Les nouvelles technologies peuvent-elles réformer l'école ?
Par le Journal du Net (Benchmark Group)
URL : http://www.journaldunet.com/tribunes/030520santini.shtml
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Mardi 20 mai 2003

par André Santini
(Ancien ministre, co-président du groupe d'étude TIC à l'Assemblée nationale, maire d'Issy-les-Moulineaux)

La récente publication de la "Lettre à tous ceux qui aiment l'école", le livre envoyé par le ministre de l'Education Nationale, Luc Ferry, aux 800.000 enseignants français, a pour principal mérite de lancer un vaste et nécessaire débat sur l'avenir de l'Education nationale. La somme des problèmes et difficultés rencontrés par le monde scolaire est si impressionnante qu'elle rappelle aux responsables politiques que l'avenir de notre pays s'écrit d'abord sur les bancs de l'école. Je regrette cependant le peu de place accordé aux technologies de l'information et de la communication dans ce débat. La réussite de l'école du 21ème siècle me semble, pourtant, étroitement liée à ces nouvelles technologies..

Je ne souhaite nullement remettre en question les priorités annoncées par le gouvernement pour restaurer l'autorité à l'école ou lutter davantage contre l'illettrisme, et l'annonce récente, par Xavier Darcos, le ministre délégué à l'enseignement scolaire, d'un nouveau train de mesures pour développer l'usage des TIC à l'école va dans le bon sens. Mais l'absence d'une profonde réflexion sur les conséquences des technologies de l'information et de la communication sur le mode de fonctionnement de l'Education nationale comme sur les enseignements quotidiens dispensés aux élèves, porte les germes d'une grave fracture pour notre société.

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C'est pour anticiper ce fossé entre les enfants disposant d'ordinateurs à la maison et ceux qui n'en ont pas les moyens, que des villes comme la mienne se sont lancées très tôt dans l'équipement de leurs établissements scolaires. Ajouter la fracture numérique à la fracture sociale serait la pire des situations pour les générations de demain. C'est d'ailleurs pour éviter cette situation que je demande inlassablement, depuis plusieurs années, l'adoption de mesures fiscales d'incitation à l'équipement informatique des français, à commencer par les familles ayant des enfants scolarisés.

Heureusement, les collectivités locales n'ont pas attendu l'Etat pour équiper leurs écoles. Sans celles-ci, la situation serait catastrophique, et nous serions dans un désert numérique. Mais équiper ne suffit pas, les technologies de l'information et de la communication doivent être intégrées au cœur même de l'enseignement. Elles ne doivent pas être perçues comme une nouvelle matière isolée des autres, mais comme un outil élémentaire, intégré à la vie scolaire, comme l'est le livre scolaire. Jusqu'à aujourd'hui, l'entrée de l'Internet dans les écoles a le plus souvent été le fait d'enseignants motivés et passionnés. Il nous faut maintenant généraliser l'utilisation d'Internet à l'école comme principal outil pédagogique.

Cela signifie que les différentes matières d'enseignement doivent prendre en compte leur version électronique, en commençant par l'enseignement des langues qui pourrait rapidement être la première matière à bannir les documents papier. Pour sortir des expérimentations et accéder enfin à la phase de généralisation, chaque école devrait se doter d'un plan d'intégration des TIC, afin d'assurer l'accès de tous les élèves aux technologies de l'information, dans le cadre d'activités disciplinaires diverses, sélectionnées par le ministère de l'Education nationale qui devra, en outre, seconder financièrement les collectivités dans leurs efforts d'équipement. De même, les efforts en matière de formation des enseignants ont été intensifiés, mais insuffisamment et trop lentement.

Encore une fois, l'équipement ne suffit pas à faire une véritable politique d'intégration des nouvelles technologies à l'école. Je revois encore un ancien ministre de l'Education brandir régulièrement ses statistiques sur le nombre d'écoles connectées à l'Internet. Mais à quoi cela sert-il si l'ordinateur reste éteint en classe ? Nous manquons d'outils d'évaluation pour mesurer concrètement si nos efforts financiers sont à la hauteur de l'utilisation des outils. Sans évaluation claire, nombreux seront les élus qui hésiteront à débloquer des fonds publics.

Si les enfants sont bien plus à l'aise que les adultes dans la manipulation du clavier et de la souris, ils ont encore besoin d'apprendre à bien naviguer sur le Web, comment se retrouver sur une toile de plusieurs millions de pages. Les enseignants sont dans leur rôle quand ils apprennent aux élèves, et pas seulement aux plus jeunes, à affûter leur sens critique et leur esprit de curiosité, en distinguant le vrai du faux, l'info essentielle de l'accessoire.

Dans ce contexte, je ne peux que me réjouir de la volonté gouvernementale de généraliser les bonnes pratiques locales, issues des très nombreuses expériences de terrain, pour permettre de mieux structurer l'offre technologique à l'école. Mais, pour parvenir à l'objectif fixé par le Premier ministre de permettre à chaque élève, à chaque enseignant et à chaque famille de disposer, en 2007, d'un accès personnel à un espace numérique de travail, nous aurons besoin de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés, à commencer par ceux du terrain. Ce dont nous avons besoin, ce sont de véritables Etats Généraux de l'école du 21ème siècle !

[asantini@assemblee-nationale.fr]

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