INTERVIEW
 
PDG
Médiamétrie
Jacqueline Aglietta
"La mesure d'audience est comme une monnaie commune : elle doit être unique, reconnue et crédible"
Le marché de la mesure d'audience Internet a connu une année 2002 pour le moins chahutée. Médiamétrie//NetRatings en est désormais l'acteur majeur en France. Une position de leader que connaît bien Médiamétrie, qui occupe la même position dans la mesure d'audience télé et radio. Jacqueline Aglietta, qui dirige Médiamétrie depuis sa création, explique la stratégie et les méthodes de l'institut, et analyse les spécificités et perspectives du média Internet. 18 avril 2003
 
          
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Mediametrie.fr

JDN. Que représente Médiamétrie en chiffres aujourd'hui ?
Jacqueline Aglietta. Médiamétrie, ce sont 600 clients, plus de 30.000 panélistes, près de 600.000 interviews téléphoniques par an, 320 collaborateurs en équivalent plein-temps. La société a réalisé 36,2 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2002, des résultats de l'ordre de 2 à 3% par an, la plupart réinvestis pour améliorer les services. Ces résultats sont la volonté des actionnaires, qui sont aussi des clients. Nous devons faire des bénéfices chaque année, recueillir les recettes qu'il nous faut pour financer tous nos investissements et nos développements.

Comment Médiamétrie a-t-il été créé?
Tout a démarré en 1985, une période charnière, celle du passage de l'audiovisuel public à un audiovisuel de plus en plus ouvert au monde privé. Médiamétrie est née de la volonté des pouvoirs publics que le secteur soit accompagné par une entreprise qui puisse apporter à tous les acteurs, anciens et nouveaux, des informations communes de qualité auxquelles ils puissent tous se référer pour évaluer leurs performances propres et leurs performances comparées. Il fallait un organisme crédible et qui soit évidemment entre les mains de professionnels. Sa structure juridique et capitalistique a été conçue en fonction de cette vocation. Ses actionnaires se répartissent en trois grandes familles : les télévisions (35%), les publicitaires et annonceurs (35%), les autres 30% étant principalement les stations de radio. Ce sont les professionnels qui, sur la base de propositions de Médiamétrie, décident des évolutions des outils de mesure et des services à leur disposition. C'est donc toute une organisation basée autour de la concertation, du consensus, de la co-gestion, les pouvoirs étant très équilibrés pour que les conditions d'objectivité et de crédibilité soient réunies.

A l'origine, qui a demandé cette présence des clients dans le capital ?
C'était un projet des pouvoirs publics et c'est l'Etat qui a créé cette société par la privatisation d'un service public, le CEO [NDLR : Centre d'étude d'opinion], un service interne à l'audiovisuel public qui établissait déjà des mesures d'audience de la radio et de la télévision. Les pouvoirs publics ont privatisé ce service afin que les actionnaires en soient les principaux clients et qu'il y ait une véritable osmose entre les clients et Médiamétrie.

Qu'estimez-vous apporter au secteur des médias ?
J'ai coutume de dire que la mesure d'audience est comme une monnaie commune. Or, pour qu'elle fonctionne, une monnaie doit être unique, reconnue et crédible. Nous apportons à ce secteur une des composantes de son fonctionnement économique : des informations permettant aux éditeurs de programmes de savoir dans quelle mesure leurs programmes sont regardés, écoutés ou consultés, quel est le public touché, comment valoriser les espaces publicitaires, quel est l'intérêt ou l'attachement des abonnés… Bref toute une mécanique de marketing publicitaire, éditorial, relationnel dont l'évaluation se fait à partir de nos mesures d'audience.

