JDN. Qui est Arthur
D. Little ?
Ignacio Garcia Alves.
Arthur D. Little est le plus ancien cabinet de conseil au monde. Nous
sommes nés au coeur de la vieille économie, en 1886... Nous sommes présents
en France depuis 1968.
Et quelles sont vos
spécificités ?
Trois choses caractérisent Arthur D. Little. D'abord,
nous sommes des puristes du métier. Pour nous, l'indépendance du conseil
est extrêmement importante. Nous y tenons pour pouvoir nous prononcer
librement sur tous les sujets. Nous voulons nous concentrer sur le conseil
en stratégie et management. Ainsi, nous ne faisons pas de conseil
en système d'information, afin de nous préserver des conflits
d'intérêt liés aux aspects de mise en uvre technique
par exemple. Nous sommes même prêts à aller parfois à contre-courant,
comme nous l'avons fait par exemple sur l'UMTS en 1999. Deuxième point
: nous avons une forte affinité avec la technologie dans nos différents
secteurs. Nous avons des laboratoires, ce qui est assez rare pour un cabinet
de conseil en stratégie, qui travaillent notamment sur les mobiles. Nous
pouvons nous appuyer sur leurs travaux pour faire le tri entre le mythe
de la technologie et la réalité. Enfin, nous gardons un esprit de pionniers.
Cela semble un peu ambitieux, mais nous aimons les sujets à la frontière
du nouveau monde. Certains cabinets préfèrent faire des choses plus répétitives,
car plus lucratives : une mission de réduction des coûts, quand vous en
avez fait une, vous en faites deux, trois, etc.
Nous, nous sommes des
aventuriers de la pensée plutôt qu'un cabinet "industriel".
Avez-vous
un exemple précis ?
Sur tout ce qui concerne le mobile, nous détenons à peu
près 50 % des "due diligences", des financements de projets.
A chaque fois, Arthur D. Little est soit à l'origine de la licence en
ayant accompagné le client, soit à l'origine du financement. Le premier
chipset Bluetooth a ainsi été développé par nos laboratoires.
D'où vient cette inclinaison
technologique ?
Arthur Déhon Little était un chercheur au MIT. Quand
il a créé le cabinet, sa première activité a été la recherche contractuelle,
notamment dans la chimie. C'est un des premiers à avoir dit qu'il fallait
industrialiser la recherche, l'organiser en projets. Ensuite, le cabinet
s'est diversifié dans les années 30 dans le conseil en stratégie. Nous
sommes entrés en Europe dans les années 60 et l'Europe a dépassé les Etats-Unis.
Que représente Arthur
D. Little en chiffres ?
C'est 1.300 personnes dans une trentaine de pays, avec
une présence sur tous les continents et une activité dans presque tous
les secteurs. En France, c'est 60 consultants et au total un peu moins
de 80 personnes. Nous ne communiquons pas sur nos résultats. Mais malgré
la conjoncture très difficile, presque tous les bureaux ont été rentables.
Pourquoi avez-vous
rejoint Altran Technologies l'an dernier?
A la fin 2001 s'est présentée opportunité
de réaliser un RES sur l'activité de conseil en stratégie et tous
les partners ont soumis une offre de rachat, en se posant la question
du financement. Altran s'est alors intéressé à cette idée et a proposé
de financer le projet et de conclure une alliance. C'est ce qui a été
fait en avril 2002.
Quel périmètre était
concerné très exactement ?
Uniquement la partie de conseil en stratégie. Nous avons
racheté la marque sur tous les continents. En revanche, nous avons laissé
aux Etats-Unis les activités de conseil très spécialisé dans l'énergie,
l'économétrie de l'énergie, le conseil en environnement et risque, ainsi
que le conseil au gouvernement et aux militaires américains. De même,
nous n'avons pas repris l'activité de capital-risque, très consommatrice
de ressources.
Et les laboratoires
?
Nous n'avons pas gardé ceux des Etats-Unis, juste les laboratoires
européens.
Et aujourd'hui, qui
dirige Arthur D. Little ?
C'est un partnership des patrons des bureaux, qui co-dirigent
au niveau mondial cette activité. C'est très collégial. Et l'actionnaire
Altran est assez présent dans ce management.
Comment fonctionne
la collaboration avec Altran ? Y a-t-il des passerelles ou des synergies
?
Le modèle qui nous a séduits chez Altran, et vice-versa,
c'est qu'ils nous ont garanti qu'Arthur D. Little resterait indépendant.
Nous avons pris des garanties en ce sens, non pas parce que nous n'aimons
pas être mélangés à d'autres, mais parce que c'est important pour nous.
