Jan Koum (WhatsApp) "La publicité sur mobile n'est pas un modèle durable"

Avec plus de 400 millions d'utilisateurs actifs, WhatsApp est l'une des plus belles success stories sur mobile. Le cofondateur de l'appli star confie sa vision du futur de WhatsApp au JDN.

D'où vous est venue l'idée de WhatsApp ?

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Jan Koum est le cofondateur et CEO de WhatsApp © S. de P. DLD14 

L'idée de WhatsApp m'est venue juste après avoir acheté un iPhone. Il nous est  tout de suite apparu clair à moi et mon cofondateur que chacun d'entre nous serait équipé d'un smartphone. Nous avions également la conviction que le SMS n'était pas le meilleur moyen pour communiquer. A l'origine, notre idée était d'utiliser votre répertoire de contacts, un élément très personnel, pour bâtir une sorte de réseau social dédié à toutes vos communications. Nous avons lancé en février 2009 un premier prototype autour de cette idée, avant de nous apercevoir que nos utilisateurs voulaient quelque chose de plus instantané : ils souhaitaient avant tout pouvoir communiquer en temps réel avec leur entourage. Nous avons donc fait évoluer l'application en intégrant un système de messagerie instantané quelques mois plus tard et avons connu depuis une croissance fulgurante à travers le monde. Whatsapp s'apprête aujourd'hui à fêter son cinquième anniversaire et vient de dépasser les 430 millions d'utilisateurs actifs. Notre équipe est composée de 50 personnes, dont 25 ingénieurs.

Quelques chiffres à donner sur votre activité ? Où en êtes-vous en Europe ?

50 milliards de messages sont aujourd'hui échangés chaque jour via l'application, dont 18 milliards de messages envoyés. Cet écart s'explique par l'existence des groupes de discussions où un message envoyé est automatiquement reçu par plusieurs destinataires.

En Europe, WhatsApp a historiquement toujours bénéficié d'une forte présence aux Pays-Bas. Depuis début 2010 nous y observons une importante utilisation du service qui nous a beaucoup surpris. En dehors, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne représentent nos marchés les plus importants. 

Comment expliquez-vous un tel succès ?  Quelle a été votre stratégie marketing à vos débuts ?

"Une application que votre grand-mère peut utiliser"

Nous n'avons jamais dépensé le moindre centime en publicité. L'ensemble de notre communication a reposé sur du bouche à oreille. Nous savions qu'en développant un bon produit, les gens auraient d'en parler autour d'eux. Je pense que nos utilisateurs apprécient la simplicité d'utilisation de WhatsApp où seul un numéro de téléphone suffit à identifier quelqu'un. Pas besoin de se rappeler d''un identifiant ou d'un numéro, comme à l'époque d'ICQ par exemple, pour ajouter ou retrouver un contact. Une fois votre numéro vérifié, WhatsApp va utiliser votre répertoire pour retrouver automatiquement vos contacts et vous permettre de commencer à utiliser le service immédiatement. Notre objectif était vraiment de développer une application que même votre grand-mère pourrait utiliser.

Qui considérez-vous comme vos principaux concurrents aujourd'hui ?

En toute honnêteté, je pense que notre plus grand concurrent est nous-même et que, si nous n'atteignions pas nos objectifs, ce sera simplement de notre faute. La concurrence existe et a logiquement toujours existé. Que ce soit Facebook ou Google, toutes ces entreprises ont également connu de la concurrence à leurs débuts.

Comment vous différenciez-vous des autres services de messagerie instantanée ?

Je pense que beaucoup de nos concurrents ne se développent pas uniquement autour de la messagerie instantanée comme nous le faisons. Certains bâtissent des plateformes autour de la publicité, d'autres choisissent d'intégrer des jeux. A l'inverse, notre objectif est de fournir à nos utilisateurs une application de messagerie simple à utiliser et surtout qui ne s'interpose pas au milieu de leurs conversations. Lorsque vous parlez à quelqu'un, vous ne devez pas être interrompu par une publicité vous demandant de tester tel ou tel jeu...

Vous avez déclaré lors de la conférence DLD14 à Munich ne pas vouloir intégrer une fonctionnalité de messagerie éphémère à la Snapchat, pourquoi ?

"Nous refusons la publicité"

Mon cofondateur est père depuis un an. A la suite de cet heureux événement, il a reçu beaucoup d'images et de vidéos. Ce genre de souvenirs, vous voulez le conserver. Nous avons même été plus loin en laissant la possibilité à nos utilisateurs iPhone de pouvoir sauvegarder leurs messages ou photos sur iCloud en cas de perte de leur mobile.

Mais nous sommes dans un marché ouvert. Si certaines personnes souhaitent utiliser une application de messagerie éphémère ils sont tout à fait libres de le faire. Dans notre cas, nos utilisateurs apprécient le fait de pouvoir préserver tous ces moments importants de leur vie.

Dans un désormais célèbre billet  intitulé "Pourquoi nous ne vendons pas de publicité" publié en juin 2012 sur votre blog, vous expliquez ne pas vouloir monétiser WhatsApp via la publicité. Pourquoi ?

Votre téléphone est un objet très personnel. Nous pouvons même dire qu'il représente aujourd'hui une part de vous-même. En ce sens, utiliser votre smartphone comme support pour y publier des publicités revient à vous utiliser vous-même. Ce que nous nous refusons de faire. Dès les débuts de WhatsApp, nous avons souhaité que notre modèle de revenus puisse nous permettre de bâtir une entreprise sur le long terme, autrement dit une société qui pourrait atteindre plusieurs milliards d'utilisateurs et engendrer suffisamment de revenus pour être encore là dans dix, vingt ou cinquante ans.

