JDN. Que représente
Médiamétrie en chiffres aujourd'hui ?
Jacqueline Aglietta.
Médiamétrie, ce sont 600 clients, plus de 30.000 panélistes,
près de 600.00 interviews téléphoniques par an, 320 collaborateurs en
équivalent plein-temps. La société a réalisé
36,2 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2002, des résultats de
l'ordre de 2 à 3% par an, la plupart réinvestis pour améliorer les services.
Ces résultats sont la volonté des actionnaires, qui sont aussi des clients.
Nous devons faire des bénéfices chaque année, recueillir les recettes
qu'il nous faut pour financer tous nos investissements et nos développements.
Comment
Médiamétrie a-t-il été créé?
Tout a démarré en 1985, une période charnière, celle du
passage de l'audiovisuel public à un audiovisuel de plus en plus ouvert
au monde privé. Médiamétrie est née de la volonté des pouvoirs publics
que le secteur soit accompagné par une entreprise qui puisse apporter
à tous les acteurs, anciens et nouveaux, des informations communes de
qualité auxquelles ils puissent tous se référer pour évaluer
leurs performances propres et leurs performances comparées. Il fallait
un organisme crédible et qui soit évidemment entre les mains de professionnels.
Sa structure juridique et capitalistique a été conçue en fonction de cette
vocation. Ses actionnaires se répartissent en trois grandes familles :
les télévisions (35%), les publicitaires et annonceurs (35%), les autres
30% étant principalement les stations de radio. Ce sont les professionnels
qui, sur la base de propositions de Médiamétrie, décident des évolutions
des outils de mesure et des services à leur disposition. C'est donc toute
une organisation basée autour de la concertation, du consensus, de la
co-gestion, les pouvoirs étant très équilibrés pour que les conditions
d'objectivité et de crédibilité soient réunies.
A l'origine, qui a
demandé cette présence des clients dans le capital ?
C'était un projet des pouvoirs publics et c'est l'Etat
qui a créé cette société par la privatisation d'un service
public, le CEO [NDLR : Centre d'étude d'opinion], un service interne
à l'audiovisuel public qui établissait déjà des mesures d'audience de
la radio et de la télévision. Les pouvoirs publics ont privatisé ce service
afin que les actionnaires en soient les principaux clients et qu'il y
ait une véritable osmose entre les clients et Médiamétrie.
Qu'estimez-vous apporter
au secteur des médias ?
J'ai coutume de dire que la mesure d'audience est comme
une monnaie commune. Or, pour qu'elle fonctionne, une monnaie doit être
unique, reconnue et crédible. Nous apportons à ce secteur une des composantes
de son fonctionnement économique : des informations permettant aux éditeurs
de programmes de savoir dans quelle mesure leurs programmes sont regardés,
écoutés ou consultés, quel est le public touché, comment valoriser les
espaces publicitaires, quel est l'intérêt ou l'attachement des abonnés
Bref toute une mécanique de marketing publicitaire, éditorial, relationnel
dont l'évaluation se fait à partir de nos mesures d'audience.
Etre une référence,
cela comporte parfois des risques...
Ce n'est pas facile d'être acteur unique, car il faut être
de haute qualité. On ne peut accéder à ce statut de référence que par
la qualité du service qu'on va rendre, grâce à une véritable rigueur scientifique.
Réussir à rassembler suppose un certain savoir-faire. Médiamétrie a acquis
depuis plusieurs années cette compétence à fédérer, réunir et écouter,
même si à certains moments, il faut trancher. Et si nous essayons presque
toujours de tendre à l'unanimité, nous n'y arrivons pas toujours.