Si nous avons besoin de quelqu'un chez eux, nous allons leur demander,
mais il n'y a aucune obligation d'un côté ou de l'autre de vendre
des services mutuels. Altran nous apporte l'accès, si on le souhaite,
aux compétences de leurs 18.000 consultants. Au final, les promesses ont
été tenues et il y a un esprit d'émulation intéressant, avec notre culture
très forte et très ancienne et une culture plus jeune.
On sait que tout rapprochement
ne se fait jamais en un clin d'il. Où reste-t-il des progrès à faire
?
Altran ne cherche pas forcément à nous intégrer. Ce qui
demande un peu de temps, c'est d'arriver à mieux connaître nos potentiels
chez Altran, travailler ensemble sur des projets et créer des réflexes
naturels. Pour le reste, je crois que la grande sagesse d'Altran a été
de laisser Arthur D. Little faire son métier et l'aider à être encore
plus performant. Chez ceux qui ont vraiment fusionné, comme Cap Gemini
et Ernst & Young par exemple, il y a eu une volonté de coller les deux
sociétés, et ça ne s'est en général pas très bien passé. Il y a toujours
un modèle qui va s'imposer à un autre modèle. Là, ce sont plutôt des frères
qu'un mariage forcé.
Vous insistez beaucoup
sur l'identité Arthur D. Little En terme de recrutement, cherchez-vous
des profils différents ?
Ce que nous cherchons dans les gens, c'est qu'ils soient
passionnés. Qu'ils soient techniquement très compétents mais qu'ils aient
aussi envie d'explorer, qu'ils soient différents. Vous ne pouvez pas être
rebelle et indépendant si vous avez des moutons dans votre équipe. C'est
plus difficile à gérer, car si en général les consultants sont des gens
intelligents, d'un très haut niveau, nous aimons en plus qu'ils cultivent
cet esprit rebelle, sans être arrogants. Du coup, il est difficile de
rentrer chez Arthur D. Little, mais aussi difficile d'en partir. Aujourd'hui
en 2003, ce aspect est très valorisé par les clients, alors qu'il y a
deux ou trois ans, c'est celui qui suivait le courant qui se portait très
bien dans le conseil.
Mais dans la période
actuelle, vos clients n'ont-ils pas besoin aussi d'être rassurés ?
Dire ce qu'on pense et penser ce qu'on dit ne signifie
pas être ingérable. Au contraire, nous rassurons nos clients parce que
nos gens sont très terre-à-terre, ont accès à la technologie, connaissent
très bien les secteurs et peuvent dire très rapidement au client s'il
est sur la bonne voie ou pas. Aujourd'hui, ce qui manque au client, c'est
la visibilité. On est dans le brouillard le plus total et nous avons cette
capacité à les rassurer parce que nous leur donnons une visibilité un
peu plus grande que d'autres.
Sur quels types de
projets êtes-vous impliqués ?
D'abord les télécoms. Nos clients se posent beaucoup de
questions sur les nouvelles sources de revenu dans le multimédia mobile,
le haut débit, l'ADSL, sur la croissance des revenus, sur ce qui va fonctionner
ou pas. La deuxième interrogation majeure concerne les coûts : ils souhaitent
vraiment savoir s'il y a encore un peu de gras
Et puis, certains clients
doivent réorganiser leur processus de création de produits.
Ensuite, les médias, un secteur un peu chahuté mais qui est touché de
plein fouet par la technologie, à la fois dans la production et dans la
diffusion du contenu. La numérisation modifie les business-models, l'expérience-client.
Nous avons beaucoup travaillé sur la télévision en général, parce que
ça a été un des premiers secteurs à être numérisé : on s'aperçoit que
l'apparition des nouveaux moyens de diffusion n'a pas fait disparaître
les technologies classiques. Si les choses ne sont pas encore standardisées
ni monétisables, la numérisation modifie souvent la chaîne de valeurs
classique de distribution du contenu, ce qui fait qu'il y a des places
à prendre, que des acteurs vont disparaître et d'autres vont prendre le
pouvoir. C'est un secteur où il y a encore beaucoup de problématiques
stratégiques, et donc beaucoup de grain à moudre pour nous
Du coup, être
à la frontière de la réflexion stratégique et de la réflexion technologique
a un vrai sens.
Vous intervenez aussi
sur des secteurs plus traditionnels ?
Sur la pharmacie, le transport aérien et l'aéronautique,
l'industrie lourde
On y retrouve le même avantage. Le monde des banques
et de la finance fait aussi beaucoup appel à nous pour revoir des dossiers
d'acquisition ou de vente pour le compte de ses clients.
Quelles utilisations
technologiques privilégiez-vous dans les diverses fonctions de l'entreprise?
