Scott Harrison (Charity:Water) "Sur Charity: Water, un donateur sait exactement à quoi sert son argent"

En quelques années, Charity: Water a révolutionné le modèle des ONG traditionnelles grâce à Internet. Entretien avec son fondateur qui détaille son projet.

JDN. D'où vient l'idée de Charity: Water ?

scott harrison 275
Scott Harrison est le fondateur et président de Charity: Water © S. de P. Charity:Water

Scott Harrison. Lorsque j'ai fondé Charity: Water en 2006, mon opinion était qu'une grande partie de la population n'avait pas confiance dans les œuvres de bienfaisance. Certains ne les trouvaient pas suffisamment efficaces, d'autres pas assez transparentes. En clair, il y avait toujours une raison pour ne pas donner. L'ancienne méthode qui consistait à envoyer des dons par chèque et par courrier n'était également pas des plus incitatrices. Nous avons donc réfléchi à un nouveau modèle de collecte de dons exclusivement en ligne.

Nous avons aussi fait le choix de concentrer nos efforts sur un seul problème, à savoir celui de l'accès à l'eau dans les pays en voie de développement. Depuis notre existence et grâce aux 100 millions de dollars que nous avons levés en ligne et auprès d'investisseurs privés, nous avons réussi à financer plus de 9 400 projets dans vingt pays. Désormais, ce sont 66 personnes qui travaillent au sein de l'organisation, sans compter les nombreux partenaires locaux avec qui nous collaborons.

En quoi votre modèle est-il innovant et différent de celui des autres ONG ?

Dès le départ, nous avons voulu que la totalité de l'argent collecté via notre plateforme soit entièrement dédié au financement des projets que nous menons. Ainsi, chaque microdon contribue réellement au financement d'une installation. Les coûts liés à l'opérationnel sont, de leur côté, entièrement pris en charge par l'apport financier d'investisseurs privés tels que Jack Dorsey (Twitter) ou encore Sean Parker (Napster, Facebook). Autre élément important, nous souhaitions que le donateur puisse se rendre compte de manière très concrète de l'utilisation qui était faîte de son argent et de son impact sur la vie des populations locales.

Par quel biais?

Nous avons, pour cela, lancé Dollars to Project, un programme dont l'objectif est de permettre aux donateurs de voir exactement où sont passés chaque dollar qui a été dépensé pour un projet. Nous mettons également à leur disposition les coordonnées GPS de chaque installation ainsi que des photos du travail réalisé dès que le projet arrive à son terme. Notre modèle repose sur une totale transparence.

Vous offrez la possibilité de démarrer une campagne de collecte de dons à l'occasion de son anniversaire. D'où vient cette idée ?

Transformer des cadeaux d'anniversaire en dons

Nous sommes parti du principe que nous possédons souvent bien assez de choses alors que d'autres n'ont même pas accès à l'eau potable. A la place de recevoir de simples cadeaux, nous laissons la possibilité à ceux qui le souhaitent de pouvoir transformer leur anniversaire en campagne de collecte de dons. Cette idée a séduit beaucoup de monde puisque ces campagnes représentent aujourd'hui près de la moitié des 38 000 campagnes créées sur notre plateforme.

Suite au succès de cette fonctionnalité, mais aussi grâce à la créativité de nos donateurs, d'autres types d'évènements ont suivi. Une femme a par exemple lancé une campagne suite au défi qu'elle s'était elle-même lancée de nager de San-Francisco jusqu'à Alcatraz complétement nue. A vrai dire, peu importe le type d'occasion, il s'agit là simplement d'un prétexte pour récolter des fonds et sensibiliser son entourage.

Quelles sont les différentes technologies utilisées pour résoudre les problèmes d'accès à l'eau potable ?

Nous proposons au total huit différentes solutions que nous sélectionnons selon la situation et les besoins de la population locale. Par exemple, selon les circonstances, nous pouvons choisir de creuser un puits ou d'installer un système de purification de l'eau. Bien entendu, les coûts varient selon la solution retenue.

Pourquoi avoir choisi de passer par des partenaires pour gérer les projets au niveau local ? Comment vérifiez-vous que l'argent a été utilisé à bon escient ?

