JDN. Avec plus de quatre années
de recul, comment expliquez-vous le succès de l'i-mode au Japon ?
Toru Hinata.
Avant tout par la simplicité d'usage :
l'i-mode est un outil qui permet de se connecter partout au réseau. Vous
pouvez envoyer et recevoir des e-mails, effectuer une recherche d'information
où vous voulez, quand vous voulez. L'i-mode ne demande pas de manipulation
complexe. Le terminal est conçu pour être utilisé naturellement, grâce
à une interface simple pour les personnes qui ne sont pas habituées à
l'informatique. C'est une révolution
comparé à l'Internet fixe sur PC où il faut commencer par allumer
l'ordinateur, se connecter au réseau puis activer un logiciel de messagerie
pour recevoir ses e-mails. Le téléphone portable permet
en plus de mélanger les médias. Si un numéro de téléphone est affiché
sur une page d'un site i-mode, l'utilisateur peut enchaîner un acte d'appel
sans changer de média. Enfin, le fait
que l'i-mode applique une facturation par paquets, et non pas à
la durée de connexion, diminue le stress des utilisateurs concernant le
niveau de dépense. Il ne faut pas oublier qu'à
l'époque du lancement de l'i-mode, l'Internet fixe et les tarifs téléphoniques
étaient très chers au Japon.
In
fine, l'i-mode ne se résume-t-il pas pour les Japonais à
un outil de communication par e-mails ?
Les chiffres disent exactement le contraire : aujourd'hui, 85 %
du trafic de paquets sur le réseau i-mode se fait sur la consultation
des sites. Seuls 15 % des paquets sont consommés pour l'échange d'e-mails.
Cette tendance montre que la demande en nouveaux contenus est très
importante sur i-mode. Un utilisateur consulte en moyenne 9,5 pages par
jour, envoie 5,2 e-mails et en reçoit 4,2. Mais en phase de lancement,
il est normal que les nouveaux abonnés se focalisent sur l'e-mail :
c'est par cette fonction que l'univers i-mode commence. Puis, petit à
petit, les abonnés commencent à visiter les sites et les services
proposés.
Quels rapports NTT
DoCoMo entretient-il avec les fournisseurs de contenu présents
sur i-mode ?
NTT DoCoMo traite les fournisseurs de contenu comme de véritables
partenaires. Avec 3 462 sites officiels et plus de 64 000 sites particuliers
au Japon, l'i-mode offre une dimension très large. Le site portail i-mode,
baptisé i-menu, répertorie ces sites par genre. Et nous sommes
conscients de la valeur ajoutée offerte par ces sites et ces services.
Pour cette raison, nous ne demandons aux fournisseurs que 9 % de
commission.
Aujourd'hui, négociez-vous
avec d'autres opérateurs étrangers l'exploitation de la licence i-mode
?
Tout à fait. L'exploitation de l'i-mode à l'étranger n'est pas
terminée...
Comment jugez-vous
le lancement i-mode réalisé en France par Bouygues Télécom ?
C'est un lancement très réussi et les stratégies
marketing utilisées par Bouygues Télécom sont très
intéressantes. Nous suivons de près l'expansion de l'i-mode
en France car Bouygues Télécom est le premier opérateur
totalement indépendant de NTT DoCoMo à se lancer dans l'i-mode.
Nous sommes en effet présents au capital de KPN et de KG Telecom,
les deux autres opérateurs qui disposent déjà d'une
offre i-mode.
Comment analysez-vous
le démarrage de votre offre 3G Foma ?
Avant tout, il faut comprendre qu'il a fallu dix ans pour installer le
réseau 2G au Japon, c'est-à-dire le PDC, l'équivalent du GSM européen.
Avec Foma, nous en sommes à moins de deux années d'existence.
Il faut donc laisser du temps au temps et ne pas chercher à comparer
l'i-mode et Foma. L'i-mode est une plate-forme de services qui fonctionne
sur PDC et sur Foma. En revanche, Foma est un nouveau réseau mobile
à part entière avec toutes les complications technologiques
que cela suppose.