Etre une référence, cela comporte parfois des risques...
Ce n'est pas facile d'être acteur unique, car il faut être de haute qualité. On ne peut accéder à ce statut de référence que par la qualité du service qu'on va rendre, grâce à une véritable rigueur scientifique. Réussir à rassembler suppose un certain savoir-faire. Médiamétrie a acquis depuis plusieurs années cette compétence à fédérer, réunir et écouter, même si à certains moments, il faut trancher. Et si nous essayons presque toujours de tendre à l'unanimité, nous n'y arrivons pas toujours. Sur chacun des secteurs, il y a beaucoup d'acteurs et il y en a de plus en plus. Bien sûr, tout le monde n'a pas vocation à être autour de la table, mais c'est déjà une première difficulté de sélectionner ceux qui vont co-gérer avec nous. Et autour de la table, toutes les sociétés sont concurrentes entre elles par définition. C'est à la fois notre force et notre faiblesse, mais je considère que c'est formidable d'être observateur et acteur de la croissance de chacun des médias. Médiamétrie doit jouer pleinement ce rôle de tiers de confiance. Confiance à tous points de vue d'ailleurs.

Réunir autour d'une même table des concurrents et leur faire prendre des décisions ensemble demande quelles compétences ?
Des qualités d'écoute, mais aussi une volonté de comprendre les métiers de chacun. Leur faire accepter, à partir d'une certaine maturité du domaine, que leur intérêt - pas le nôtre-, est de se mettre d'accord sur des standards communs, des références communes, des définitions communes en fonction desquelles ils vont s'évaluer les uns les autres et progresser. Nous sommes et nous devons être considérés comme des partenaires. Bien sûr, il y a le savoir-faire, mais c'est aussi une attitude.

Ce n'est donc pas une question d'excellence scientifique ?
Pas uniquement. C'est aussi une affaire de relationnel. Nous avons envie que les secteurs progressent, cela prouve que nous avons participé à leur développement. Notre plus beau cadeau, c'est que la publicité marche bien, que des auditeurs ou visiteurs soient de plus en plus nombreux, que le commerce électronique se développe. Tout ça passe par des règles, et nous sommes là pour établir ces règles, ces normes, cette déontologie. On ne peut pas faire n'importe quoi avec les mesures.

Les polémiques sont-elles inhérentes à votre métier ?
Il y aura toujours des crises. Je pense qu'on peut mieux les anticiper, mais il y a des moments où les crises sont inéluctables, même si on essaie quand même de les éviter !

De toutes façons, il est de plus en plus difficile de se fâcher avec Médiamétrie…
Oui, j'espère (rires). Mais sachez que nous essayons de tout faire pour que nos clients comprennent notre métier et qu'ils nous considèrent à leur coté. Nous fonctionnons plus sur le mode du partenariat que sur le mode de la confrontation.

Sans entrer dans les détails techniques, comment pouvez-vous améliorer vos outils ?
Nous avons des comités, qui fonctionnent comme des conseils d'administration. Ce ne sont pas des réunions techniques, mais plutôt stratégiques et politiques. Là, nous sommes en permanence en position d'offre et de demande. Nous sommes en rapport quotidien avec nos clients, nous connaissons leurs difficultés, leurs besoins, leurs envies, nous étudions leurs souhaits ad hoc ou les sujets qui peuvent devenir d'intérêt commun et remontent en comité. Nous n'imaginons pas de modifier un outil ou un service sans que l'ensemble des membres soient au courant et nous devons traiter tout le monde de la même façon. Des comités, il y en a un tous les trois mois environ pour chaque média. C'est prenant…

Quelle est l'historique de votre activité dans l'Internet ?
Un secteur était en train de naître sur le plan économique et il fallait pouvoir suivre la pénétration de ce nouveau média dans le public. Nos actionnaires, qui étaient eux-mêmes impliqués dans ces développements, nous ont donné comme objectif stratégique d'être la référence sur tous les nouveaux supports. La première étude que nous avons lancée, en 1996 s'appelait la 24.000 Multimédia, une grande enquête de suivi de la pénétration de l'Internet et des nouveaux médias [NDLR : qui s'appelle aujourdhui les Baromêtres Multimédia]. Deux ans plus tard, nous avons développé le premier instrument de suivi du trafic des sites, Cybermétrie. Ensuite, en 1999, nous savions qu'il fallait développer une mesure plus qualitative que le trafic, et ça supposait une mesure par panel.

