Samantha Jérusalmy (Partner chez Elaia Partners) "En amorçage, sans business model, on parie sur la capacité d'exécution"

La jeune partner décrypte le fonctionnement de la société de capital-risque qui s'est spécialisée, depuis deux ans, dans l'amorçage.

sam copie
Samantha Jerusalmy, partner chez Elaia Partners. © Elaia Partners

JDN. Vous avez été promue partner chez Elaia Partners le 13 octobre. A 30 ans, vous êtes la plus jeune Partner de l'écosystème parisien...

Samantha Jerusalmy. C'est la suite logique de mon parcours. J'ai commencé il y a sept ans en tant qu'analyste et première recrue après Marie Ekeland. Je suis passée chargée d'affaires, puis investment manager, puis partner. Mais c'est vrai qu'il est difficile de passer partner à cet âge. Il faut de la bouteille pour siéger à des conseils d'administration et donner des conseils à des serial-entrepreneurs sur la manière de driver leur boîte. C'est pour cela que normalement, on commence entrepreneur et on finit VC. Pourquoi je suis devenue partner tôt ? Cela fait sept ans que je fais ce métier de manière passionnelle, et je pense que l'une des clés, c'est de ne pas avoir la prétention de tout savoir. Quand il faut prendre une décision, je m'appuie sur tout ce que j'ai pu voir et les dossiers que j'ai traités, mais parfois ça ne suffit pas. La volonté d'Elaia est d'apporter plus que de l'argent : une expertise dans l'économie numérique et un réseau. Quand je ne sais pas, je vais donc chercher des expertises ailleurs en faisant appel à des administrateurs indépendants, sur des compétences que l'on n'a pas en interne. De manière assez systématique, nous amenons de toute façon des administrateurs indépendants aux conseils d'administration, qui ne sont ni fondateurs ni investisseurs, avec un droit de vote. Pour créer un équilibre, mais aussi pour aller chercher une expertise externe. Par exemple, celui qui a trouvé le business model de Criteo était l'un de ces administrateurs, Gilles Samoun – même si, bien sûr, ça a été le génie de Jean-Baptiste Rudelle de réorienter son modèle à partir d'un conseil ("Ton modèle, tu peux l'appliquer à la publicité"). Aujourd'hui, Gilles Samoun siège aussi au conseil d'administration de 1001 menus. Comme je n'ai pas commencé opérationnelle et serial-entrepreneuse, je suis peut-être plus encline à aller chercher du conseil que d'autres. Et puis je suis un peu corvéable pour mes boîtes et je n'hésite pas à mettre les mains dans le cambouis !

Analyste, chargée d'affaires, investment manager, partner... Quelles nouvelles attributions apporte chacun de ces titres ?

En tant qu'analyste, je gérais le dealflow, soit 1 500 dossiers par an. Je les étudiais et je rapportais les dossiers à notre réunion deal flow hebdomadaire, en soulignant quelles étaient les start-up à voir. L'analyste est la pierre angulaire : c'est lui qui fait le premier tri. J'ai été aussi beaucoup impliquée sur la deuxième levée de fonds d'Elaia. Xavier, Marie et Philippe m'ont laissé très vite la possibilité de participer aux boards et travailler sur de nombreux dossiers. En 2010, je suis devenue chargée d'affaires. J'ai davantage pris le lead sur les dossiers et j'ai pu les gérer de bout en bout, du sourcing jusqu'à la signature de la term sheet, le pacte d'actionnaires... Jusqu'à avoir une lace de censeur sur certains dossiers. En 2012, j'ai été nommée Investment manager : on devient alors membre du board à part entière sur les deals. Enfin, le titre de partner change le nombre de sociétés que l'on suit et votre implication dans la société de gestion.

Quelle formation avez-vous suivi ?

"L'opérationnel sera un jour pour moi"

Je suis passée par une école de commerce, l'Edhec, agrémentée de nombreux aller-retours à l'étranger : en Bachelor à Toronto, à la Schulich School of Business, puis un MBA à Chicago, à la Loyola University. J'ai fait un stage chez Clipperton Finance, boutique de corporate finance qui fait la jonction entre start-up et fonds d'investissements. Je voulais déjà travailler dans le capital-risque. Je suis entrée dans un fonds d'investissement en pensant qu'en voyant passer de nombreux projets, j'aurais l'idée du siècle pour entreprendre moi-même. Je viens d'une famille d'entrepreneurs –dans le vêtement, pas l'économie numérique- et j'ai toujours eu envie de me lancer. Mais ça n'a pas marché dans ce sens-là ! L'opérationnel sera un jour pour moi, mais pas tout de suite. Je vois passer beaucoup de génies et je deviens de plus en plus exigeante, avec les autres et moi-même. Il est plus dur de se mettre le pied à l'étrier dans ce cas ! Souvent, les capitaux-risqueurs sont d'anciens entrepreneurs. Moi, je fais le chemin en sens inverse.

Quels sont vos critères de sélection de start-up ?