Sur chacun des secteurs, il y a beaucoup d'acteurs et il y en a de plus
en plus. Bien sûr, tout le monde n'a pas vocation à être autour de la
table, mais c'est déjà une première difficulté de sélectionner ceux qui
vont co-gérer avec nous. Et autour de la table, toutes les sociétés
sont concurrentes entre elles par définition. C'est à la fois notre force
et notre faiblesse, mais je considère que c'est formidable d'être observateur
et acteur de la croissance de chacun des médias. Médiamétrie doit
jouer pleinement ce rôle de tiers de confiance. Confiance à tous points
de vue d'ailleurs.
Réunir autour d'une
même table des concurrents et leur faire prendre des décisions ensemble
demande quelles compétences ?
Des qualités d'écoute, mais aussi une volonté de comprendre
les métiers de chacun. Leur faire accepter, à partir d'une certaine maturité
du domaine, que leur intérêt - pas le nôtre-, est de se mettre d'accord
sur des standards communs, des références communes, des définitions communes
en fonction desquelles ils vont s'évaluer les uns les autres et progresser.
Nous sommes et nous devons être considérés comme des partenaires. Bien
sûr, il y a le savoir-faire, mais c'est aussi une attitude.
Ce n'est donc pas une
question d'excellence scientifique ?
Pas uniquement. C'est aussi une affaire de relationnel.
Nous avons envie que les secteurs progressent, cela prouve que nous avons
participé à leur développement. Notre plus beau cadeau, c'est que la publicité
marche bien, que des auditeurs ou visiteurs soient de plus en plus nombreux,
que le commerce électronique se développe. Tout ça passe par des règles,
et nous sommes là pour établir ces règles, ces normes, cette déontologie.
On ne peut pas faire n'importe quoi avec les mesures.
Les polémiques sont-elles
inhérentes à votre métier ?
Il y aura toujours des crises. Je pense qu'on peut mieux
les anticiper, mais il y a des moments où les crises sont inéluctables,
même si on essaie quand même de les éviter !
De toutes façons,
il est de plus en plus difficile de se fâcher avec Médiamétrie
Oui, j'espère (rires). Mais sachez que nous essayons de
tout faire pour que nos clients comprennent notre métier et qu'ils nous
considèrent à leur coté. Nous fonctionnons plus sur le mode du partenariat
que sur le mode de la confrontation.
Sans entrer dans les
détails techniques, comment pouvez-vous améliorer vos outils ?
Nous avons des comités, qui fonctionnent comme des conseils
d'administration. Ce ne sont pas des réunions techniques, mais plutôt
stratégiques et politiques. Là, nous sommes en permanence en position
d'offre et de demande. Nous sommes en rapport quotidien avec nos clients,
nous connaissons leurs difficultés, leurs besoins, leurs envies, nous
étudions leurs souhaits ad hoc ou les sujets qui peuvent devenir d'intérêt
commun et remontent en comité. Nous n'imaginons pas de modifier un outil
ou un service sans que l'ensemble des membres soient au courant et nous
devons traiter tout le monde de la même façon. Des comités, il y en a
un tous les trois mois environ pour chaque média. C'est prenant
Quelle est l'historique
de votre activité dans l'Internet ?
Un secteur était en train de naître sur le plan économique
et il fallait pouvoir suivre la pénétration de ce nouveau média dans le
public. Nos actionnaires, qui étaient eux-mêmes impliqués dans ces développements,
nous ont donné comme objectif stratégique d'être la référence sur
tous les nouveaux supports. La première étude que nous avons lancée,
en 1996 s'appelait la 24.000 Multimédia, une grande enquête de suivi de
la pénétration de l'Internet et des nouveaux médias [NDLR :
qui s'appelle aujourdhui les Baromêtres Multimédia].
Deux ans plus tard, nous avons développé le premier instrument de suivi
du trafic des sites, Cybermétrie. Ensuite, en 1999, nous savions qu'il
fallait développer une mesure plus qualitative que le trafic, et ça supposait
une mesure par panel.
Pourquoi avez-vous
décidé de collaborer avec Nielsen ?