Pourquoi avez-vous décidé de collaborer avec Nielsen ?
Ils avaient déjà un panel développé par NetRatings, donc autant passer un accord au terme duquel Médiamétrie en serait l'opérateur pour la France. Nous avons créé une filiale commune à 50/50 de façon à bénéficier de leur technologie. Le panel a été mis en place en 2000, il est complémentaire des mesures site-centric de Cybermétrie, et bénéficie de la base d'informations structurelles apportée par les Baromêtres Multimédia.

Avec le recul, que feriez-vous différemment ?
Au risque d'être un peu prétentieuse, je trouve que nous avons bien fait les choses. Il fallait au début un outil de base de statistiques. Les mesures site-centric étaient aussi indispensables, même si je n'avais pas conscience à l'époque de leur potentiel. Quant à notre association avec Nielsen, nous aurions pu choisir un autre partenaire, mais depuis, ils ont disparu… Nous avons eu un peu de chance, mais la chance, ça se cultive. Du coup, rétrospectivement, ce que nous avons fait, nous l'avons bien fait. Les fondamentaux sont excellents et nous sommes armés pour l'avenir.

Comment analysez-vous l'évolution de l'Internet par rapport aux autres médias ?
Dans la télévision ou la radio, la mesure d'audience ne s'est pas faite en un jour. Même en télévision, il a fallu un certain temps pour que les mesures deviennent ce qu'elles sont aujourd'hui : Médiamétrie n'est devenue le seul acteur de la mesure du marché télé qu'à la fin de la Cinq en 1992. Donc il ne faut pas s'étonner qu'en matière d'Internet les choses aient été chaotiques… Se mettre d'accord sur des outils et des références communs n'est pas naturel, il faut une certaine maturité, comprendre qu'on est plus puissant ensemble que chacun séparément.

Avez-vous été tentée de renoncer?
Non, je ne me suis jamais dit "on arrête". Mais nous avons nous aussi diminué nos investissements, nos coûts pendant deux ans. Nous avions moins de commerciaux et arrêté les investissements de développement. Et puis au dernier trimestre 2002, on s'est dit "on repart , on recommence à investir, on recrute, on fait une nouvelle équipe".

Qu'est-ce qui vous a décidé ?
Ce sont les feux verts que nous avons relevés du coté de nos clients, sinon sur la publicité, du moins sur le commerce électronique, le marketing relationnel. Le fait aussi que nos clients deviennent demandeurs de règles de déontologie, de communication et que nous les aidions à s'organiser. Au comité Internet, qui n'a, il faut bien le dire, pas bien marché les premières années, il y a eu depuis une prise de conscience qu'un marché, ça s'organise, et que c'était aux décisionnaires d'intervenir. Je l'ai senti à partir de l'année dernière. C'est aussi à ce moment-là que nous avons décidé de bâtir une organisation commerciale à la hauteur des interlocuteurs.

Pourquoi avez-vous changé une partie des équipes, et notamment remplacé François Blum par François-Xavier Hussherr ?
Cela correspond à l'affirmation d'une stratégie de développement. Il y a des hommes ou des femmes qui sont bien à un moment donné, et puis pour une nouvelle phase de développement, il faut une équipe nouvelle.

Et en quoi l'attitude de vos interlocuteurs a-t-elle changé ?
Le niveau des intervenants est monté, ce qui pour moi est significatif d'une prise de conscience de l'importance politique et stratégique de la définition de normes communes, de règles du jeu.

C'est un signe de maturité du secteur ?
Oui. Mais c'est un secteur que je trouve difficile, presque plus que d'autres parce que l'Internet est un support très fragmenté, très éclaté et techniquement complexe. Et puis, même si le secteur va mieux, ce n'est pas encore byzance.

Quels sont les projets majeurs pour cette année ?
Continuer à développer le panel Nielsen/NetRatings et améliorer le service, tout simplement.

