de paiement peut recourir à des agents après les avoir déclarer a l'ACP. Les plates-formes agissant en tant qu'agent doivent clairement le signaler à leurs utilisateurs. C'est la voie généralement suivie pour éviter la procédure contraignante d'agrément AMF.
Il faut également noter qu'une exemption d’agrément est prévue (art. L521-3 CMF) : si les contreparties sont claires et définies et que leur valeur est en rapport avec la somme versée par les contributeurs celui-ci devient un acquéreur de biens ou de services et la plate-forme un intermédiaire avec le vendeur.

b) Plate-forme permettant le financement d'un projet via des prêts

Ces plateformes sont beaucoup moins nombreuses mais on peut néanmoins citer Babyloan et Spear à titre d'exemple et la récente ouverture de Hellomerci par les fondateurs de KisskissBankbank.
La plate-forme réalise ici une opération de crédit au sens de l'article L 313-1 CMF dès lors que les prêts revêtent un caractère onéreux (taux d’intérêt, participation aux résultats) et un caractère habituel (financement de 2 ou plusieurs personnes). Pour exercer la plate-forme doit avoir obtenu un agrément d’établissement de crédit auprès de l'ACP, ce qui implique un capital minimum très important.
Cependant, les opérations de crédit à titre gratuit ne relèvent pas du monopole bancaire et peuvent donc être librement exercées en l'absence d’agrément : sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux il semble possible de considérer que l'octroi d'un DVD, d'un cd ou d'une affiche  n'entache pas le caractère gratuit d'un prêt.
Une plate-forme exerçant une activité propre à un établissement de crédit s'expose à une peine  pouvant atteindre 3 ans d'emprisonnement et 375 000 € d'amende.

c) Plate-forme permettant le financement d'un projet entrepreneurial via la souscription de titres

Ce type de plate-forme reste rare mais on peut citer  les  sites HappyCapital, Anaxago, Particeep qui s'y dédient exclusivement ou le tout nouveau site Mapetiteentreprise lancé par Mymajorcompany, un des leaders en matières de financement de projets musicaux et audiovisuels.
La plate-forme est un fournisseur de services d'investissement qui offre soit des placements non-garantis soit agit en tant qu’intermédiaire entre une entreprise et un investisseur potentiel (art D321-1 s. CMF).
Elle doit être agréé en tant que prestataire de service d'investissement (PSI), agent d'un PSI ou conseiller en investissements financiers (CIF). Ces deux derniers statuts étant plus restreints. Les capitaux minimums sont très élevés (de 125 000 à 730 000 €).
La plate-forme peut également être considérée comme réalisant des offres de titres au public, lesquelles sont strictement réglementées et doivent faire l'objet d'une publication de prospectus  après visa de l'AMF. Des exemptions existent (art. 411-1 CMF) mais elles sont très restrictives et viennent limiter grandement les possibilités des plates-formes ( Montant de l'offre 100 000 euros sur 12 mois ou comprise entre 100 000 et 5 M d'euros sur 12 mois et inférieure à 50 % du capital de l'entreprise).
Il faut noter que ces plates-formes  doivent se limiter à un cercle restreint d'investisseurs que la directive Prospectus de l'Union européenne limite à 150 investisseurs (dir. 2003/73/CE modifiée par 2010/73/UE, transposée par le décret 2012-1243 du 8 Novembre 2012)
A l'heure actuelle si l’on souhaite créer une plate-forme de financement participatif, il faut nécessairement respecter les mêmes obligations réglementaires que celles imposées aux banques et recevoir l’agrément de l’AMF, ou se positionner comme agent dans la cas de figure décris en a) ; avec le risque d'une requalification de l'activité si le positionnement n'y correspond pas clairement. Les dispositifs sont lourds et peu adaptés à la réalité du financement participatif et justifient pleinement la mise en place du nouveau projet de loi.

II) Le projet de loi : la volonté d'un encadrement juridique précis pour favoriser l'essor du crowdfunding

