Lettre ouverte à François de Rugy : le marché de l’électricité risque de sombrer dans l’obscurité

Le tarif réglementé de vente de l’électricité bride l’innovation et la concurrence sur le marché français de l’énergie.

Monsieur le Ministre,Félicitations pour votre nomination et bravo pour votre première prise de position résumée par votre tweet :"Je n'ai pas trouvé de pays dans le monde où l'économie administrée et étatisée aurait fait un champion de l'écologie. Nous avons besoin des entreprises pour mener la transformation écologique".

Peut-on espérer alors que vous, lorsque vous quitterez votre mandat, vous n’entendrez ce vers d’Edmond Rostand qu’on imagine si bien bourdonner à l’oreille de certains de vos prédécesseurs. "Voyez-vous, lorsqu’on a trop réussi sa vie, on sent, — n’ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! — mille petits dégoûts de soi, dont le total, ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ?"

C’est dans l’espoir de votre succès et en qualité de fournisseur d’énergie alternatif et d’acteur de la transition énergétique que nous voulons vous souligner un point crucial : les tarifs réglementés de vente (TRV) de l’électricité, sous des jolis atours, sont délétères. Ceux-ci asphyxient les nouveaux entrants sur le marché et, de fait, tuent la concurrence, l’innovation et mettent "en même temps" EDF en difficulté. Si le gouvernement n’agit pas au plus vite, tout le marché français de l’électricité risque de sombrer dans l’obscurité.

L’opérateur historique

Créé en 1946, EDF n’est-il- pas le premier représentant de cette économie administrée que vous dénoncez devant le parlement ? Rappelons que le Phénix des hôtes de ces bois a aujourd’hui perdu de sa superbe. Les financements et retards cumulés des constructions des différents EPR (Réacteur Pressurisé Européen), l’accumulation des problèmes techniques, la découverte de malfaçons sur les centrales nucléaires existantes et les investissements colossaux pour prolonger la vie de ses centrales ont plongé le groupe dans une situation économique alarmante. Rappelez-vous ! Le 21 décembre 2015, la valeur de l’action contraint EDF à sortir du CAC 40, et le 1er mars 2016, Thomas Piquemal, son directeur financier, démissionne "par désespoir".

Aujourd’hui, EDF, c’est 33 milliards d’euros de dette et l’Etat sans cesse à son chevet : 3 milliards d’euros en 2017 via une augmentation de capital, un dividende convertit en actions et non en cash et la vente, en 2016, de 49,9% du capital de RTE (gestionnaire des lignes à haute tension) pour 4,1 milliards d’euros à la Caisse des dépôts et Consignations, que l’on pourrait résumer en "l’Etat vend à l’Etat".

Tout cet argent pour quoi ? Pour accélérer une transition énergétique grâce à un champion français ? Champion dont Jean-Bernard Lévy, son Président, cité par Gérard Magnin, déclare "Le nucléaire français doit pédaler, toujours pédaler comme sur un vélo sinon il tombe…". L’énergie centralisée et la boulimie de concurrence comme seul horizon énergétique en somme…

La start-up nation

Pourtant tout est bien parti dans le milieu des fournisseurs d’énergie. Rien que cet été quatre nouveaux fournisseurs d’électricité sont venus gonfler les rangs des 25 opérateurs d’énergies déjà présents. L’été a été chaud dans ce secteur aussi !

En deux ans, Leclerc, Cdiscount, Total, ekWateur et une myriade de start-ups se sont lancés à l’assaut du marché. Des entreprises venues bousculer EDF, au travers notamment d’innovations portées par les start-up, qui ont su séduire nombre de consommateurs. Bonne nouvelle, vous voilà doté d’un bataillon d’entreprises avec qui vous allez pouvoir faire la transition énergétique. Ils sont prêts et au garde-à-vous, mais combien de temps peuvent-ils tenir sous la mitraille ?

Car aujourd’hui ces nouveaux entrants sont menacés. Par quoi ? Par les tarifs règlementés de ventes. La bonne nouvelle ? Vous pourrez facilement les arrêter puisqu’ils sont du ressort de votre ministère.

Les TRV… Voilà un prix de l’énergie administré par l’état, défini selon la loi comme "couvrant les coûts de l’opérateur historique en lui assurant une marge raisonnable". Prix administré qui bien qu’illégal pour la Cour de Justice de l’Union européenne, a été confirmé dans son existence par le Conseil d’Etat pour assurer une "stabilité des prix"… Comment peut-on considérer qu’un prix qui subit trois hausses rétroactives en cinq ans est stable ? Comment, alors que tous les fournisseurs proposent des tarifs fixes, penser que la volatilité sera la règle ? Comment faites-vous pour calculer une couverture des coûts qui laisse EDF en si grande difficulté financière ? Et comment imaginer qu’un prix administré ne mène pas un jour ou l’autre dans l’impasse ?

D’ailleurs ce qui devait arriver arriva : la chaleur de l’été a mis en branle la machine à tuer la concurrence, celle qui avait si bien fonctionné en 2008. Le prix d’achat de l’électricité s’est envolé en juillet et en août, atteignant celui de …. 2008 justement. Du jamais vu en été. Raison : la canicule. Sous la chaleur, la France a dû arrêter une partie de sa production nucléaire, soulignant au passage que le nucléaire n’est pas aussi pilotable que ce que l’on veut nous faire croire. En même temps le manque de vent en Allemagne a créé une pénurie de production électrique sur la plaque européenne. L’augmentation du prix du charbon, du gaz et de la taxe carbone ont fait le reste. Bilan : un fournisseur qui arriverait maintenant sur le marché serai obligé de vendre à perte pour proposer ne serait-ce que des prix égaux à ceux des TRV ! Et si les prix de gros n’évoluent pas c’est ce qui va se passer pour tous les fournisseurs alternatifs en 2019.

Concurrence bénéfique

C’est la concurrence qui fait bouger EDF, l’ayant poussé par exemple, et pour la première fois depuis 70 ans, à proposer de nouvelles offres comme l’offre verte. C’est pourquoi, nous appelons le gouvernement à en finir avec les TRV de l’électricité et à laisser les opérateurs du secteur assurer une stabilité des prix. C’est d’ailleurs ce que nous observons déjà avec des offres de fournisseurs à prix fixe sur trois ans, chose que les TRV n’ont jamais fait.

Persévérer dans les TRV c’est, à court terme, tuer l’innovation, la concurrence et, à long terme, mettre EDF en péril qui, en se coupant de revenus, creuse sa dette et ne procède pas aux investissements nécessaires à sa survie et sa compétitivité.

La route est donc simple…. Supprimer les TRV, sacrifier le court terme pour le long terme et le bien commun. Désavouer le lobby énergétique historique, certes innovant dans les années 60 et 70 mais fossilisé depuis. Des ministres ont tenté leurs chances. Oserez-vous reprendre le flambeau ?