Ils avaient déjà un panel développé par NetRatings, donc
autant passer un accord au terme duquel Médiamétrie en serait l'opérateur
pour la France. Nous avons créé une filiale commune à 50/50 de façon à
bénéficier de leur technologie. Le panel a été mis en place en 2000, il
est complémentaire des mesures site-centric de Cybermétrie, et
bénéficie de la base d'informations structurelles apportée par les Baromêtres
Multimédia.
Avec le recul, que
feriez-vous différemment ?
Au risque d'être un peu prétentieuse, je trouve que nous
avons bien fait les choses. Il fallait au début un outil de base de statistiques.
Les mesures site-centric étaient aussi indispensables, même si je n'avais
pas conscience à l'époque de leur potentiel. Quant à notre association
avec Nielsen, nous aurions pu choisir un autre partenaire, mais depuis,
ils ont disparu
Nous avons eu un peu de chance, mais la chance, ça se
cultive. Du coup, rétrospectivement, ce que nous avons fait, nous l'avons
bien fait. Les fondamentaux sont excellents et nous sommes armés pour
l'avenir.
Comment analysez-vous
l'évolution de l'Internet par rapport aux autres médias ?
Dans la télévision ou la radio, la mesure d'audience ne
s'est pas faite en un jour. Même en télévision, il a fallu un certain
temps pour que les mesures deviennent ce qu'elles sont aujourd'hui : Médiamétrie
n'est devenue le seul acteur de la mesure du marché télé qu'à la fin de
la Cinq en 1992. Donc il ne faut pas s'étonner qu'en matière d'Internet
les choses aient été chaotiques
Se mettre d'accord sur des outils et
des références communs n'est pas naturel, il faut une certaine maturité,
comprendre qu'on est plus puissant ensemble que chacun séparément.
Avez-vous été tentée
de renoncer?
Non, je ne me suis jamais dit "on arrête". Mais nous avons
nous aussi diminué nos investissements, nos coûts pendant deux ans. Nous
avions moins de commerciaux et arrêté les investissements de développement.
Et puis au dernier trimestre 2002, on s'est dit "on repart , on recommence
à investir, on recrute, on fait une nouvelle équipe".
Qu'est-ce qui vous
a décidé ?
Ce sont les feux verts que nous avons relevés du coté de
nos clients, sinon sur la publicité, du moins sur le commerce électronique,
le marketing relationnel. Le fait aussi que nos clients deviennent demandeurs
de règles de déontologie, de communication et que nous les aidions à s'organiser.
Au comité Internet, qui n'a, il faut bien le dire, pas bien marché les
premières années, il y a eu depuis une prise de conscience qu'un marché,
ça s'organise, et que c'était aux décisionnaires
d'intervenir. Je l'ai senti à partir de l'année dernière. C'est aussi
à ce moment-là que nous avons décidé de bâtir
une organisation commerciale à la hauteur des interlocuteurs.
Pourquoi avez-vous
changé une partie des équipes, et notamment remplacé François
Blum par François-Xavier Hussherr ?
Cela correspond à l'affirmation d'une stratégie de développement.
Il y a des hommes ou des femmes qui sont bien à un moment donné, et puis
pour une nouvelle phase de développement, il faut une équipe nouvelle.
Et en quoi l'attitude
de vos interlocuteurs a-t-elle changé ?
Le niveau des intervenants est monté, ce qui pour moi est
significatif d'une prise de conscience de l'importance politique et stratégique
de la définition de normes communes, de règles du jeu.
C'est un signe de maturité
du secteur ?
Oui. Mais c'est un secteur que je trouve difficile, presque
plus que d'autres parce que l'Internet est un support très fragmenté,
très éclaté et techniquement complexe. Et puis, même si le secteur va
mieux, ce n'est pas encore byzance.
Quels sont les projets
majeurs pour cette année ?
Continuer à développer le panel Nielsen/NetRatings et améliorer
le service, tout simplement.