Nous avons fait le choix de passer par des partenaires locaux cas nous pensons que nous ne pouvons pas être bon partout et qu'il est impératif de déléguer le pilotage de ces opérations à des professionnels qui connaissent bien la culture locale. Ainsi, nous préférons nous concentrer sur notre mission qui est de bâtir un mouvement et de sensibiliser toujours plus de monde.

Bien entendu, nos équipes se rendent systématiquement sur place pour contrôler la qualité du travail réalisé. Nous avons également une équipe d'experts financiers qui va, de son côté, regarder attentivement les comptes de nos partenaires afin de vérifier que l'argent a été dépensé de manière appropriée.

Comment sélectionnez-vous les pays dans lesquels vous intervenez ?

Les réseaux sociaux pour favoriser la transparence

Nous utilisons un grand nombre de données internes afin de déterminer là où nous devons agir en priorité. Nous avons néanmoins défini certains critères de base comme par exemple celui de ne pas intervenir dans des zones en guerre. Nous privilégions logiquement les pays qui sont réceptifs et ouverts à l'aide humanitaire. Nous opérons aujourd'hui vingt pays, dont onze sur le continent africain.

Charity: Water est une organisation très active sur les réseaux sociaux. Que vous apportent ces plateformes ?

Notre présence sur les réseaux sociaux et notre attitude très "early adopter" a fait dès le début partie intégrante de notre ADN. En effet, dès qu'un nouveau réseau social fait son apparition, nous l'essayons de manière presque systématique, avec plus ou moins de succès selon les cas. Nous avons, par exemple, été l'une des premières marques à ouvrir un compte sur Instagram. Nous sommes également l'une des rares organisations à but non-lucratif à dépasser le million de followers sur Twitter.

Comment les utilisez-vous ?

Bien souvent, les organisations n'accordent pas assez d'importance au marketing. Nous pensons, qu'au contraire, il est primordial de raconter de belles histoires et d'être imaginatif si l'on souhaite susciter l'intérêt du public. L'aspect visuel étant primordial ici, nous publions énormément de photos de toutes nos actions. Grace aux réseaux sociaux, nous pouvons montrer les problèmes auxquels sont confrontés les populations locales et détailler les différentes solutions que nous y apportons. L'internaute peut ainsi se rendre compte qu'il a, à lui seul, la capacité de faire changer les choses.

Les partenariats semblent également avoir joué un rôle important dans votre succès...

Ils font partie intégrante de notre stratégie et ont pour principal objectif de faire connaître la marque Charity: Water auprès du grand public. Nous avons par exemple conclu un partenariat avec le groupe de musique Depeche Mode et la marque de luxe Hublot afin de concevoir une série exclusive de montres. Une partie des bénéfices de la vente de ces montres est ainsi directement reversée à Charity: Water.

Mais nos partenariats ne s'arrêtent pas simplement aux grandes marques, nous travaillons également avec des églises, des écoles et même des dentistes. Enfin, nous commercialisons également toute une gamme de produits à l'effigie de notre organisation via notre e-boutique, là encore avec l'objectif de promouvoir et de faire connaître la marque Charity: Water.

Une fois financée, comment faîtes-vous pour vérifier qu'une installation reste fonctionnelle dans le temps ?

Grâce à notre expérience, nous sommes aujourd'hui capable d'évaluer la durée de vie moyenne d'un projet. A l'heure actuelle, nous levons de l'argent séparément pour financer la maintenance d'une installation. Nous réfléchissons désormais à intégrer ce coût dans le budget initial du projet afin d'assurer sa maintenance sur plusieurs années. Grâce au soutien financier de Google et à l'aide de plusieurs laboratoires, nous travaillons actuellement à la conception d'un capteur unique en son genre. Cet appareil nous permettra, à l'avenir, de connaître en temps réel l'état de fonctionnement d'une installation.

Après avoir travaillé pendant près de 10 ans en tant que promoteur de boites de nuit, Scott Harrison décide de changer radicalement de vie en s'engageant en tant que photographe volontaire au Libéria. De retour à New-York en 2006, il décide de créer Charity: Water, une organisation à but non-lucratif dont l'objectif est de venir en aide à tous ceux qui n'ont pas accès à l'eau potable, soit près de 800 millions de personnes dans le monde.