Didier Mathus, député socialiste de Saône-et-Loire,
a déposé la semaine dernière une proposition de loi à l'Assemblée nationale
afin que les systèmes anti-copie utilisés sur le CD des maisons ne nuisent
pas au droit à la copie privée. Didier Mathus estime que ce droit, prévu
par le Code de la propriété intellectuelle dans le cadre des exceptions
aux droits exclusifs du producteur, est aujourd'hui bafoué. Son combat rejoint
celui des associations de consommateurs, qui ont réussi à faire condamner
pour ce procédé la major EMI, mais qui ont été récemment déboutées face
à BMG et à Sony.
JDN.
Qu'est-ce qui vous a conduit à déposer cette proposition de loi ?
Didier Mathus. Ce que je souhaite, c'est
qu'on réaffirme, parce que c'est déjà écrit dans la loi de 1985, le droit
à la copie privée, et qu'on rappelle que les dispositifs du type "copy-control"
sur les CD sont parfaitement illégaux. On ne peut pas faire abstraction
de ce droit dans la réflexion sur le piratage et les droits d'auteur.
L'action unilatérale des producteurs de disque dans ce domaine est inacceptable.
Non seulement les systèmes anti-copie actuels ne sont pas compatibles
avec la loi, mais en plus, comme ils rendent les CD illisibles sur un
autoradio ou un PC, c'est une double infraction car il y a tromperie sur
la marchandise. Ce qui est choquant, c'est d'entendre dire que ces dispositions
sont marginales, alors qu'elles touchent la moitié des disques édités
en France et qu'elles ont été imposées sans la moindre discussion. Par
ailleurs, l'usager paie une taxe sur les supports vierges : il est
donc doublement perdant. C'est un mépris du consommateur qui est inadmissible.
Le procédé de "copy-control" est en fait absurde. D'une part,
il n'interdit pas le piratage à l'échelle industrielle car les pirates
peuvent aisément venir à bout du code de protection. D'autre part, il
pousse à l'illégalité : quand on ne peut pas lire son disque sur un autre
support que la chaîne hi-fi, on finit par faire un double du disque grâce
à un logiciel de peer-to-peer, pour pouvoir l'écouter. Cela produit donc
l'inverse de l'effet escompté.
Quelle
solution proposez-vous pour protéger à la fois les droits d'auteur et
le droit à la copie privée ?
La proposition de loi consiste à modifier l'article
L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, pour préciser que les
techniques de protection des droits ne peuvent avoir pour conséquence
d'interdire les copies strictement réservées à l'usage privé. Si
les producteurs veulent à tous prix imposer des dispositifs anti-copie,
il faut un système qui permette la copie privée, en gérant techniquement
le nombre de copies réalisables par le consommateur. Ensuite, il faudrait
évidemment définir par décret ou autre les limites de la copie privée.
Celle-ci étant légalement limitée au cercle familial, le chiffre de quatre
ou cinq copies me parait raisonnable. De manière globale, il faut
à la fois reconnaître la rémunération de la création et prendre acte de
la dématérialisation de la musique. Il faut donc imaginer des systèmes
de distribution de musique en ligne simples, attractifs et proposant des
prix raisonnables dans la mesure où il n'y a plus de support.
Dans un contexte où
la transposition de la directive européenne sur les droits d'auteur va
bientôt donner lieu à un projet de loi, quelle est la place de votre proposition ?
Sur la copie privée, la directive est extrêmement vague. Elle indique
seulement que ce principe existe dans certains pays européens, et que
sa transposition peut en tenir compte. Si le projet de loi du ministère
de la Culture, qui s'apprête à transposer la directive, fait le jeu des
majors, on va se retrouver avec des contradictions légales. Aujourd'hui,
il n'y a qu'un seul lobby qui s'exprime, celui des majors. La directive
européenne a d'ailleurs largement été écrite sous leur dictée, puisque
ce lobby est puissant à Bruxelles. Il faut faire entendre la voix des
usagers. Cette proposition de loi est une façon de prendre part au débat,
de rétablir la réalité, car les majors ont entretenu la confusion entre
piratage, droits d'auteur et copie privée. Ce débat, je le réclame depuis
plusieurs mois mais le gouvernement n'a toujours pas réagi. Si la proposition
de loi ne parvient pas jusqu'à l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée,
je la transformerai en amendement du projet de loi sur la transposition.
Didier Mathus est maire de Montceau-les-Mines
(Saône-et-Loire). Il est aussi membre de la commission des affaires culturelles,
vice-président de la Mission d'information commune sur la création d'une
télévision française d'information à vocation internationale, membre titulaire
du conseil d'administration de l'INA, et vice-président du groupe d'études
sur la presse.
[Raphaële Karayan, JDNet]