Pourquoi dans ces conditions
NTT DoCoMo s'était-il fixé sur Foma des objectifs initiaux très
élevés avec 150 000 abonnés captés en six mois
et 6 millions prévus pour le printemps 2004 ?
L'attente était énorme
pour le lancement du premier réseau 3G au monde. A l'époque, on
nous avait même dit qu'il manquait un zéro à nos objectifs !
En fait, nous sommes restés très prudents car nous savions
par expérience que le rythme d'abonnement à un nouveau réseau
mobile n'est pas rapide.
Aujourd'hui, seize
mois après son lancement, Foma compte un peu plus de 200 000
abonnés. Quelles sont les causes de ce décalage par rapport
à vos objectifs initiaux ?
Avant tout, la faiblesse de la couverture du réseau. Lors du lancement,
22 % de la population japonaise était couverte. Il est inacceptable
d'utiliser un réseau qui ne permet pas d'appeler partout alors que le
réseau 2G fonctionne sur tout l'Archipel. En second lieu, les performances
des premiers terminaux laissaient à désirer avec seulement
cinquante heures d'autonomie, ce qui est faible comparé à un téléphone
PDC. En plus, le choix dans les terminaux était très réduit :
seuls trois modèles sont sortis en 2001. Il était évident que pour les
abonnés habitués à une zone de couverture large, à des terminaux
sophistiqués dotés d'une importante autonomie, revenir en arrière
était impossible.
Pour quelles raisons
NTT DoCoMo a-t-il subventionné à hauteur de 10 milliards de yens
(76,7 millions d'euros) chacun des trois constructeurs des terminaux Foma ?
Normalement, le rapport entre NTT DoCoMo et les constructeurs de terminaux
est comparable aux liens qui unissent un commerçant et ses grossites.
A l'époque du PDC, les terminaux 2G ne coûtaient pas très chers
et ont été vendus à de quantités supérieures aux
estimations. En revanche, les terminaux Foma nécessitent le développement
de logiciels très pointus pour des volumes de vente encore très
étroits. Pour accélerer et faciliter le développement des nouveaux
terminaux Foma, et accumuler un savoir-faire dans leur fabrication, nous
avons donc décidé d'aider les constructeurs.
Pourquoi
ne pas avoir repoussé le lancement commercial de Foma en attendant
que ces différents problèmes ne soient résolues ?
Il était important pour nous d'être l'opérateur pionnier
de la 3G. Le système W-CDMA, sur lequel repose Foma, demande un savoir-faire
technologique très important afin de fournir un service de qualité.
En octobre 2001, au moment du lancement commercial de Foma, nous avions
atteint la maîtrise de ce savoir-faire. Dès lors, il était
stratégique de prendre rapidement position sur le marché japonais
afin de jouer un rôle clef dans la standardisation de cette technologie
au plan mondial. Dans ces conditions, nous ne considérons pas que le lancement
de Foma a été précipité. Nous bénéficions aujourd'hui d'une place de pionnier
alors que tous les réseaux mobiles du monde se lanceront un jour ou l'autre
dans la 3G. La technologie W-CDMA appartient à NTT DoCoMo et nous pourrons
à ce titre bénéficier de la vente
de licences.
Quel est l'Arpu (Ndlr
: Average revenue per user, Revenu moyen par abonné) d'un abonné Foma
?
Pour le quatrième trimestre 2002, l'Arpu de Foma était de 7 750 yens (58,77
euros) par mois. En comparaison, l'Arpu sur le réseau PDC est de 8 200
yens (62,18 euros) par mois, dont 1 770 yens (13,42 euros) sont consacrés
à l'i-mode. Sur Foma, nous n'avons pas encore séparé l'Arpu
voix de l'Arpu data car beaucoup d'abonnés 3G utilisent parallèlement
un terminal PDC. En décembre dernier, 34 % des abonnés
Foma étaient abonnés à notre service Dual Network
qui permet d'avoir un terminal PDC et un Foma sur le même numéro.
