Vers la fin des méga-IPO Tech sur le Nasdaq ?

Vers la fin des méga-IPO Tech sur le Nasdaq ? Dans un contexte boursier morose, les start-up du Web ont du mal à s'introduire en bourse. La faute à des valorisations gigantesques ?

Les start-up du Web ne sont pas au beau fixe sur le Nasdaq. Weibo, le twitter chinois, a levé 285,6 millions de dollars en s'introduisant en bourse, en avril dernier, alors qu'il tablait sur plus de 400 millions de dollars. Le même jour, Sabre Corp., spécialisée dans les réservations de voyage en ligne, vendait ses actions à 16 dollars, au lieu des 18 à 20 dollars attendus. Un contexte boursier plus que morose qui a poussé plusieurs start-up du Web à repousser leur IPO en attendant une amélioration du marché. Box, qui devait entrer sur le New York Stock Exchange au début du mois de mai, a annoncé que son IPO n'aura pas lieu avant le mois de juin. La start-up espère y lever 250 millions de dollars. Alibaba, le géant chinois, tarde à déposer son document d'introduction en bourse. Square, la start-up de paiements mobile fondée par Jack Dorsey, vient de lever plusieurs centaines de millions de dollars de dettes au début du mois d'avril pour repousser un peu plus son IPO, qui ne devrait donc pas intervenir cette année.

Les investisseurs délaissent le secteur du Web

Même les actions des géants du Web ont vu leur cours chuter sur les bourses new-yorkaises, ces derniers temps. A croire que les investisseurs commencent à se méfier des sociétés qui capitalisent avant tout sur leur potentiel de croissance pour atteindre des valorisations gigantesques... Et ne peuvent justifier de bonnes performances économiques. Après avoir révélé avoir enregistré une perte de 132,36 millions de dollars au premier trimestre, le 30 avril, Twitter a ainsi vu son action dévisser de 12%, à 38 dollars, en quelques heures.

twitter action
Evolution du cours de l'action Twitter entre le 25 janvier et le 05 mai 2014. © Capture d'écran Boursorama

Pour Romain Lavault, de Partech Ventures, si les introductions en bourse atteignent des valorisations moins importantes, ce n'est qu'un retour à la normale après des années de valorisations "démentes" : "Il y a eu une inflation sur les valorisations, portées par l'euphorie post-crise aux Etats-Unis puis par de très grosses IPO comme celle de Facebook, qui se justifie vu son énorme emprise sur le Web. On revient sur des valorisations normales. Par exemple, pour une société Saas, elle devrait atteindre cinq à dix fois les revenus de la société, mais on a assisté à des valorisations de vingt à trente fois les revenus." Partech vient d'ailleurs de réaliser l'IPO de la société Five9, qui n'est pas encore profitable, sur le Nasdaq, pour une valorisation de 325 millions de dollars, soit près de quatre fois le chiffre d'affaires de la société en 2013 (84,1 millions de dollars). "Nous n'avons pas tergiversé sur l'IPO. Attendre serait prendre un pari sur l'amélioration des conditions du marché", commente Romain Lavault.

Valorisations et pertes exorbitantes

Inquiètes d'un mauvais accueil des investisseurs, plusieurs start-up repoussent donc leur IPO, les yeux rivés sur le marché. D'autant que leur situation n'a pas toujours de quoi rassurer. Du côté de Box, si le chiffre d'affaires de la société a augmenté de 110% en 2013, pour atteindre 124,2 millions de dollars, elle a enregistré 168 millions de dollars de pertes (contre 113 millions en 2012). La société dépense surtout davantage en marketing qu'elle n'enregistre de bénéfices : 171 millions de dollars en 2013, en hausse de 73%... Soit 137% du chiffre d'affaires de Box ! Pas de quoi rassurer les investisseurs... La société n'est pas prête d'être rentable, mais elle est valorisée deux milliards de dollars. "Box dépense énormément d'argent, donc cela peut faire peur, mais c'est un très beau modèle. Faute d'IPO, ils pourraient trouver des VC pour un nouveau tour de table... Mais peut-être pas avec une aussi bonne valorisation qu'en bourse", reconnaît Romain Lavault. Sans oublier que Box se trouve confrontée à la concurrence de Dropbox, même si elle est davantage orientée en B2B. "La situation vraiment idéale pour une IPO c'est une société en monopole qui ne peut pas être rachetée". Square est confrontée au même problème. La start-up n'est toujours pas profitable non plus –elle a enregistré une perte de 100 millions de dollars en 2013- mais atteint une valorisation de plus de cinq milliards de dollars.

Ne reste plus qu'à espérer pour elles que la défiance des investisseurs n'est qu'une passade. Mais en attendant, les start-up du Web pourraient être obligées de revoir leurs ambitions à la baisse. Elles ne pourront repousser éternellement leur IPO, sous peine de se retrouver à cours de liquidités. Au train où Box dépense les fonds levés (414 millions depuis sa création, en 2005), la société pourrait se retrouver dans l'impasse. Que faire alors, si la situation n'est pas propice à l'introduction en bourse ? Pour ces sociétés valorisées plusieurs milliards de dollars, la marge de manœuvre est mince.

Piège de la valorisation

Fred Wilson, célèbre investisseur de la Silicon Valley –il a soutenu Twitter, Tumblr, Foursquare ou encore Kickstarter- et co-fondateur de Union Square Ventures, s'est fendu d'un post de blog à ce sujet. Pour lui, les start-up du Web se retrouvent confrontées au "Valuation Trap", le piège de la valorisation. Elles décrochent des valorisations gigantesques de plusieurs milliards lors de leurs levées de fonds qui ne leur laissent plus beaucoup d'options pour le futur, pour satisfaire leurs investisseurs. D'abord, se faire racheter par un géant prêt à débourser une somme énorme. Mais il n'existe pas pléthore de Google ou Facebook, prêts à débourser 19 milliards de dollars pour un Whatsapp.

La deuxième option, pour assurer un retour sur investissement : l'IPO. "Mais l'opération est difficile et pour les investisseurs, un très bon deal repose sur un retour de cinq à dix fois sur l'investissement", commente Romain Lavault.  Quand cette possibilité se gâte, les sociétés du Web peuvent se retrouver le bec dans l'eau. "La conjugaison de valorisations qui atteignent des sommets, de pertes également extrêmement élevées, et d'un marché de l'IPO en disparition n'est pas de bonne augure. Je suis plutôt sûr que Square et Box peuvent et vont parvenir à contourner le piège de la valorisation, mais cela va nécessiter des choix difficiles dans les mois à venir", analyse Fred Wilson.