Valoriser une société non cotée : simplification ou casse-tête ?

Valoriser une société non cotée est un exercice qui a connu une forte tendance à la simplification, mais cache, en réalité, une extrême complexification dans le traitement de la valorisation qui n'est plus figée.

L'immense avantage d'une transaction sur une société non cotée et qu'elle bénéficie d'un cadre financier et juridique sur-mesure. A l'opposé  des sociétés cotées, le private equity est potentiellement créatif à l'infini dans un cadre purement contractuel...   
Valoriser une société non cotée est un exercice qui a connu une forte tendance à la simplification ces dernières années. Je ne parle pas d’évaluation théorique mais bien de valorisation servant de base aux négociations en vue d'une transaction sur le capital de la société en question. A l'instar de l'immobilier, des indices sont même apparus : les "prix payés pour les entreprises non cotées passent de 6,7 à 6,1 x l'EBITDA au premier semestre de l’année". Les fonds d'investissement ou les acquéreurs industriels ont de plus en plus tendance à résumer la valeur d'une Société à un multiple d'EBIT ou d'EBITDA (ratio de rentabilité d’exploitation). Une société "vaut entre 6 et 7 x son EBITDA, parfois 8 x, rarement 10 x", ce sont les "market practices" observés dans le monde du private equity. La valorisation d'un bien aussi complexe et dynamique qu'une entreprise se résume à un multiple d'EBITDA. C'est bien pratique pour favoriser les échanges. En caricaturant, ces multiples deviennent un langage commun, au même titre que le prix au mètre carré d'un appartement parisien. Mais pourquoi autant de simplifications ?
La méthode d'actualisation des flux financiers futurs (Discounted Cash Flow ou DCF) est, en principe, la seule reflétant la valeur intrinsèque, le caractère unique de chaque société puisqu'elle vise à répondre à la question suivante : si une société réalise ce business plan et génère donc ces cash flows, combien dois-je la payer aujourd'hui compte tenu d'un rendement souhaité de 8, 10 ou 12 % (pour schématiser) en fonction du profil de risque de la Société. Mais cette méthode suppose de croire en un business plan ! Éminemment subjectif et soumis à aléas en ces temps incertains. Elle suppose aussi une certaine technicité financière qui n'est souvent pas du même niveau autour de la table de négociation.
Par ailleurs, les process de vente de sociétés ont évolué de telle sorte à demander assez rapidement, avant audit, des offres indicatives permettant d'établir la "short-list" d'acquéreurs ou d'investisseurs.
Il n'est matériellement pas possible de faire un DCF. Un fonds remet des offres de plus en plus fréquemment. Il doit arbitrer et répondre vite aux sollicitations.
Mais, cette simplification cache, en réalité, une extrême complexification dans le traitement de la valorisation. Cette dernière n'est plus figée. L'immense avantage d'une transaction sur une société non cotée (le private equity) et qu'elle bénéficie d'un cadre financier et juridique sur-mesure. A l'opposé du cadre très réglementé des sociétés cotées, le private equity est potentiellement créatif à l'infini dans un cadre purement contractuel.
Du coup, plutôt que de s'acharner à négocier une valorisation au cordeau, les parties la rendent variable avec le temps en fonction de différents évènements : l'atteinte de "milestones" (révision de la valorisation en fonction de l'EBITDA atteint en N+1 ou N+2 par exemple) pour un acquéreur industriel ou l'atteinte d'un certain prix à la revente dans la cas d'un deal avec un investisseur (si à la sortie, le TRI de l'investisseur ou le prix de sortie est supérieur à un certain seuil, le pourcentage de détention du capital et donc le partage du prix de vente est a posteriori modifié). Les mécanismes sont en faveur ou en défaveur des cédants.
Sur les sociétés en forte croissance, prétendant donc logiquement à une valorisation "sortant du cadre", les investisseurs ont eu tendance ces dernières années à demander des protections en fonction du scenario de sortie, jusqu'à souhaiter garantir non pas seulement le capital mais un rendement minimum. On parle d'earn out, d'obligations convertibles, de mécanismes de rétrocession, de BSA, d'actions de préférences. Les mécanismes juridiques sont légion pour traduire la logique financière souhaitée.

Tout cela est à manier avec délicatesse

L’exercice de valorisation doit continuer à avoir sa place, a minima pour prendre en compte certaines caractéristiques fondamentales propres à chaque société. Une société dont l'activité ne nécessite que peu d'investissement ou qui a un BFR structurellement négatif doit évidemment avoir un multiple d'EBITDA supérieur à la moyenne. De même pour une société dont la croissance est supérieure au marché ; une corrélation entre le multiple et la croissance doit être établi.
Ensuite, il s'agit de scénariser dans le but d'équilibrer la prise de risque entre un acheteur et un vendeur. Plus le business plan est aléatoire et la valorisation élevée, plus l'acheteur/investisseur peut  justifier des mécanismes de rattrapage et un déplafonnement de sa performance. En revanche, plus le business est prédictible et la valorisation d'entrée équilibrée, plus l'investisseur doit songer à plafonner sa performance au profit du vendeur.
L'évolution de la pratique en matière de fusions-acquisitions va dans le sens de davantage de transactions, facilitée par des mécanismes créatifs permettant de contourner les écueils de la simple valorisation. En revanche, attention aux idées reçues sur le niveau de multiple et à la sur-protection du risque sous prétexte que tout se ressemble. Non, justement, chaque société est unique et mérite une analyse ad hoc.