On le sait  depuis le printemps dernier, un cadre juridique plus adapté au crowdfunding va bientôt voir le jour. François Hollande  ayant annoncé lors de la clôture des Assises de l’Entrepreneuriat, l’établissement d’un cadre juridique sécurisé pour la finance participative. Son communiqué annonçait alors que le gouvernement «fera[it] dès septembre des propositions précises pour construire un cadre qui favorise l’essor de ce nouveau mode de financement des projets».
Un projet de loi d'habilitation  à prendre diverses mesures par ordonnance visant la simplification et la sécurisation de la vie des entreprises a d'ailleurs été déposée le 4 septembre dernier et comporte un volet spécifique au financement participatif.
De plus le 30 septembre  les assises du financement participatif, tenues au Ministère des Finances sont venues concrétisées la volonté du gouvernement en la matière.
On a pu notamment y entendre l'annonce du lancement d'un site internet dédié au financement participatif réunissant les principaux acteurs du secteur, homologués par l’État et l’ami (http://tousnosprojets.bpifrance.fr/) Il s'agit la d'une forme de labellisation des sites qui vient garantir le sérieux des projets proposés et inciter les particuliers à les financer.
Surtout les grandes lignes du projet de loi d'habilitation Simplification et sécurisation de la vie des entreprises concernant le crowdfunding ont été exposées.
  • La première concerne la création d'un statut de Conseiller en investissement participatif (CIP). Lequel pourrait obtenir un agrément de l'AMF sans avoir a constituer un fonds propre comme le doivent, nous l'avons vu, les conseillers en investissements financiers. Leur rôle est défini comme une mission de conseil sur les offres de titres de capital et de créances via une plate-forme internet mais également par une prise en charge des bulletins de souscription.
    Ils doivent mettre en place l' accès aux informations des offres pour les inscrits, vérifier l’adéquation entre le profil des investisseurs potentiels et les offres, préciser critères de sélection des projets. Le CIP devra surtout avertir les investisseurs  des risques existants (perte totale, risque d’illiquidité, absence de valorisation).
  • Ensuite vient la création d’un régime prudentiel dérogatoire  pour la réception de fonds en faveur d’un tiers  dans un volume limité à 3 millions d'euros par mois. Les plates-formes devront disposer de capitaux propres d’au moins 400 000 euros et effectuer des contrôles anti-blanchiment. Les plates-formes seront dispensées de contrôle interne. La plate-forme pourrait ainsi servir efficacement d'intermédiaire et ce dans un volume de fonds assez conséquent.
  • Est également annoncée l'adaptation du régime des offres au public de titres financiers, avec la mise en place d’un seuil sur le montant financé par offre, de 300 000 euros sur douze mois, pour les opérations réalisées depuis une plate-forme de financement participatif.
    Ces offres ne seront pas considérées comme offres au public et ne feront pas l’objet d’un prospectus visé par l’AMF. Le seuil évoqué est trois fois supérieur à celui actuellement en vigueur mais reste relativement bas au regard des sommes récoltées par les plates-formes étrangères de grande envergure.
  • Surtout il est prévu un aménagement des règles propres au crédit Les plates-formes pourront agir sans avoir le statut, difficile à obtenir, d’établissement de crédit à condition de respecter certaines restrictions. Il est pour l'instant prévu que les prêts seront accordés sans agrément dès lors que le montant se limite à 250 euros par  prêteur et à 300 000 euros au total participant l’emprunteur.  Cet aménagement est très favorable au crowdfunding mais il va sans dire que les seuils choisis auront une incidence importante sur son développement en France : l'encourageant si ils sont élevés, le freinant si ils sont bas. Ces seuils sont d'ailleurs déjà vivement critiqués par certaines plates-formes..
Si le débat est ouvert sur les détails, il apparaît néanmoins que le financement participatif devrait être grandement simplifié par le nouveau texte de loi.
L’ensemble des nouvelles mesures vient entailler le monopole bancaire et ne sont pas bien vues par les établissements financiers. Cependant  les plates-formes crowdfunding et les banques ne sont pas en concurrence frontale, comme l'a rappelé Fleur Pellerin «la plupart des projets qui sont financés par ce biais n’ont pas convaincu les banquiers auparavant, car ils étaient trop iconoclastes». Les discussions promettent néanmoins d’être houleuses.
Il convient de rappeler en effet que le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnance les mesures de simplification et de sécurisation de la vie de l'entreprise a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 1er octobre 2013 après engagement de la procédure accélérée. Le gouvernement souhaite donc  aller vite et privilégie la voie de l’ordonnance pour adopter le texte d’ici la fin de l’année. Cela signifie que le texte ne sera pas soumis au Parlement afin que les évolutions prévues entrent en vigueur au premier semestre 2014
Le texte était en consultation publique jusqu'au 15 novembre 2013 et un travail de collaboration sera effectué à ce propos entre les différentes plates-formes pour offrir une proposition commune (entre autres les plates-formes leaders Ulule, KisskissBankbank, Mymajorcompany et tous coprods) . Chaque plate-forme pourra évidemment apporter des propositions de façon individuelle.
La principale discussion sera sûrement autour des seuils proposés qui nous l'avons vu semblent restrictifs du point de vue des plates-formes.
La France semble-t-il pourrait se montrer plus libérale sur ce sujet et accorder une plus grande marge de manœuvre aux plates-formes. Sera aussi certainement en cause la nature exacte du futur agrément d'établissement de paiement créé pour les plates-formes de dons et de prêts solidaires qui demeure assez floue aux vues du texte actuel et risque de rendre difficile l'obtention du statut.
En attente du texte on peut néanmoins considérer que la France se positionne intelligemment en considérant le crowdfunding comme un mode de financement distinct du système bancaire. Elle peut ainsi espérer s'ancrer comme un des pays pionniers en la matière en Europe. Il faut noter que seul le Royaume-Uni bénéficie d'un cadre aussi souple. Néanmoins, si le crowdfunding sera facilité en France dès 2014, les plates-formes françaises opérant dans d’autres pays européens ne pourront pas profiter de ce  statut assoupli en l'absence d’harmonisation au sein de l'Union Européenne. Elles devront conserver le statut antérieur de prestataire de services d’investissement, plus rigide mais mieux harmonisé. Par ailleurs, les plates-formes offrant la possibilité de souscrire à des titres sont fortement limités par la directive Prospectus qu'il serait peut être judicieux d'adapter. Michel Barnier commissaire au Marché intérieur et aux Services a d'ailleurs annoncé en juin dernier vouloir assurer les conditions d'un développement du secteur du crowdfunding en Europe et, dans une interview accordée à Euractiv, il a précisé qu'un projet en ce sens serait déposé début 2014.

Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, avocat à la Cour et Elisa Martin-Winkel.