J'ai un peu de mal à répondre à votre question parce qu'in
fine, notre objectif est de répondre aux besoins des directions générales,
donc nous devons avoir une bonne visibilité sur beaucoup de sujets. Après,
notre souci est de trouver le bon expert. Nous avons l'ambition de comprendre
toutes les technologies, et nous sommes agnostiques, puisque nous ne poussons
pas des choses que nous avons développées. Donc si le client vient avec
une problématique, notre approche est de décrypter pour lui l'ensemble
des solutions technologiques afin qu'il soit sûr de son choix.
Et qu'avez-vous l'impression
d'apporter à vos clients ?
L'expertise. Les consultants ne sont pas des gens auxquels
le client doit apprendre son métier. Cela paraît banal, mais nos consultants
sont tellement "colorés" qu'il sont opérationnels dès le premier jour.
Et, je le répète, notre compréhension de la technologie nous permet de
rester indépendants dans les grands choix en la matière. Nous cherchons
à donner des arguments au client pour anticiper les risques ou les opportunités.
Quelle est votre plus
grande réussite des derniers mois à vos yeux ?
C'est surtout, en interne, d'avoir été capable de traverser
cette crise du conseil en général en gardant les équipes intactes. Nous
sommes très fiers d'avoir fait ça tout en gagnant de l'argent. Au niveau
des projets, nous avons accompagné un des plus grands LBO français en
2002. Mais je ne peux pas citer de nom, c'est une des contraintes de notre
métier. Les clients aiment nous voir dans la presse mais n'aiment pas
voir leur nom ou leurs projets cités dans la presse
Et quel projet rêveriez-vous
d'accompagner ?
Ce que nous aimerions, c'est qu'on puisse dire à la fin
de l'année 2003 que nous avons participé à la reconfiguration du paysage
média et des télécoms. Que nous avons fait avancer ces deux industries.
Qu'elles aient toutes deux gagné en visibilité, que les nouvelles technologies
soient bien mises sur les rails, comme la télé sur ADSL, le multimédia
mobile pour les opérateurs mobiles, l'ADSL pour les opérateurs télécoms.
Comment continuez-vous
à motiver vos équipes dans le contexte actuel ?
La première motivation pour les consultants qui viennent
chez nous est l'intérêt des projets, et je crois que nous continuons à
avoir des projets intéressants. Par ailleurs, ils viennent aussi pour
trouver un espace épanouissant. Enfin au niveau économique, il faut que
l'entreprise gagne de l'argent pour pouvoir verser des bonus. C'est ce
que nous avons fait en 2002.
Mais comment faites-vous
face à la tension sur les prix qui affecte votre marché ?
Je pensais qu'il y avait eu un assainissement du marché
en 2002 et que ça avait suffit. Un certain nombre de nos confrères ont
fait des réductions d'effectifs assez importantes et dès que l'offre s'aligne
sur la demande, la question du prix se pose moins. Mais compte tenu de
la crise actuelle, les clients allongent les périodes de décision. Cela
dit, in fine, même s'il y a une pression sur les prix, le client veut
avoir le bon consultant. Sans tenir un discours commercial, même si nous
coûtons cher, si nos prix à la journée sont très élevés, notre objectif
est toujours d'apporter le maximum de valeur ajoutée au client. Dès que
cet équilibre entre coût et valeur ajoutée est trouvé, si votre mission
facturée entre 100.000 et 1 million d'euros répond à des enjeux qui sont
cent fois supérieurs, la question du prix est plus anecdotique. De toute
façon, dans les années 2000-2001, nous n'avons pas fait d'inflation sur
les prix, nous avons été très raisonnables, nous ne sommes pas les plus
chers. Nous avons toujours eu cette approche du sur mesure. Pour le moment,
ça a fonctionné, mais rien ne garantit que ça continuera. Et c'est vrai
qu'il y a une pression sur les prix, il faut le reconnaître. Le client
aime bien ça, il sait que ces temps-ci, c'est lui qui a un peu plus de
pouvoir
Qu'est-ce que vous
aimez sur Internet ?
Ce que j'aime beaucoup, c'est de pouvoir me passer du papier
: Internet est pour moi une énorme armoire qui me permet d'accéder à beaucoup
de choses et où des gens rangent l'information pour moi. Par ailleurs,
j'adore accéder à l'Internet avec mon mobile et mon PC en voiture, quand
mon épouse conduit, pour trouver des informations sur la circulation ou
un restaurant, et faire des démarches que je n'ai pas pu faire pendant
la semaine. Les consultants sont en général des paranos de l'utilisation
de leur temps, et ça me donne une énorme souplesse.
Et qu'est-ce que vous
n'aimez pas ?
Je me pose parfois des questions sur la fiabilité des informations
auxquelles j'ai accès, je me demande si quelqu'un n'est pas en train de
faire de l'intox. Ou alors je tombe sur des choses qui n'ont pas été actualisées.
Mais j'ai eu très peu de déceptions pour le moment.