Mon avis est qu'aujourd'hui les gens commencent peu à peu à se lasser de la publicité. Pour l'anecdote, mon cofondateur et moi avons travaillé chez Yahoo. J'ai rejoint l'entreprise en 1998 et j'ai pu observé à cette époque Yahoo placer de la publicité un peu partout sur ses différents services. Cela a eu pour effet une dégradation de l'expérience utilisateur et a sûrement contribué au départ de certains utilisateurs vers des services concurrents comme ceux de Google ou de Facebook. C'est pourquoi je ne pense pas que la publicité permette de développer durablement un service, surtout sur mobile où la surface de l'écran est très réduite.

Mais avez-vous pensé à d'autres sources de revenus ?

"Je ne connais pas le profil de nos utilisateurs"

Nous n'avons pas réfléchi sérieusement à cette question pour le moment. Néanmoins, nous savons que des entreprises, petites ou grosses, utilisent WhatsApp au quotidien pour leur business. Je ne peux pas encore dire si cette tendance est une piste de monétisation valable. Encore une fois, ce n'est vraiment pas notre focus actuel. Nous avons encore trop à faire pour développer notre audience. Pour vous donner une idée, rien qu'au cours des 10 derniers jours du mois de décembre, nous avons dénombré près de 20 millions nouveaux utilisateurs. Ce chiffre illustre bien la croissance fulgurante que nous connaissons actuellement et il est donc primordial pour nous de rester concentrer. Penser à autre chose en ce moment serait presque suicidaire et surtout cela ne serait pas bon pour nos utilisateurs existants.

Beaucoup d'études montrent que les adolescents se désintéressent peu à peu de Facebook. Pensez-vous que des services de messagerie comme WhatsApp y sont pour quelque chose et pouvez-vous nous dire un mot sur le profil de vos utilisateurs ?

Concernant Facebook, n'y travaillant pas et n'ayant donc pas accès à leurs données, il m'est assez difficile d'en parler. Pour ce qui est du profil de nos utilisateurs, je ne le connais pas moi-même. En effet, nous ne connaissons ni votre nom, ni votre adresse email, ni votre sexe, ni le lieu où vous vivez et encore moins ce que vous aimez. Le fait de ne collecter aucune donnée personnelle sur nos utilisateurs est directement lié à notre modèle de revenus qui, justement, ne repose pas sur la publicité. En ce sens, nous sommes très différents de beaucoup d'autres sociétés de la Silicon Valley qui en savent parfois beaucoup sur leurs utilisateurs.

Pour autant, je pense que vous pourrez trouver des utilisateurs de WhatsApp dans toutes les catégories d'âge et dans tous les pays. J'ai par exemple appris qu'à Berlin un groupe de personnes âgées utilisait WhatsApp pour organiser des promenades avec leurs chiens. Nous sommes une entreprise globale et par conséquent nous voulons que notre produit s'adresse à tout le monde.

Comment assurez-vous la protection et la confidentialité des données des utilisateurs ?

C'est une question très importante pour nous. Comme je vous l'ai dit, nous ne connaissons rien de nos utilisateurs puisque nous ne vous demandons aucune donnée personnelle si ce n'est votre numéro de téléphone. Le deuxième point important est que nous ne stockons aucun message, photo ou vidéo envoyés via l'application. Dès qu'un message a été reçu par un utilisateur, il est automatiquement supprimé de nos serveurs. Parfois certains nous écrivent pour nous demander de leur restituer leurs conversations suite à la perte de leur mobile, mais nous ne le pouvons tout simplement pas.

Vous avez récemment affirmé votre volonté de rester indépendant. Pour autant, comment réagiriez-vous si quelqu'un venait vous voir avec une "très grosse" proposition ?

Vous comptez me faire une offre ? (rires)

Mais pourquoi est-il aussi important pour vous de demeurer indépendant ?

"Nous voulons pouvoir communiquer instantanément avec notre entourage"

C'est un challenge que nous apprécions. C'est également plus gratifiant : il est facile de vendre une société mais il est bien plus difficile de bâtir une entreprise indépendante. Si vous regardez des entreprises comme Google, Facebook, Cisco ou encore Yahoo, vous voyez des entreprises qui ont fait le choix de rester indépendantes pour montrer de réels business. Ce que nous accomplirons, nous voulons le faire par nos propres moyens.

Pensez-vous que les applications de messagerie comme WhatsApp vont conduire à la disparition des SMS ?

Ce n'est pas notre objectif. Historiquement, la façon dont nous communiquons a toujours évolué. Il y a eu les télégrammes, puis le courrier, le téléphone, les emails....etc. Aujourd'hui nous avons des produits comme WhatsApp, demain ce sera peut être quelque chose d'autre. Ce qui ne change pas, c'est la volonté des êtres humains de rester connecter les uns aux autres. Cela fait simplement parti de notre ADN : peu importe où nous nous trouvons dans le monde, nous voulons pouvoir communiquer instantanément avec notre entourage. Et c'est exactement ce à quoi sert WhatsApp.

Jan Koum est le cofondateur et CEO de WhatsApp, une application de messagerie instantanée qui a vu le jour en 2009. Avant cela, Jan a notamment travaillé pour Yahoo. Il a étudié les mathématiques et la programmation à l'Université de San José.