Cela passe par un agrandissement
du panel ?
Non, parce qu'aujourd'hui, c'est un des plus gros panels,
plus grand que le panel télé, avec environ 10.000 internautes. Nous souhaitons
surtout améliorer les fonctionnalités, proposer d'ici à la fin de l'année
des regroupements non plus par Url mais par entités marketing, la possibilité
de mesurer outre les protocoles Web, tous les protocoles de messagerie
et autres.
Le deuxième chantier, qui est même le plus important, va être de développer
l'outil site-centric, parce que nous savons maintenant qu'il est vraiment
un outil d'avenir, notamment parce qu'il couvre tous les lieux de connexion
et permet de répondre aux besoins de tous les sites, petits et grands,
alors que le panel ne peut couvrir que les plus gros.
Notre chantier ultime est le rapprochement entre la mesure site-centric
et la mesure par panel, parce que nous pensons que d'ici un an, nous aurons
mis au point un système d'information cohérent et complémentaire. Il faut
rapprocher ces deux mesures pour en faire un système complet utilisant
le meilleur de chacun. Cela devrait être au point à la fin de l'année
et opérationnel en 2004.
La demande des clients
va-t-elle évoluer vers plus de quantitatif ou plus de qualitatif ?
Le quantitatif pur, ça n'existe plus vraiment. On va de
plus en plus vers du qualitatif, mais du "qualitatif quantifié", basé
sur des faits et non sur opinions. Nous ne sommes pas dans l'opinion,
nous analysons très finement le public de telle ou telle émission, son
cheminement d'un programme à l'autre. C'est pour cela que nous avons élargi
notre discours et que nous parlons de mesure d'audience et de performance.
Nous voulons réaliser une qualification très fine de l'audience. Sur un
site Web, par exemple, avec du site centric, on peut regarder comment
les gens se déplacent à l'intérieur du site. Ce n'est pas seulement "combien",
c'est aussi "comment".
En matière de suivi
publicitaire sur Internet, justement, qu'avez-vous à proposer au moment
où tout le monde ne rêve que d'attirer les "annonceurs traditionnels"?
A une époque, ces gens-là se sont dit qu'Internet était
un univers à part. Mais plus ça va, plus il ressemble aux autres. Comme
en télévision ou en radio, nous allons par exemple mettre en ligne des
bases de données permettant de faire du mediaplanning et calculer du GRP.
Le rôle de Médiamétrie n'est pas de calculer le GRP, mais de proposer
les données de base pour le faire. Dans l'Internet, on est encore dans
la phase où un certain nombre d'agences ont investi beaucoup pour montrer
leurs compétences et leur système. Comme ça a été le cas pour la radio,
il va falloir attendre un peu avant qu'un modèle s'impose, ou plutôt que
les méthodes s'harmonisent. C'est vrai que Médiamétrie est particulièrement
bien placée dans ce cadre-là , puisque nous avons la chance d'avoir une
vision sur tous les médias électroniques. L'objectif est de bien répondre
aux besoins de l'Internet, mais certains de ces besoins sont communs à
la télévision et à la radio. L'annonceur sera intéressé d'avoir une vision
transversale des choses, mais pas forcément d'additionner les contacts
télé, radio et Internet, car on ne peut pas simplement les
additionner. Là-dessus on en a encore pour dix ans! Mais un des objectifs
stratégiques de Médiamétrie à moyen terme est de pouvoir étudier de façon
transversale le public et sa consommation des médias.
Qu'aimez-vous sur internet
?
Les aspects pratiques : la recherche d'hôtels, de voyage
sur le site de la Sncf, l'achat de livres sur le site de la Fnac.
Et que n'aimez-vous
pas ?
Les contenus illicites - même si je ne les consulte pas
! - et le piratage. Et puis tout ce qu'on reçoit dans les mails, tout
ce qui passe malgré le filtrage.