Cela passe par un agrandissement du panel ?
Non, parce qu'aujourd'hui, c'est un des plus gros panels, plus grand que le panel télé, avec environ 10.000 internautes. Nous souhaitons surtout améliorer les fonctionnalités, proposer d'ici à la fin de l'année des regroupements non plus par Url mais par entités marketing, la possibilité de mesurer outre les protocoles Web, tous les protocoles de messagerie et autres.
Le deuxième chantier, qui est même le plus important, va être de développer l'outil site-centric, parce que nous savons maintenant qu'il est vraiment un outil d'avenir, notamment parce qu'il couvre tous les lieux de connexion et permet de répondre aux besoins de tous les sites, petits et grands, alors que le panel ne peut couvrir que les plus gros.
Notre chantier ultime est le rapprochement entre la mesure site-centric et la mesure par panel, parce que nous pensons que d'ici un an, nous aurons mis au point un système d'information cohérent et complémentaire. Il faut rapprocher ces deux mesures pour en faire un système complet utilisant le meilleur de chacun. Cela devrait être au point à la fin de l'année et opérationnel en 2004.

La demande des clients va-t-elle évoluer vers plus de quantitatif ou plus de qualitatif ?
Le quantitatif pur, ça n'existe plus vraiment. On va de plus en plus vers du qualitatif, mais du "qualitatif quantifié", basé sur des faits et non sur opinions. Nous ne sommes pas dans l'opinion, nous analysons très finement le public de telle ou telle émission, son cheminement d'un programme à l'autre. C'est pour cela que nous avons élargi notre discours et que nous parlons de mesure d'audience et de performance. Nous voulons réaliser une qualification très fine de l'audience. Sur un site Web, par exemple, avec du site centric, on peut regarder comment les gens se déplacent à l'intérieur du site. Ce n'est pas seulement "combien", c'est aussi "comment".

En matière de suivi publicitaire sur Internet, justement, qu'avez-vous à proposer au moment où tout le monde ne rêve que d'attirer les "annonceurs traditionnels"?
A une époque, ces gens-là se sont dit qu'Internet était un univers à part. Mais plus ça va, plus il ressemble aux autres. Comme en télévision ou en radio, nous allons par exemple mettre en ligne des bases de données permettant de faire du mediaplanning et calculer du GRP. Le rôle de Médiamétrie n'est pas de calculer le GRP, mais de proposer les données de base pour le faire. Dans l'Internet, on est encore dans la phase où un certain nombre d'agences ont investi beaucoup pour montrer leurs compétences et leur système. Comme ça a été le cas pour la radio, il va falloir attendre un peu avant qu'un modèle s'impose, ou plutôt que les méthodes s'harmonisent. C'est vrai que Médiamétrie est particulièrement bien placée dans ce cadre-là , puisque nous avons la chance d'avoir une vision sur tous les médias électroniques. L'objectif est de bien répondre aux besoins de l'Internet, mais certains de ces besoins sont communs à la télévision et à la radio. L'annonceur sera intéressé d'avoir une vision transversale des choses, mais pas forcément d'additionner les contacts télé, radio et Internet, car on ne peut pas simplement les additionner. Là-dessus on en a encore pour dix ans! Mais un des objectifs stratégiques de Médiamétrie à moyen terme est de pouvoir étudier de façon transversale le public et sa consommation des médias.

Qu'aimez-vous sur internet ?
Les aspects pratiques : la recherche d'hôtels, de voyage sur le site de la Sncf, l'achat de livres sur le site de la Fnac.

Et que n'aimez-vous pas ?
Les contenus illicites - même si je ne les consulte pas ! - et le piratage. Et puis tout ce qu'on reçoit dans les mails, tout ce qui passe malgré le filtrage.

 
Propos recueillis par François Bourboulon

PARCOURS
 
Jacqueline Aglietta est diplômée de l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE). Elle a débuté à la Sofres comme responsable d'études, puis comme co-directeur, chargée en particulier du développement des activités économiques de l'institut dans le domaine des médias (télévision, radio, presse magazine et quotidienne), ainsi que des grandes entreprises et des ministères. Directeur général de l'Institut BVA de 1980 à 1985, elle devient en avril 1985, PDG de Médiamétrie, à sa création.

   
 
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