Combien NTT DoCoMo
a-t-il investi pour le lancement de Foma ?
L'investissement initial pour le lancement de Foma a été
de 1 000 milliards de yens (7,7 milliards d'euros) sur trois ans.
La plus grande partie de l'enveloppe est consacrée au déploiement
du réseau d'émetteurs-récepteurs. Ce montant ne comprend
pas l'investissement sur la R&D, ni les charges de commercialisation des
terminaux de chaque constructeur.
Quels sont vos rapports
avec Hutchison, l'autre opérateur asiatique qui se lance dans la
3G, notamment en Europe ?
Nous sommes présents au capital d'Hutchison et nous collaborons
donc avec eux pour le déploiement de la 3G. Ce type de collaboration au
niveau local est très important car la 3G demande beaucoup d'adaptation
pays par pays. Il faut par exemple adapter la technologie au climat et
au cadre réglementaire. Pour ces raisons, nous préférons
travailler avec des opérateurs locaux en leur apportant nos solutions
technologiques.
Que pensez-vous de
l'hésitation du marché européen face à la 3G ?
Le marché du mobile de nouvelle
génération se développe étape par étape.
Une fois que le marché de la transmission de données se sera installé
en Europe, la 3G deviendra une prolongation naturelle face à la
demande croissante sur les capacités de transmission. Il ne faut pas oublier
que les licences pour les réseaux 3G ont été attribuées en Europe. Les
opérateurs européens franchiront donc le pas, c'est juste une question
de temps.
Estimez-vous
que le Wi-Fi est une technologie concurrente de la 3G ?
Non : le Wi-Fi va permettre de constituer un nouveau marché de la
transmission de données centré sur les ordinateurs portables et
sur les PDA. Le Wi-Fi sera donc complémentaire de la 3G en fonction
des usages et de la demande. Le Wi-Fi ne repose pas sur un concept de
mobilité mais permet dans des lieux donnés d'offrir une
connexion haut débit pour avoir accès à tous les
types de contenus. A l'inverse, la 3G offre des contenus plus restreints
mais permet à l'abonné d'être mobile sur une zone
de couverture très importante. Pour ces raisons, nous
travaillons aujourd'hui sur le roaming entre le réseau 3G et le Wi-Fi
afin de fournir un service qui relie les deux technologies.
Le dernier terminal Foma, équipé d'une fonction
camescope
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Comment NTT DoCoMo
imagine-t-il les futurs terminaux mobiles ?
Notre dernier terminal Foma, le P2012V, dispose d'unc écran rotatif. Il
n'est plus un simple éléphone portable, il s'apparente à une véritable
caméra vidéo. C'est un signe pour l'avenir : les futurs terminaux
auront des formes différentes selon les usages qu'ils permettent.
Certains, par exemple, ressembleront davantage à des balladeurs
et proposeront des fonctions avancées liées à la
musique. D'autres seront des mini-consoles de jeux.
Estimez-vous
que les tous les succès du marché mobile japonais sont exportables ?
Je pense que la tendance à miniaturiser les terminaux mobiles est universelle,
même si les Japonais sont souvent critiqués parce qu'ils ne ne savent
fabriquer que des petits objets ! La demande pour communiquer à tout
moment et n'importe où est également universelle. Les télécommunications
représentent un besoin global : l'i-mode n'a fait que regrouper
sur une même plate-forme le téléphone, l'Internet,
l'e-mail et - quelque part - le Minitel, qui sont quatre technologies
nées en Occident. Le succès de l'i-mode en France est très
révélateur de cette dynamique universelle. Je suis persuadé
que des services i-mode adaptés
aux goûts des Français, et qui n'existent pas au Japon, se développeront
tôt ou tard.