En ce moment, c'est un peu particulier parce qu'Elaia est sur un fonds d'amorçage. Nous investissons dans des start-up qui font moins de 250 000 euros de chiffre d'affaires sur les douze derniers mois. Nous sommes donc très à cheval sur l'équipe : soit ce sont des entrepreneurs multirécidivistes, soit ils n'ont jamais encore monté de boîte et on parie sur leur capacité d'exécution. Vont-ils réussir à exécuter la vision qu'ils nous ont présentée ? En amorçage, il n'y a pas ou peu de business model, pas de metrics, juste un début de traction ou un prototype. Donc on teste l'exécution, c'est un peu du feeling. On s'attarde sur les cofondateurs et leur ambition, leur vision.

"Challenger le go-to-market"

On teste beaucoup le go-to-market pour voir comment ils vont chercher des clients, pour les start-up B2B, ou de l'audience, pour le B2C. Ils n'ont pas des millions à dépenser en marketing, donc il faut trouver le bon mix pour la stratégie d'acquisition : comment passer de 0 à 1, d'un prototype ou bon produit jusqu'à bien adresser le marché ? On teste, et on essaie de déceler les signaux faibles, la naïveté, si le plan va aller dans le mur ou non. Souvent, on fait appel à des experts externes pour tester la capacité d'exécution -on a besoin d'une confiance mutuelle avec les cofondateurs que l'on va voir à tous les conseils d'administration- mais aussi le produit, le marché. L'expert en question finit régulièrement par investir, siéger au conseil d'administration ou devenir mentor.

Comment est prise la décision finale d'investir dans une start-up ?

La décision se prend à l'unanimité pour s'éviter le "je te l'avais dit". On analyse toujours les dossiers à deux, avec un lead et un co-lead. Puis le comité d'investissement prend la décision finale à l'unanimité. A chaque étape du dossier en cours, on s'assure de toute façon de l'accord de l'ensemble de l'équipe.

Comment le montant est-il validé ?

Il est souvent dépendant de ce que l'entreprise nous présente : "J'ai besoin de tant à horizon X pour être rentable". On challenge le besoin de financement (assez, pas assez, beaucoup trop...). Puis les deux personnes qui travaillent sur le dossier décident combien investir : entre 100 000 et un million d'euros en premier ticket. Si l'entrepreneur a besoin de plus, on recherche une syndication. La plupart du temps, on boucle les dossiers seuls ou avec des business angels mais il arrive que l'on aille chercher un autres fonds, souvent international.

Comment fixez-vous la valorisation ?

La valorisation ne veut pas dire grand-chose en amorçage, quand la start-up n'enregistre pas de chiffre d'affaires, etc... Donc on valorise un potentiel, le "goodwill". La société prétend faire tant de chiffre d'affaires à tel horizon, et on pourra prétendre la vendre pour tant à tel horizon. On se demande quel risque on est prêt à prendre et ce qu'on est prêts à payer au vu des prévisions, du potentiel de marché et de sortie. Les deux personnes sur le dossier définissent une valorisation, sachant qu'il y a des seuils psychologiques au-delà desquels il est difficile d'aller.

Pourquoi se spécialiser dans l'amorçage ?

"Elaia prépare un nouveau closing"

En 2012, on s'est demandé si on était capable de sortir de la performance sur de l'amorçage. Or, en analysant notre premier fonds, levé en 2002 et avec lequel nous avons investi à différents stades [notamment dans Scoop.it et Criteo, ndlr], on se rend compte que même en sortant Criteo de notre analyse, ce qu'on a fait de mieux, c'est sur l'amorçage. Plus de risques, mais une récompense plus importante. Nous avons donc décidé de ne plus faire que de l'amorçage, depuis juillet 2012. C'était un challenge, mais nous sommes confiants, nous avons de très belles boites en portefeuille, à l'image de Mirakl, Teads, qui a fusionné avec eBuzzing et pour qui on présage une sortie en bourse...

Nous préparons aussi la levée d'un nouveau fonds, courant 2015, et on continuera à faire de l'amorçage parce que c'est ce qui nous anime. Nous avons d'ailleurs en ce moment même des discussions stratégiques pour savoir si nous resterons exclusivement sur ce créneau ou non.

Vos domaines de prédilection ?

Je regarde tous les business Saas, Je m'intéresse aussi beaucoup au B2C : marketplaces et applications mobiles.

Samantha Jerusalmy, 30 ans, a commencé sa carrière comme consultante au sein d'Eurogroup, cabinet de conseil en Organisation et Stratégie au département Banque et Finance. Elle travaille ensuite chez Clipperton Finance, société de Corporate Finance spécialisée high-tech et media pour toute opération haut de bilan en tant qu'analyste avant de rejoindre Elaia Partners en juillet 2008 comme chargée d'affaires. Diplômée de l'EDHEC Lille et de Loyola University of Chicago, elle est partner au sein d'Elaia Partners et siège aux conseils d'administration de 1001Menus, Ykone, Vodkaster, Cookangels, Scoop.it, Seven Academy et Carnet de mode.